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Décryptage

Age légal de départ, durée de cotisation… qui sera vraiment concerné par la suspension de la réforme des retraites ?

Trois jours après l’annonce de Sébastien Lecornu lors de son discours de politique générale à l’Assemblée, plusieurs zones d’ombre demeurent quant à la mise sur pause de la réforme portée par Elisabeth Borne en 2023.

Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, à l'Assemblée, le 16 octobre. (Xose Bouzas/Hans Lucas. AFP)
Publié le 16/10/2025 à 20h20

Véritable suspension ou petite pause ? C’est l’une des questions (elles sont nombreuses) qui agite les partenaires sociaux et les parlementaires depuis l’annonce de la suspension jusqu’en 2028 de la réforme des retraites par le Premier ministre, mardi 14 octobre. Si la CFDT salue un «premier coup d’arrêt» du texte depuis son adoption via 49.3 en 2023, la CGT, qui réclame son abrogation, y voit un simple «décalage».

Génération 1964, et après ?

Intéressons-nous d’abord à l’âge légal de départ. «Tel que cela a été annoncé par le gouvernement, il est suspendu à 62 ans et 9 mois soit l’âge légal de la génération née en 1963, qui serait maintenu pour la génération 1964», explique Eric Weil, ancien conseiller ministériel sur les retraites, et auteur de Retraites : un blocage français (Plon, octobre 2025) à Libération. Pour l’instant, seule la génération de 1964 connaît un gel à 62 ans et 9 mois car son départ est prévu avant les élections présidentielles. Le décalage de l’âge légal reprendra tel que prévu par la réforme Borne pour la génération de 1965. Concrètement «l’âge légal est avancé de trois mois pour plusieurs générations. Celle née en 1965 devait pouvoir partir à 63 ans et 3 mois, mais avec la suspension annoncée ça pourrait être 63 ans pile, pour la génération 1966, 63 ans et 3 mois au lieu de 63 ans et 6 mois et ainsi de suite, explique-t-il. Avec ce décalage de la réforme de 2023 d’une génération, c’est celle de 1969 qui doit être la première à atteindre la cible de l’âge légal de départ à 64 ans, contre celle de 1968 comme initialement prévu par la réforme.» Dans cette configuration, 3,5 millions de personnes seront concernées par le décalage d’application «soit cinq générations jusqu’à 1969, c’est-à-dire 700 000 personnes par an».

Qu’en est-il de la durée de cotisation ?

Pour ne pas censurer, le PS avait demandé que les deux points clés de la réforme de 2023 soient suspendus : le recul de l’âge de départ et l’accélération de la réforme Touraine, qui prévoit de passer de 42 à 43 années de cotisations pour partir à taux plein. Aujourd’hui, la génération née en 1963 doit cotiser 42 ans et 6 mois pour partir à taux plein, soit 170 trimestres. Cette durée d’assurance est augmentée de trois mois pour chaque génération par la réforme de 2023. Un mécanisme lui aussi gelé par Sébastien Lecornu. La génération de 1964 devrait donc cotiser 42 ans et 6 mois, comme celle de 1963 aujourd’hui, «alors qu’elle aurait dû valider 42 ans et 9 mois avec la réforme Borne pour bénéficier du taux plein», décrypte Eric Weil. Et l’ex-conseiller ministériel de préciser : «Sans la suspension tel qu’annoncée, c’est à partir de la génération 1965 qu’il aurait fallu cotiser 43 ans.» Résultat, la génération née en 1966 sera la première à devoir cotiser 43 ans pour partir à taux plein.

Reste une inconnue : que se passera-t-il après le 1er janvier 2028, fin annoncée de la suspension ? C’est là que les choses se corsent. Les contours du redémarrage de la réforme Borne sont susceptibles d’évoluer en fonction des conclusions de la conférence des partenaires sociaux attendues au printemps et surtout des prochaines élections présidentielles. «A noter qu’avec un arrêt de la réforme et pas une suspension, il aurait fallu une nouvelle loi pour faire redémarrer la montée en charge de la réforme de 2023», souligne le diplômé de l’Essec.

Un passage par amendement, mais…

Pour appliquer cette suspension, Sébastien Lecornu a privilégié un amendement gouvernemental dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Il a également prévenu que cette suspension devrait être compensée par des mesures d’économies. L’adoption de ce texte budgétaire est donc nécessaire et elle dépend (entre autres) du vote des socialistes. Un véritable dilemme pour ces derniers. Si le PLFSS était rejeté, reste toutefois une option, à en croire Eric Weil : «Passer par un projet de loi ad hoc.»