Plus on est pauvre, plus on serait susceptibles de frauder les allocs. Cette théorie pernicieuse découle de l’algorithme utilisé par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) depuis 2011, d’après une étude de la Quadrature du net publiée lundi 27 novembre. L’association de défense des libertés en ligne dénonce un outil statistique qui vise à identifier ceux des 13,5 millions d’allocataires qui seraient les plus susceptibles de commettre des erreurs dans leur déclaration. Et donc de subir un contrôle.
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Chaque allocataire apparaît dans les fichiers de la Cnaf selon un «score de suspicion». Ce score est mis à jour chaque premier du mois, et compris entre 0 et 1. Plus il approche de 1, plus l’allocataire est suspect.
Et dès le départ, il est plus élevé pour les personnes disposant de revenus faibles - chômeurs, allocataires des minima sociaux ou habitants de quartiers «défavorisés» -, selon la Quadrature du net, code informatique de l’outil à l’appui après une demande d’accès aux documents administratif. A l’inverse, les plus aisés apparaissent comme plus fiables. Pour le public déjà précaire, l’algorithme a des airs de double peine.
Parmi les critères pris en compte dans l’une des versions utilisée entre 2010 et 2018 – le modèle actuel n’ayant pas été transmis par la CAF – et partagés par la Quadrature, on retrouve : la situation familiale de l’allocataire, son âge, celui de son conjoint, la fréquence de ses connexions à l’espace web, ou encore le nombre de mails échangés. Une «surveillance prédictive aux accents dystopiques», juge l’association.
«Opaque»
La Caisse nationale d’allocations familiales tente malgré tout de défendre son programme informatique. Selon elle, les bénéficiaires de certains minima sociaux, comme le RSA ou la prime d’activité, dont les revenus varient souvent, doivent remplir des déclarations de revenus trimestrielles complexes, et seraient donc plus susceptibles de commettre des erreurs. La Cnaf soutient que l’algorithme vise à repérer ces allocataires pour effectuer des contrôles rapidement, et rectifier ces erreurs. Pour son directeur général, Nicolas Grivel, l’outil n’est «pas discriminatoire», et ne cible «pas forcément les personnes les plus pauvres, mais celles dont les revenus varient».
L’algorithme avait déjà été critiqué au printemps par le collectif Changer le Cap, qui le considérait alors trop «opaque». Il appelait plutôt à la mise en place de contrôles aléatoires. La Quadrature du net pointe également, sur son site, des institutions comme l’Assurance maladie, l’Assurance vieillesse, les Mutualités sociales ou Pôle emploi, pour leur usage de systèmes automatisés du même genre dans la lutte contre la fraude aux aides sociales.
En mai, le gouvernement a annoncé un plan visant à faire des économies et à doubler les redressements d’ici à 2027. Complexe à évaluer, cette fraude représente en effet un manque à gagner de plusieurs milliards d’euros – 6 à 8 milliards par an selon la Cour des comptes. Le rapport de l’Union Solidaires et d’Attac l’estime lui à 20 à 25 milliards (contre 80 à 100 milliards pour la fraude fiscale selon ce même rapport).