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Accidents du travail : l’indemnisation des futures victimes suspendue aux choix du prochain gouvernement

Durant le tumulte des législatives, syndicats et patronat se sont entendus pour améliorer la prise en charge financière des salariés qui souffriront à l’avenir de maladies professionnelles ou de séquelles à la suite d’accidents survenus sur leur lieu de travail. Mais leur accord doit être transcrit dans la loi.
La nouveauté fondamentale de ce nouvel accord réside dans le fait que les victimes devraient être davantage indemnisées. (Sandrine Marty/Hans Lucas. AFP)
publié le 15 juillet 2024 à 17h42

Pour les futures victimes de graves accidents du travail ou de maladies professionnelles, voici un dossier décisif que le prochain gouvernement – quel qu’il soit – trouvera sur son bureau. Tandis que le pays baignait ces dernières semaines dans l’incertitude politique, les acteurs sociaux se sont mis d’accord pour trancher un sujet particulièrement épineux : les conditions d’indemnisation des victimes du travail qui en ont gardé des séquelles invalidantes ou incapacitantes. Après plusieurs mois de discussions, quatre syndicats sur les cinq représentatifs (la CGT faisant exception) et l’ensemble du patronat ont ainsi avalisé, fin juin et début juillet, un «relevé de décisions» censé améliorer la prise en charge financière de ces personnes. Pour entrer en vigueur en 2025, cet accord, qui ne concernerait que les victimes à venir, devra être transposé dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), qui doit être examinée cet automne. D’où le rôle crucial qu’aura à jouer le futur gouvernement.

Que contient cet accord ? Sans entrer dans ses (nombreux) détails techniques, le texte prévoit qu’un travailleur accidenté touche désormais une rente calculée sur deux bases distinctes et complémentaires. D’une part, son préjudice professionnel, constitué par «la perte de gains ou de capacité de gains professionnels futurs» du fait d’une obligation de changer d’emploi ou de réduire son temps de travail, mais aussi de sa potentielle «dévalorisation sur le marché de l’emploi». D’autre part, son préjudice personnel, appelé «déficit fonctionnel permanent» (DFP), qui se manifeste par une dégradation des conditions de vie plus globale. Celle-ci étant causée par «les atteintes aux fonctions physiologiques», «les douleurs physiques et morales permanentes», «la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence».

Une indemnisation automatique mais insuffisante

La nouveauté fondamentale réside dans le fait que les victimes devraient être davantage indemnisées. En effet, jusqu’à début 2023, on considérait que le premier calcul, celui qui correspondrait désormais au seul préjudice professionnel, couvrait également le déficit fonctionnel permanent. La rente était présumée «duale» – un mot capital du débat. Depuis un compromis remontant à 1898, le système était donc censé satisfaire toutes les parties : le salarié, assuré de percevoir une rente quelles que soient les circonstances de son accident ; les employeurs, ne craignant pas pour leurs finances puisque se contentant de verser des cotisations à un grand pot commun. Aujourd’hui, c’est la branche accidents du travail-maladie professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale qui collecte les cotisations et s’occupe de verser les rentes.

Seulement, ce système était contesté notamment par des associations de victimes qui trouvaient anormal que, compte tenu du mode de calcul retenu, des accidentés du travail soient moins bien indemnisés que des accidentés de la vie pris en charge par leur assurance. En effet, le calcul de la rente se basait (et se basera toujours concernant le seul préjudice professionnel) sur le salaire perçu par la victime avant son accident, ce qui aboutissait toujours à une somme inférieure. Si le travailleur souhaitait obtenir plus, il devait faire reconnaître, au terme d’une procédure pénale, que l’employeur s’était rendu coupable d’une faute inexcusable. Dans ce cas de figure, l’employeur doit prendre en charge une partie de la majoration de la rente versée.

Le revirement de la Cour de cassation

En janvier 2023, la Cour de cassation a donné raison à ces critiques, en opérant un revirement de jurisprudence dans l’indemnisation des AT-MP. Saisie dans deux affaires concernant des victimes de l’amiante dont l’employeur avait été reconnu coupable de faute inexcusable, la Cour a en effet considéré que la rente prévue par la loi ne couvrait que le préjudice professionnel subi par les victimes, et pas le fonctionnel – contrairement donc à ce qui était supposé jusqu’à maintenant. Et qu’à ce titre, les victimes pouvaient désormais prétendre à une indemnisation distincte, bien plus importante et donc pénalisante pour les employeurs en cas de faute inexcusable. Ce qui a fait craindre au patronat une explosion des contentieux sur ce motif.

Quelques mois plus tard, en mai 2023, les syndicats (au complet) et le patronat ont conclu un accord national interprofessionnel (ANI) sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Contre l’avis de la Cour de cassation, ils y ont réaffirmé l’importance du caractère «dual» de la rente. Ils attendaient donc que le législateur «prenne toutes les mesures nécessaires» afin de garantir ce principe. Un article du PLFSS de 2024, présenté à l’automne 2023, était censé satisfaire cette demande, mais il a au contraire suscité la colère des syndicats, certains dénonçant une «trahison», car sa formulation conduisait en fait à déresponsabiliser les employeurs coupables d’une faute inexcusable. Sous la pression syndicale, le ministre du Travail de l’époque, Olivier Dussopt, l’a retiré, et a renvoyé la balle aux acteurs sociaux pour qu’ils clarifient leurs attentes.

Un coût supplémentaire pour une branche excédentaire

C’est donc chose faite avec ce «relevé de décisions» enfin adopté au début du mois. Désormais, une victime d’accident laissant des séquelles devra percevoir la même somme qu’auparavant au titre de son seul préjudice professionnel, plus une autre somme au titre de son DFP, calculée non pas selon ses revenus mais selon son taux d’incapacité. Le patronat, lui, se satisfait que l’accord sécurise la situation des employeurs en cas de faute inexcusable, alors que la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation ouvrait la voie à ce qu’ils doivent verser des indemnités nettement plus élevées.

Encore faut-il que le texte soit bien transposé dans la loi. Si tel est le cas, cela entraînera mécaniquement une hausse des dépenses de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de l’Assurance maladie, chargée de verser les rentes. La CPME évoque «un coût supplémentaire de 249 millions d’euros pour l’année 2025, augmentant progressivement à 596 millions d’euros sur 30 ans», mais rappelle que la branche AT-MP est excédentaire de «1,4 milliard d’euros en 2023, et 800 millions d’euros en 2024».