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Assurance chômage et travail des seniors : syndicats et patronat rouvrent leurs discussions sous de meilleurs auspices

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Six mois après l’échec de leurs négociations sur la «vie au travail», et alors que le gouvernement leur a redonné la main sur les règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi, les acteurs sociaux pensent pouvoir se mettre d’accord à la mi-novembre, notamment sur un élargissement des retraites progressives.
Marylise Léon, Yvan Ricordeau et Isabelle Mercier de la CFDT après une réunion avec Michel Barnier à Matignon le 24 septembre. (Thomas Samson/AFP)
publié le 22 octobre 2024 à 6h01

On croise parfois, au hasard d’une promenade sur Internet, un mème extrait du jeu vidéo GTA : San Andreas dans lequel le héros, CJ, s’exclame laconiquement : «Ah shit, here we go again.» Eh oui, c’est reparti pour un tour. Comme si les deux dernières années n’avaient été qu’un perpétuel bégaiement, les principales organisations patronales (Medef, CPME, U2P) et syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC et CFTC) se retrouvent ce mardi 22 octobre pour discuter assurance chômage et emploi des seniors. Une négociation «flash», comme le dit la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, censée se conclure le 14 novembre.

On entend d’ici s’exclamer certains lecteurs : «Quoi, encore ? J’y comprends plus rien.» C’est vrai qu’il y a de quoi être perdu vu les méandres dans lesquels ces sujets se sont égarés depuis qu’est arrivée sur la table, début 2023, la réforme des retraites. Alors résumons le double enjeu : il s’agit, d’une part, de se mettre d’accord sur les règles d’indemnisation qui prévaudront pour les demandeurs d’emploi à compter du 1er janvier 2025, et, d’autre part, de trouver des dispositifs permettant de maintenir les seniors dans l’emploi, quand les entreprises françaises ont la fâcheuse habitude de les pousser massivement vers la sortie. Ce que le report de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite, encore âprement combattu, a rendu d’autant plus crucial.

Les deux dossiers sont enchâssés depuis que le gouvernement d’Elisabeth Borne a imposé aux acteurs sociaux, lorsqu’ils ont renégocié les règles de l’assurance chômage il y a un an, de décaler de deux ans les âges (aujourd’hui 53 et 55 ans) à partir desquels on bénéficie d’une indemnisation plus longue, symétriquement donc à l’âge de la retraite. Une mesure censée générer 440 millions d’euros d’économies annuelles. Sauf que les syndicats signataires de l’accord trouvé en novembre 2023, CFDT en tête, n’ont jugé ce recul acceptable qu’à condition que les entreprises fassent des efforts pour embaucher et surtout maintenir dans l’emploi les salariés les plus expérimentés. Le sujet fut donc inscrit au programme de la négociation sur un nouveau «pacte de la vie au travail», qui allait démarrer dans la foulée de celle sur l’assurance chômage… pour finalement échouer en avril. Le gouvernement de Gabriel Attal s’était jeté sur l’occasion pour dégainer sa propre réforme, terriblement sévère pour les privés d’emploi. Avant de la suspendre face à l’échec du camp présidentiel aux législatives.

«On n’a pas le droit de ne pas y arriver»

Quatre mois plus tard, la donne a changé. Un nouveau gouvernement est aux commandes, face à une Assemblée nationale très majoritairement hostile à la réforme de 2023. Aussi le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, semble-t-il enclin au «changement de méthode» déjà tant promis depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. Et cette fois, il y a dans l’air l’idée que ça pourrait être la bonne. Frédéric Souillot, le secrétaire général de FO, est «très optimiste». Plus tranchante, Marylise Léon estime qu’«on n’a pas le droit de ne pas y arriver». Quant au Medef, dont l’attitude avait été très critiquée durant la négociation sur la vie au travail, son président Patrick Martin est prêt à parler «entretiens de carrière, CDI de fin de carrière et retraites progressives». Enfin, au gouvernement, arbitre inévitable des élégances dès lors qu’il est question d’engager des dépenses, la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, conçoit ainsi son rôle : «Je nous vois comme des facilitateurs.» Tout le contraire de l’équipe Attal, accusée par le patronat et par une partie des syndicats d’avoir fait capoter la discussion sur la vie au travail en refusant par exemple d’engager la moindre dépense pour soutenir un élargissement de la retraite progressive. Or, c’est notamment de là que pourrait aujourd’hui venir le déblocage.

De quoi parle-t-on ? De la possibilité donnée à un salarié, à deux ans de l’âge légal de la retraite, de réduire son temps de travail en percevant une partie de sa retraite. Dispositif attrayant, mais terriblement sous-exploité : à peine 13 500 retraites progressives ont été attribuées en 2023, année à la fin de laquelle on dénombrait au total 27 000 bénéficiaires, soit 0,2 % des pensionnés. La raison en est simplement résumée par Jean-François Foucard, de la CFE-CGC : «Ça ne marche pas, parce qu’il faut l’accord de l’employeur.» Pour que les salariés s’en emparent vraiment, disent les syndicats, il faudrait en faire un droit opposable dès 60 ans. Aussi l’idée figurait-elle dans une liste de dix revendications soumise au patronat durant la négociation du printemps. Et demeure soutenue dans ces termes, notamment par la CFDT : «Il y a une très grosse attente des salariés, c’est un enjeu extrêmement important pour nous.» Selon plusieurs sources, le gouvernement serait prêt à faire un effort de 300 millions à 400 millions d’euros, sans que l’on sache combien de nouveaux bénéficiaires cela représenterait.

Lignes rouges

Une entente sur les seniors permettrait en tout cas de ficeler une bonne fois pour toutes le dossier de l’assurance chômage. L’accord de novembre 2023 servant de base de discussion, on y retrouverait des mesures comme l’assouplissement des conditions d’ouverture des droits pour les saisonniers et les primo-inscrits à France Travail. Le patronat tentera aussi de préserver la baisse de cotisations (-0,05 point) qu’il comptait s’octroyer. Quant à la CGT et la CFE-CGC, elles rappelleront les lignes rouges qui les avaient empêchées de signer en 2023. «Il n’y a pas de raison de transposer dans l’assurance chômage une réforme des retraites que l’on combat tous ensemble», rappelle Denis Gravouil, secrétaire confédéral de la CGT, au sujet des règles d’indemnisation des seniors.

La discussion démarre par ailleurs avec une nouvelle demande gouvernementale : Astrid Panosyan-Bouvet souhaite que les interlocuteurs sociaux dégagent 400 millions d’euros d’économies supplémentaires, qui sont d’ailleurs inscrits par le gouvernement au budget 2025, discuté depuis lundi soir à l’Assemblée nationale. Selon la ministre du Travail, des efforts pourraient être faits sur l’indemnisation des transfrontaliers, notamment ceux travaillant en Suisse. A ce stade, les syndicats ne se sentent pas contraints par la demande, formulée hors de tout cadre légal. Et ne comptent pas davantage la satisfaire. «Les chômeurs ont déjà été largement mis à contribution : 25 milliards d’euros depuis 2021», souligne Marylise Léon.