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Libération
Reportage

Au dépôt TotalEnergie des Flandres, «ça fait drôle d’avoir des policiers qui viennent chez vous»

Près de Dunkerque, les grévistes ont reconduit leur mouvement malgré les réquisitions et l’accord signé par la direction de TotalEnergies et une partie des syndicats.
Devant la raffinerie TotalEnergies de Mardyc, près de Dunkerque. (Pascal Rossignol/Reuters)
publié le 14 octobre 2022 à 20h53

«Est-ce que chaque salarié devra être poussé par la police pour venir travailler ?» La voix se noie au milieu d’autres protestations de grévistes massés ce vendredi devant le portail du dépôt de carburants de Mardyck, près de Dunkerque (Nord). Le commissaire de la circonscription, lui, a déjà tourné les talons. «Ils essayent de nous faire rentrer sans utiliser la force et que les médias voient ça», commente Frédéric, chef de l’équipe réquisitionnée pour l’après-midi.

La grève sur le site de Mardyck, qui alimente la moitié des dépôts pétroliers des Hauts-de-France, entre dans sa troisième semaine. Lancé le 27 septembre, le mouvement impacte depuis plusieurs jours les réserves en carburant de nombreuses stations-service de la région. Un quart sont aujourd’hui en rupture partielle, créant des files d’attente de plusieurs kilomètres par endroits, des tensions entre clients, des véhicules en panne sèche abandonnés sur le bord de la route et des craintes de pénurie chez les personnels soignants et les agriculteurs. Autant de motifs justifiant les réquisitions de personnel, considère le texte signé par le préfet du Nord et validé par le tribunal administratif dans l’après-midi après le rejet d’un recours en référé déposé par la CGT.

«TotalEnergies n’a pas été capable de régler son dialogue social.»

Les forces de l’ordre ont sonné chez Frédéric et deux autres de ses collègues en fin de matinée pour les sommer de venir travailler. «Ça fait drôle d’avoir des policiers ou des gendarmes qui viennent chez vous pour une négociation salariale. Même eux, ils étaient gênés de nous donner le papier», raconte le chef de quart. «Il faut dénoncer le catastrophique niveau de dialogue social de l’entreprise, dénonce Clément Mortier, délégué Force ouvrière du site. Le gouvernement a dû intervenir auprès des préfets pour réquisitionner du personnel parce que la compagnie TotalEnergies n’a pas été capable de régler en interne son dialogue social.»

Son organisation syndicale arrête cependant la grève, après la signature d’un accord convenu dans la nuit entre la direction générale et les syndicats CFDT et CFE-CGC, majoritaires ensemble à l’échelle du groupe. La CGT a refusé d’aller plus loin sur un accord bien en deçà de leurs revendications. Benjamin Tange, élu CGT au dépôt de Mardyck, y était. Il a quitté la discussion vers 2h30 du matin. Devant ses collègues, le syndicaliste rappelle quelques chiffres au micro : «En 2014, notre PDG Patrick Pouyanné possédait 50 000 actions. En 2022, il possède 350 000 actions. Ses actions lui ont permis de toucher 200 000 euros de dividendes en 2014 et 1,4 million d’euros en 2022. Et, on vient nous dire tout au long de la réunion que nous étions des enfants gâtés.» Pour le représentant CGT, «TotalEnergies avait largement les moyens de répondre aux revendications des grévistes et de sortir par le haut de cette crise.»

«Ils nous avaient dit “aller chier”»

Son syndicat, majoritaire dans les raffineries et dépôts du groupe, réclamait 7% d’augmentation générale de salaires pour compenser l’inflation et 3% supplémentaires au titre des bénéfices du groupe. «Je rappelle que sur les trois dernières années, nous avons eu 7,35% d’augmentation générale. Ça veut dire moins de 3% par an dans un groupe qui ne sait plus où planquer les milliards», tempête Benjamin Tange. «L’augmentation garantie pour le personnel est de 5%, donc on sait déjà que l’accord ne prévoit même pas d’aligner nos salaires au niveau de l’inflation. La direction ajoute à ça, comme elle l’habitude de le faire, une augmentation individuelle de 2% qui est liée aux performances pour annoncer ensuite un chiffre de 7%. On sait très bien d’expérience ici, à l’établissement des Flandres, que moins de la moitié des salariés perçoivent ce petit bonus», détaille Clément Mortier (FO).

Devant les grilles, des salariés votent sans hésiter la poursuite de la grève, portée dorénavant uniquement par la CGT. «S’il n’y avait pas eu de mouvement, ce qui a été mis sur la table aurait été bien en dessous. Total a mis un genou à terre. Ils nous avaient dit “aller chier” il n’y aura pas de négociation avant novembre (pour les négociations annuelles obligatoires), et finalement ils sont venus négocier», se réjouit Benjamin Tange, qui regarde désormais vers la journée interprofessionnelle de mardi. Plusieurs secteurs ont appelé à la grève. «Plus le pays se mobilise, mieux ce sera», espère Guillaume. Le salarié, non syndiqué, fait partie des réquisitionnés de la journée : «On a été les premiers impactés par notre grève pour aller travailler. Moi aussi, j’ai dû faire la queue pour mettre le plein ! Mais on subit tous l’inflation. La baguette augmente à 1,50 euro. Le carburant est à deux euros le litre. Ce n’est pas normal de subir comme ça sans qu’il ne se passe rien. Au premier janvier quand il n’y aura plus les boucliers tarifaires, ça va devenir très compliqué !»