Le paritarisme est peut-être sauvé, mais pas les droits des demandeurs d’emploi. En aboutissant ce vendredi 10 novembre, après deux jours de négociations entrecoupées de très longues suspensions de séance, à un protocole d’accord sur les futures règles de l’assurance chômage, le patronat et au minimum deux syndicats (la CFDT et la CFTC) sur les cinq qui gèrent l’Unédic sont parvenus à briser le cercle dans lequel Emmanuel Macron les avait enfermés depuis 2018 en bouleversant les règles du dialogue social.
S’extirpant d’une lettre de cadrage gouvernementale ultra-contraignante aussi bien budgétairement qu’idéologiquement – pas question de remettre en cause les deux dernières réformes brutalement imposées aux privés d’emploi –, ignorant aussi la décision étatique de ponctionner les recettes de l’Unédic (de 2 milliards d’euros dès cette année) pour financer sa réforme «France Travail», qui met selon eux en danger le désendettement du régime, les (futurs) signataires sont parvenus à un consensus qui, même s’il n’est pas unanime, relève presque du miracle.
Mais il n’arrangera qu’à la marge la situation des plus précaires. La principale mesure en leur faveur consiste en un seuil d’ouverture des droits réduit à un peu moins de cinq mois au lieu de six, mais pour les seuls primo inscrits à l’assurance chômage et les saisonniers. Loin d’une des principales revendications de la CGT, qui exigeait un retour à quatre mois pour tous et estime par la voix de son négociateur Denis Gravouil que ce «n’est pas un bon accord» – elle ne devrait donc pas le signer. Quant à la CFE-CGC, elle ne compte pas signer non plus car le texte maintient le principe de la dégressivité pour les anciens cadres à hauts salaires, même si plus de demandeurs d’emploi en seront désormais exemptés, le seuil pour y échapper étant fixé à 55 ans, contre 57 ans précédemment.
Le ministère du Travail «prend acte»
Encore faut-il, après cet accord de principe, que l’exécutif approuve le texte, puisque les négociateurs se sont affranchis de la feuille de route financière fixée par le gouvernement, estimant celle-ci irréaliste. Ce qui est stipulé d’entrée de jeu dans l’accord : «Le document de cadrage [du gouvernement] a été élaboré sur la base de prévisions financières pour le régime d’assurance chômage qui sont apparues comme erronées», car beaucoup trop optimistes compte tenu du consensus scientifique sur la conjoncture économique. «Les organisations de salariés et d’employeurs, gestionnaires du régime d’assurance chômage depuis 1958, ont donc décidé de conduire leurs discussions sur la base des prévisions actualisées par l’Unédic dans un esprit de responsabilité.» Il se murmurait néanmoins, durant les suspensions de séance, que si les discussions duraient tant, c’est aussi car il s’agissait de s’assurer auprès du gouvernement que la copie finale lui conviendrait. Dans la soirée de vendredi, le ministère du Travail indiquait «prendre acte» de l’accord, et précisait qu’«il revient au gouvernement d’étudier la compatibilité de l’accord avec le document de cadrage».
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En attendant d’avoir la certitude que ce sera bien le cas, disons déjà qu’on revient de loin. A 12h30 ce vendredi, le négociateur de FO, Michel Beaugas, se demandait à voix haute devant la presse si le patronat n’avait pas la volonté de tout faire capoter, en rappelant un des basiques d’une discussion réussie : «Si on veut un accord, on enlève les lignes rouges. C’est ça la règle.» Finalement, même si FO attend encore la décision de son bureau confédéral lundi pour avaliser sa signature, Michel Beaugas estimait vendredi soir que «les lignes rouges sont tombées».
Parmi elles, notamment, des mesures visant les «seniors» sans emploi, qui bénéficient d’une durée d’indemnisation rallongée et parfois, à l’âge légal de départ en retraite, d’une allocation faisant la jonction avec leur départ à taux plein. Ces mesures consistaient à reporter de deux ans l’âge auquel ces droits s’ouvrent pour les personnes concernées, au nom de l’allongement des carrières provoqué par la dernière réforme des retraites, qui relève progressivement l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. Ces débats sont renvoyés à une future négociation spécifiquement consacrée à l’emploi des seniors, les signataires de l’accord s’engageant à trouver à cette occasion 440 millions d’euros d’économies entre 2024 et 2027.
Le protocole d’accord final prévoit par ailleurs le maintien des règles actuelles pour les intermittents du spectacle, alors qu’une version précédente durcissait les conditions d’accès au régime, en contradiction avec un accord sectoriel tout juste adopté qui prévoyait au contraire une amélioration de leurs droits. Enfin, le patronat a fait une concession sur sa revendication centrale, qui visait à s’octroyer une réduction de 0,1 % du taux de cotisation patronal, soit un manque à gagner de 740 millions d’euros pour le régime en 2024. Finalement, la réduction sera de 0,05 %, pour un coût divisé de moitié.
«Ce n’est pas un accord mineur»
L’ensemble des organisations de salariés voulaient également revenir sur le nouveau mode de calcul de l’allocation, mis en place en 2021, qui a réduit de 16 % les montants versés à près d’un indemnisé sur deux, les principales victimes étant les salariés les plus précaires, qui enchaînent les contrats courts. Le Medef y a répondu par une proposition atténuant à la marge la réduction de l’allocation pour les seuls saisonniers.
Par ailleurs, le projet d’accord prévoit un détricotage du système de bonus/malus mis en place par la réforme de 2021 pour pénaliser les employeurs abusant des contrats courts, notamment en concentrant le calcul du malus sur les seules fins de contrats de moins d’un mois. C’était la seule mesure de cette réforme un tant soit peu contraignante pour les employeurs, et donc la seule que soutenaient à l’époque les syndicats, tout en critiquant sa timidité.
Mais l’urgence de réaffirmer la place des organisations syndicales et patronales dans la bonne marche de la démocratie sociale a aussi compté aux yeux des trois syndicats signataires. «Certes, nous avons évité le pire, peut-être une possible disparition de l’Unedic pour pire, même si le risque n’est pas écarté», a concédé sur X (Twitter) Denis Gravouil. Pour Olivier Guivarc’h, le chef de file de la délégation CFDT, il ne faut pas prendre ce texte final à la légère : «Ce n’est pas un accord mineur conclu histoire de dire : “on a trouvé un accord”. On a amélioré des droits alors que tout le monde prédisait un échec, et des efforts ont été faits des deux côtés.» Quant au Medef, qui a trouvé avec cet accord l’occasion de se réconcilier avec les autres organisations patronales après leur division sur le dossier de l’Agirc-Arrco, il voit dans le difficile accouchement de cet accord la preuve que «nous sommes arrivés au bout d’un système», et qu’il faut «ouvrir un grand chantier ensemble, avec les organisations syndicales, qui aura pour objectif de réfléchir à la nature et au fonctionnement de ce modèle social», a expliqué son représentant, Hubert Mongon, devant la presse. Autrement dit, revoir le fonctionnement du paritarisme.