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Libération
Reportage

1er mai : «Dès qu’on a l’occasion de manifester, on manifeste»

1er Maidossier
Plusieurs milliers de personnes ont renoué avec la rue pour cette édition 2021 de la fête internationale des travailleurs après une «année sans» pour cause de Covid. Du Père-Lachaise au cortège parisien, «Libération» a écouté ce que les manifestants avaient à dire «dans un contexte extraordinaire».
Dans le cortège parisien, samedi? (Stéphane Lagoutte/Myop pour Libération)
publié le 1er mai 2021 à 19h39

Un 1er Mai masqué, c’est toujours mieux que pas de 1er Mai, non ? Neutralisée l’année dernière en raison du confinement à la dure alors en vigueur, la fête internationale des travailleurs a pu renouer avec la rue dans quelques villes ce samedi. Au total, 150 000 personnes ont défilé en France selon la CGT, 106 000 selon le ministère de l’Intérieur. A Paris, 17 000 personnes (selon les autorités) ont manifesté à l’appel d’organisations syndicales (CGT, FO, FSU et Solidaires) et de la jeunesse (Unef, UNL), avec à leurs côtés quelques centaines de gilets jaunes. Récit forcément parcellaire, au fil de la journée.

Traditions au Père-Lachaise pour FO

Le micro grésille et la fontaine au milieu de la place fait du boucan, mais au moins le plaisir des traditions est-il retrouvé. Chaque année, FO organise un rassemblement au cimetière du Père-Lachaise pour rendre hommage aux communards victimes de la répression en 1871, et notamment à ceux fusillés par la soldatesque versaillaise le long du mur des Fédérés. Cette fois, le secrétaire général de la confédération, Yves Veyrier, s’y est rendu en petit comité et le rassemblement a été déplacé à côté, place Gambetta. «C’est un 1er Mai dans un contexte extraordinaire», lance le leader syndical, perché sur une petite estrade. Mais «l’année dernière était pire encore : les rues étaient vides», rappelle-t-il à l’assistance, composé d’une centaine de militants. Couverte d’un bonnet pas inutile en ce samedi assez dégueu côté météo, Sophie est de ceux qui ne sont pas retournés manifester depuis plus d’un an. Se retrouver à nouveau dans la rue aujourd’hui, «ça fait quelque chose», dit-elle. A ses côtés, Laurène n’a pas hésité à sortir malgré le contexte sanitaire et les violences policières émaillant depuis plusieurs années les manifestations : «Je ne me suis pas posée de questions. C’est important, même primordial, pour montrer que les gens ont encore des droits et qu’on est là malgré tout.» Son secteur, l’animation, est de ceux que la crise a quasiment stoppés. Mais elle n’a pas arrêté de bosser, au contraire : «Je suis à la paye, donc je continue de travailler. Mais uniquement pour saisir du chômage partiel.» Posté devant le McDo, un discret vendeur de muguet écoule son stock au rythme des militants qui défilent devant son stand improvisé. Avant de donner rendez-vous à République pour le défilé unitaire, le numéro 1 de la fédération d’Ile-de-France entonne l’Internationale, en chœur avec ses camarades et un puissant larsen.

Collectif à La République

Place de la République, d’où va partir le cortège parisien, une immense banderole a été déployée comme un avertissement : «Quand tout sera privé, on sera privé de tout», y lit-on en lettres capitales. Sur le boulevard Voltaire, qui conduira les manifestants jusqu’à Nation, les caméras, micros et calepins se succèdent devant les responsables des organisations syndicales qui ont appelé à manifester. Alors, ce premier 1er Mai de l’ère Covid ? «On dénombre plus de cent manifestations à travers la France, il y a du monde», dit Simon Duteil, porte-parole de Solidaires. Si le 1er Mai sert à mesurer, au doigt vraiment mouillé, la popularité des syndicats, c’est déjà pas mal vu les difficultés matérielles qu’ils ont pu rencontrer pour militer ces derniers mois. «Le syndicalisme, sa force c’est d’être dans les collectifs de travail. Quand ce collectif de travail est cassé, c’est bien plus difficile», constate Duteil. Yves Veyrier, lui veut croire et affirmer que «les syndicats sont là aujourd’hui, et seront là demain.» Quelques minutes plus tard, quelques centaines de gilets jaunes et de militants antifascistes remontent le cortège pour prendre sa tête.

Renée et Ginette

Strictement encadrée par les forces de police, qui bloquent parfois l’accès aux trottoirs, la foule s’étale tout en longueur sur le boulevard Voltaire. On y croise bien des gens que la crise sanitaire et économique a durement frappés, comme des extras de la restauration, des salariés de l’hôtellerie ou des guides conférenciers. Il y a aussi des collectifs de sans-papiers, qui rendent hommage à Bary Keita, mort le 18 avril d’une chute sur le chantier où il travaillait. Renée tient un drapeau de la CGT banque-finance. Elle manifeste avec Ginette, retraitée de la banque LCL comme elle. Les deux n’ont pas attendu ce 1er Mai pour redescendre dans la rue : «Dès qu’on a l’occasion de manifester on manifeste, couvre-feu ou pas, 10 kilomètres ou pas», dit Renée. Elle reproche au chef de l’Etat d’avoir «continué en sous-marin tout ce qu’il avait préparé» malgré la crise : dans sa ligne de mire, la loi sécurité globale et la réforme de l’assurance chômage notamment. Quant aux dispositifs comme le chômage partiel, qui ont tout de même permis de préserver l’emploi, elle dit : «C’est de la survie. Alors, il vaut mieux la survie que la mort. Mais ensuite, tout ça sera remis à plat et on réduira les dépenses publiques pour revenir à zéro déficit.»

Percussions et pancarte

Indifférent au vacarme ambiant, à moins qu’il ne soit bercé par les percussions d’un groupe de musiciens dans le cortège, un enfant roupille dans sa poussette. Une pancarte nous aguiche : «Qui veut noyer son chômeur l’accuse d’avoir la flemme.» Son autrice s’appelle Céline et est organisatrice de voyages. Ou plutôt l’a été, si on l’écoute, puisqu’elle n’a pas pu travailler depuis plus d’un an et que son principal employeur, une association de tourisme social et solidaire, a depuis fermé boutique. Sans indemnités pour Céline, qui n’a jamais été en CDI : «J’avais des missions qui duraient entre huit jours et trois semaines.» Elle n’en a plus maintenant et, après avoir épuisé ses droits au chômage, compte à la fin de chaque mois sur le fait que le gouvernement va prolonger son dispositif de gel des fins de droits. Même si la campagne vaccinale laisse entrevoir un retour prochain à une vie plus normale, elle pense qu’elle ne retrouvera pas un travail de sitôt. Elle n’est pas la seule : dans un groupe de guide conférenciers, Bruno croit déjà savoir que «quand on va se remettre à bosser, on va passer d’une année où on n’a rien fait à une année cacahuète».

Tensions en fin de cortège, la CGT victime de violences

Les masques chirurgicaux protègent-ils contre les lacrymos ? Ce serait trop beau. Pendant de longues minutes, le cortège fait du sur place en raison de tensions entre manifestants et forces de l’ordre autour de la station de métro Saint-Ambroise. A l’arrivée du cortège place de la Nation vers 18 heures, des affrontements se sont produits entre militants syndicalistes et certains manifestants. Des membres de la centrale ont été pris à partie par des manifestants dont certains portaient des gilets jaunes scandant «CGT collabos», «social traîtres». La centrale a de son côté déploré samedi soir «21 blessés dont 4 graves », victimes d’une «extrême violence» commise par «un important groupe d’individus dont certains se revendiquant gilets jaunes» en toute fin de manifestation parisienne. «Insultes homophobes, sexistes, racistes, ont précédé des actes de vandalisations des véhicules des organisations», a énuméré la centrale dans un communiqué, évoquant «un déchainement de coups et de jets de projectiles» dont les militants CGT étaient selon le syndicat la «cible» privilégiée. De son coté le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a indiqué sur tweeter que 34 personnes avaient été arrêtées. Près de 5 000 policiers étaient déployés dans la capitale, selon l’AFP citant une source policière. Une manifestation sous haute surveillance, mais loin tout de même de l’édition de 2019, restée dans les mémoires des manifestants en raison de son très haut niveau de pression policière.