Qu’est-ce qui change pour les demandeurs d’emploi ce jeudi 1er août ? Eh bien, rien, et en un sens c’est ça l’info, aussi maigre soit-elle au premier abord. Est ainsi paru, au Journal officiel du jour, un décret du gouvernement qui prolonge jusqu’au 31 octobre les règles d’indemnisation actuellement en vigueur. Il est utile d’en rappeler rapidement les grandes lignes, tant les esprits ont pu être troublés par la récente agitation politique sur le sujet. Pour l’heure et au moins jusqu’au 1er novembre donc, il faut avoir travaillé six mois sur les vingt-quatre derniers mois pour ouvrir des droits. La durée d’indemnisation maximale est de 18 mois pour les salariés de moins de 53 ans, de 22,5 mois pour ceux ayant 53 ou 54 ans, de 27 mois pour les 55 ans et plus.
Ces règles, entrées en vigueur en février 2023, avaient déjà été prolongées pour six mois par le gouvernement le 1er janvier 2024, puis pour un mois supplémentaire le 30 juin, au soir du premier tour des élections législatives. Alors qu’un décret mettant en œuvre une nouvelle réforme – durcissement des conditions d’accès, nouvelle baisse de la durée d’indemnisation – était censé paraître le lendemain, le Premier ministre, Gabriel Attal, avait fait ce geste en gage de bonne volonté après la déculottée essuyée par la minorité présidentielle. Depuis, la situation n’a pas bougé d’un iota, si ce n’est que le même gouvernement, désormais démissionnaire, n’a plus – pour l’heure – la marge de manœuvre politique nécessaire pour remettre sur l’ouvrage la réforme suspendue. «Au moins, ce décret, on en a eu la peau», se convainc Denis Gravouil, secrétaire confédéral de la CGT, qui ne rate pas cette rare occasion de saluer «une victoire syndicale».
Mais puisqu’il faut bien tout de même un décret pour que France Travail continue d’indemniser les demandeurs d’emploi à compter de ce jeudi, c’est reparti pour un tour : les règles perdureront trois mois, et pour la suite, on verra plus tard. Assez rapidement tout de même. Dans la mesure où l’équipe gouvernementale ne changera pas avant la mi-août, le dossier se trouvera au sommet de la pile des urgences à traiter par le ou la future Première ministre, quel que soit le bord politique dont il ou elle sera issue.
Trois scénarios
Trois options seront alors sur la table. La première : si d’aventure les macronistes se maintenaient au pouvoir, il n’est pas exclu qu’ils tentent de refaire passer par décret la réforme suspendue fin juin par Gabriel Attal, en la modifiant plus ou moins profondément. Ainsi, l’idée de «réformer l’assurance chômage» figure encore, sans qu’il soit précisé quelle forme prendrait cette réforme, dans le «Pacte d’action» que le groupe Ensemble pour la République (ex-Renaissance) a débattu mardi 30 juillet en vue de le soumettre aux autres forces politiques avec lesquelles il envisage de gouverner. Durant la campagne des élections législatives, Gabriel Attal avait expliqué «souhaite[r] qu’il puisse y avoir des concertations relancées autour de cette réforme avec les partenaires sociaux et les forces politiques représentées au Parlement».
Les deux autres options – pas forcément exclusives l’une de l’autre – consisteraient soit à redonner la main aux acteurs sociaux (patronat et syndicats) pour qu’ils se mettent d’accord sur une nouvelle convention, soit à agréer la convention que ces mêmes acteurs sociaux avaient soumise au gouvernement en novembre 2023, et que la Première ministre de l’époque, Elisabeth Borne, avait écartée au motif qu’il y manquait des mesures durcissant les conditions d’indemnisation des seniors. La lettre de cadrage émise par le gouvernement à l’été 2023 demandait en effet aux négociateurs de tirer les conséquences de la réforme des retraites, autrement dit de décaler de deux ans les âges à partir desquels on bénéficie d’une indemnisation plus longue. Or, la copie rendue en novembre renvoyait ce sujet à l’issue des négociations sur un «pacte de la vie au travail» qui se sont, elles, soldées par un échec en avril.
La première hypothèse – rouvrir une négociation – est la plus défendue par certains syndicats, notamment la CGT. Mais cette fois, «il n’est pas question que ça reparte sur un accord négocié sous la contrainte de baisses de droits», prévient Denis Gravouil. Au contraire, la CGT y voit une opportunité d’annuler les précédentes réformes (celle de 2021 ayant réformé le calcul de l’allocation, et celle de 2023 ayant réduit la durée d’indemnisation) pour «repartir d’une page blanche». Voire, pourquoi pas, revenir aux règles d’avant 2018, quand les pouvoirs du gouvernement étaient nettement réduits et les acteurs sociaux davantage au centre du jeu. Ce serait «le scénario idéal», rêve aussi à voix haute Olivier Guivarch, le secrétaire national de la CFDT chargé de l’assurance chômage, tout en admettant qu’il «n’arrivera pas, en tout cas pas rapidement». Même ambiance chez FO, où Michel Beaugas appelle de ses vœux «une lettre de cadrage qui permette de repartir sur cette base [antérieure à 2018], ou qui nous laisse les mains libres sur les dispositifs d’indemnisation».
D’un point de vue syndical, l’idéal pour espérer voir ce scénario mis en œuvre serait un gouvernement issu du Nouveau Front populaire, la coalition de gauche ayant promis de ne pas appliquer la nouvelle réforme voulue par le gouvernement sortant et de rappeler syndicats et patronat à la table des négociations.
Emploi des seniors
Mais même dans cette hypothèse, «ça va être compliqué», admet Michel Beaugas. En effet, le gouvernement a décidé en 2023 de ponctionner les recettes de l’Unédic à hauteur de 12 milliards d’euros entre 2023 et 2026, notamment pour financer sa réforme mettant en place «France Travail». Pour ce faire, un arrêté a d’ores et déjà fixé le calendrier, avec des prélèvements s’échelonnant de 2 milliards d’euros en 2023 à 4,1 milliards en 2026. Or, si l’Unédic est nettement excédentaire et devrait le rester durablement, ces prélèvements réduisent lourdement la marge de manœuvre des syndicats, dans la mesure où revenir sur les dernières réformes pourrait faire repasser les comptes dans le rouge.
Dans cette configuration financièrement serrée, FO plaide donc pour, dans l’immédiat, reprendre la convention conclue en novembre 2023 par trois syndicats (FO, la CFDT et la CFTC) et l’ensemble du patronat et écartée par le gouvernement au profit de sa nouvelle réforme avortée. Cet accord prévoyait un léger assouplissement des conditions d’indemnisation des saisonniers et des primo-inscrits à France Travail, mais aussi une réduction du taux de cotisation patronal. Cela «nécessiterait qu’on discute du maintien en emploi des seniors, avec des mesures spécifiques pour que les entreprises prennent conscience de la nécessité de les garder dans de bonnes conditions», avertit toutefois Olivier Guivarch, qui se dit prêt à le faire dès le mois de septembre.
Il faudrait alors reprendre les discussions qui s’étaient soldées par un échec au mois d’avril, quand patronat et syndicats n’étaient pas parvenus à s’entendre précisément sur cet enjeu de l’emploi des seniors. Côté patronal, Eric Chevée, le vice-président de la CPME chargé des questions sociales, se montrait ouvert à cette option auprès de Libération début juillet : «Si le futur gouvernement est motivé, ça peut être une solution», disait-il. Assurant au passage qu’en avril, «on n’était pas loin d’un accord sur les seniors». Pas sûr que les syndicats partagent cette lecture : on se souvient que les discussions s’étaient sèchement achevées, dans la nuit du 9 au 10 avril, face à une copie patronale jugée unanimement inacceptable.