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Libération

Amiens : la justice estime que les salariés de Whirlpool ont été licenciés sans motif économique

Trois ans après la fermeture de l’usine, le tribunal administratif a jugé que le groupe américain n’avait pas de raison sérieuse de faire un plan de licenciement.
Devant l'usine Whirpool d'Amiens, le 14 juin 2017. (Benoit Tessier/Reuters)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 17 mars 2021 à 17h59

L’usine Whirlpool d’Amiens n’avait pas de raison économique sérieuse pour licencier ses salariés : dans ce dossier emblématique, qui a marqué la dernière campagne présidentielle, avec la venue d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, c’est le constat que vient poser le tribunal administratif de la ville. La production de sèche-linge avait été délocalisée en Pologne… «Il est à remarquer qu’au moment où, le 24 janvier 2017, le projet de réorganisation est dévoilé, le secteur [gros électroménager, ndlr] vient de dégager, pour l’année 2016, un résultat opérationnel record de 991 millions de dollars», pointe le tribunal dans un jugement en date du 11 mars, sec et tiré au cordeau. Il note au passage «la distribution de dividendes généreux» aux actionnaires du groupe américain cette même année. Le principal motif qui justifie un plan de sauvegarde de l’emploi est donc tombé.

Fiodor Rilov, l’avocat des représentants du personnel qui ont saisi le tribunal, savoure l’instant, lors de la conférence de presse organisée par visioconférence ce mercredi matin : «Ce jugement est la démonstration institutionnelle que les salariés avaient raison de continuer à se battre.» Surtout, il va servir de jurisprudence pour les procès qui suivent aux prud’hommes : 182 ex-Whirlpool attaquent justement la raison économique de leur licenciement, et demandent quatre ans de salaire brut, en dommages et intérêts. Frédéric Chantrelle, délégué syndical CFDT, est lui aussi satisfait : «C’est une victoire bienvenue, il y a une justice qui a été rendue. Comment une ministre pouvait-elle aller contre la décision d’un représentant de son administration ?»

Camouflet pour Muriel Pénicaud

Donner des arguments aux salariés devant les prud’hommes, ce n’est sans doute pas ce qu’imaginait Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail et de l’Emploi, lorsqu’elle a autorisé en mai 2019 le licenciement des 18 représentants du personnel de Whirlpool. C’est cette décision qu’a cassée le tribunal administratif d’Amiens. Dans un plan social, les représentants du personnel sont toujours les derniers à partir, car ils surveillent l’application de l’accord signé, en termes de reclassement de leurs collègues, par exemple. Quand Whirlpool a voulu les licencier à leur tour, il a fallu que l’inspecteur du travail vérifie les raisons économiques avancées, c’est le code du travail pour ces salariés dit «protégés». Celui-ci a rejeté la demande de la multinationale. Whirlpool a alors exercé un recours hiérarchique, et la ministre lui a donné raison. Fin de l’histoire, croyait-on. Le ministère du Travail, contacté, n’a pas encore précisé s’il prévoyait de faire appel du jugement du tribunal.

Frédéric Chantrelle, le délégué CFDT, dresse le tableau d’un champ de ruines pour l’emploi, trois ans après la fermeture de l’usine d’Amiens, le 30 mai 2018, avec 279 salariés concernés. Le premier repreneur, WN, s’est révélé inconsistant. Sur les 138 salariés qu’il a laissés sur le carreau au bout d’un an, 42 ont retrouvé un poste chez un deuxième repreneur, Ageco Agencement. Celui-ci vient de déposer le bilan, le 4 mars : 83 salariés sur la touche, dont les ex-Whirlpool. Les entreprises candidates à la reprise prévoient déjà de ne garder que la moitié de l’effectif. Le délégué syndical persifle sur l’implication du président de la République, Emmanuel Macron, dans le dossier : «Trois fois, il est venu, et on a trois fermetures successives. On va l’appeler le chat noir.»