Nous y voilà, enfin presque. Un mois après avoir annoncé – un «crève-cœur» – que le gouvernement reprenait la main sur le dossier de l’assurance chômage, Catherine Vautrin reçoit, ces mercredi et jeudi, l’ensemble des représentants syndicaux et patronaux pour tracer les contours du futur décret qui doit faire évoluer les règles d’indemnisation à partir du 1er juillet. Selon le cabinet de la ministre du Travail, il s’agit de leur assurer «qu’aucune décision définitive [n’est] actée» et qu’elle «souhait [e] que ces échanges puissent permettre d’écouter et de faire bouger certaines lignes» d’ici à la présentation officielle de la réforme d’ici quelques jours. En fin de journée, Matignon précisait que les «arbitrages finaux seront pris» à l’issue des consultations, «et le Premier ministre aura l’occasion de faire les annonces dimanche».
«C’est très bien scénarisé», commente ironiquement François Hommeril, le président de la CFE-CGC, qui a été le premier reçu en fin de matinée ce mercredi. Car dans les faits, les principaux arbitrages semblent déjà actés, comme en atteste un article du Parisien qui prétend, dès la mi-journée, révéler le contenu de la réforme. Avec cette dernière, le gouvernement espère engendrer 3,6 milliards d’euros d’économies annuelles et créer 90 000 emplois. La première ambition est peut-être atteignable, mais elle confirme, pour Marylise Léon, que la réforme «est motivée d’abord par des aspects budgétaires». La secrétaire générale de la CFDT s’est exprimée auprès de Libération à sa sortie du ministère du Travail, mercredi soir. Pour la deuxième ambition, Frédéric Souillot, le secrétaire de FO qui a aussi vu Catherine Vautrin ce mercredi, n’y croit pas : «Ce n’est pas comme ça qu’on crée de l’emploi.» Quand bien même l‘objectif serait atteint, il ne représenterait toujours que «2 % des 5,5 millions de demandeurs d’emploi», raillent par ailleurs les députés socialistes de l’Assemblée nationale dans un communiqué.
Même si le décret est censé entré en vigueur au 1er juillet, difficile d’imaginer, pour ne pas dire impossible, que toutes les mesures qu’il comprendra soient aussitôt mises en œuvre, ne serait-ce que pour des raisons techniques. Plusieurs responsables syndicaux évoquent plutôt le mois de décembre 2024, avec une montée en puissance dans le courant 2025. La principale mesure du décret, déjà esquissée par Gabriel Attal à la mi-avril et révélée par les Echos mardi, consistera à durcir les conditions d’affiliation à l’assurance chômage. Pour ouvrir des droits lors de son inscription à France Travail, il faut actuellement avoir travaillé six mois sur les vingt-quatre derniers mois (la «période de référence»). Sauf revirement extraordinaire, il s’agira désormais d’exiger huit mois de travail répartis sur les vingt derniers mois.
La mesure serait aussi puissante financièrement que brutale socialement, avec des économies se chiffrant potentiellement en milliards d’euros, selon les calculs de l’Unédic présentés en fin de semaine dernière à ses administrateurs. Le nombre de chômeurs affectés serait aussi important : au moins 11 % verraient l’ouverture de leurs droits reportée par une durée de travail requise passant à sept mois. Ils seraient 32 % si la période de référence descendait à dix-huit mois. Sans surprise, de telles mesures auraient des conséquences principalement pour les moins de 25 ans (qui démarrent généralement leur carrière par des CDD) et ceux ouvrant des droits à l’issue d’un CDD ou d’une fin de mission d’intérim. Ce que le Premier ministre, Gabriel Attal, assumait à peu près publiquement, sur BFM TV le 18 avril, en prétendant vouloir s’en prendre à «un système qui s’est organisé pour des multiplications de petits contrats, des contrats courts, entre lesquels on bénéficie du chômage». Système contre lequel était déjà censée lutter la réforme entrée en vigueur fin 2021, qui avait durci les conditions d’affiliation.
Une prime pour inciter à l’embauche des seniors
Autre mesure évoquée par Catherine Vautrin ce matin, selon François Hommeril et Frédéric Souillot : un dispositif censé encourager les entreprises à embaucher des «seniors». Ces derniers aussi seront affectés par le projet du gouvernement, puisque le décret prévoira, selon toute vraisemblance, un relèvement de deux ans des âges auxquels on peut bénéficier d’une durée d’indemnisation plus longe – actuellement 53 et 55 ans, pour une durée maximale de 27 mois contre 18 mois dans le régime commun. Le gouvernement estime que cette mesure est cohérente avec le report de deux ans de l’âge légal de la retraite résultant de sa dernière réforme. Pour les encourager à reprendre un emploi moins bien payé que le précédent, il est donc prévu de leur verser une «prime complémentaire d’activité», selon François Hommeril. Laquelle serait, potentiellement, financée par le régime de l’assurance chômage. Résumé sarcastique par le président de la CFE-CGC : «Je suis une entreprise, je balance tout le monde à 55 ans, et après deux ans de chômage je les récupère à moitié prix.»
Un nouveau seuil pour réduire la durée d’indemnisation
Parmi les autres mesures sur la table figure un élargissement, dans des proportions pas encore clairement définies, du bonus-malus sur les contrats courts censé décourager les entreprises d’en abuser. «On a demandé sa généralisation à l’intérim», indique Frédéric Souillot, le secrétaire général de FO. Idem du côté de la CFDT, rapporte Marylise Léon à sa sortie du ministère, mercredi soir. Ainsi qu’un nouveau seuil à partir duquel la durée d’indemnisation serait réduite : en février 2023, celle-ci a baissé de 25 % (de 24 à 18 mois) au nom de la conjoncture favorable (le taux de chômage était à 7,1 %). Il s’agirait de la réduire encore si le taux de chômage atteint ou passe sous les 6,5 %. Ce qui, a rappelé Catherine Vautrin à ses interlocuteurs, ne s’est pas vu depuis 1981. Lorsque Olivier Dussopt était ministre du Travail, le gouvernement avait envisagé une baisse de 40 % de la durée d’indemnisation à partir de 6 % de chômage. Ce qui aurait correspondu à une indemnisation plafonnée à 14 mois et demi.
Le gouvernement adoptant cette réforme par décret, les syndicats n’auront pas beaucoup de marge de manœuvre pour s’y opposer. FO a d’ores et déjà prévu de l’attaquer devant le Conseil d’Etat, comme pour la réforme de 2019, ce qui avait conduit à son report et à son atténuation. «On verra les leviers à activer pour la combattre», dit prudemment Marylise Léon. A l’Assemblée nationale, une proposition de loi du groupe Liot donnera l’occasion de mettre le sujet en débat, mais sans grand espoir de contrecarrer les plans gouvernementaux. Du côté du patronat, le président du Medef, Patrick Martin, a sans surprise apporté son soutien à la réforme mardi matin, tout en prévenant qu’il faudrait «être attentif à ce que les jeunes ne soient pas pénalisés».
Mise à jour 21h40 avec les déclarations de Marylise Léon.