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Façon puzzle

Avec l’élection de Gilbert Houngbo à la tête de l’OIT, Muriel Pénicaud rate son recasage

Présentée par la France malgré ses textes de loi bien éloignés des missions de l’Organisation internationale du travail, l’ancienne ministre du Travail n’est pas parvenue à se recaser à ce prestigieux poste. L’ex-Premier ministre du Togo devient, lui, le premier président africain de l’organisation.
L’ex-Premier ministre du Togo devient le premier président africain de l’organisation. (Tiziana Fabi/AFP)
publié le 25 mars 2022 à 14h09

C’est un parachutage qui s’est transformé en explosion en plein vol. L’ancien Premier ministre du Togo, Gilbert Houngbo, a été élu ce vendredi à la direction générale de l’Organisation internationale du travail (OIT) avec 30 voix contre 23 pour l’ancienne ministre du Travail d’Emmanuel Macron. Il prendra ses fonctions début octobre, succédant à l’ancien syndicaliste britannique Guy Ryder, en poste depuis 10 ans et qui a atteint la limite des deux mandats.

Cinq candidats étaient en lice pour cette élection. La principale opposante de Gilbert Houngbo était donc la Française soutenue par Paris et le bloc européen. Une «proposition déplacée du gouvernement» écrivions-nous dans Libération. Mais la ministre du Travail de mai 2017 à juillet 2020, qui a initié les grandes réformes sociales et contestées du quinquennat d’Emmanuel Macron, comme celles du Code du travail ou de l’assurance chômage, a échoué.

Les décisions prises par Pénicaud semblaient en contradiction avec la mission que se donne l’organisation : «L’OIT a pour vocation de promouvoir la justice sociale, les droits de l’homme et les droits au travail reconnus internationalement, poursuivant sa mission fondatrice : œuvrer pour la justice sociale qui est indispensable à une paix durable et universelle.» L’annonce de sa candidature avait d’ailleurs été vivement critiquée par les syndicats. Quelques minutes seulement après l’annonce de sa défaite, la CGT Ministère du Travail a d’ailleurs tweeté : «M. Penicaud est largement battue et elle ne prend pas la tête de l’OIT ! C’est une bonne nouvelle pour les travailleur.se.s dont elle a piétiné les droits et pour les inspecteur.trices du travail qu’elle a cherché à museler !»

«Insuffler un nouvel élan à l’OIT»

Le vainqueur, Gilbert Houngbo, devient le premier Africain à être élu à la tête de l’OIT. Natif d’une préfecture rurale du Togo, il a passé la majorité de sa carrière dans les organisations internationales, où il est vu comme un haut fonctionnaire chevronné. Houngbo, 61 ans, préside actuellement le Fonds international de développement agricole (FIDA) à Rome. Mais il connaît très bien l’OIT où il a occupé le poste de directeur adjoint (2013-2017) en charge des opérations sur le terrain. Ancien secrétaire général adjoint des Nations unies, directeur du Programme des Nations unies pour le Développement (Pnud), il a été également membre de l’équipe stratégique et directeur administratif et financier de l’organisation.

Dans sa candidature, il avait souligné que sa vision de l’OIT s’inspire du préambule de la Constitution de l’organisation : «Attendu qu’une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale». «Les progrès accomplis ces dernières décennies en matière de justice sociale doivent être préservés et protégés, et les solutions mondiales aux nouveaux défis et opportunités doivent être centrées sur les valeurs humaines, environnementales, économiques et sociétales. En bref, un nouveau contrat social mondial s’impose», avait-il écrit. «Si je suis élu, j’entends insuffler un nouvel élan à l’OIT, la repositionner au cœur de l’architecture sociale mondiale et atténuer le risque de voir sa stature s’éroder. Pour cela, je propose un ambitieux programme mondial de justice sociale», avait-il ajouté.

L’OIT jamais dirigée par une femme

Le prochain patron de l’OIT aura pour lourde tâche de faire adapter les normes de cette organisation centenaire à un marché du travail en pleine mutation sous l’effet des nouvelles technologies. D’autant que la pandémie de Covid-19 a donné un coup d’accélérateur aux technologies de télétravail qui permettent d’abolir les barrières géographiques et de travailler en équipe à distance.

Née au lendemain de la Grande Guerre en 1919, l’OIT n’a jusqu’à présent jamais été dirigée par une femme, ni par un représentant d’Afrique ou d’Asie. Les cinq candidats devaient convaincre les représentants des gouvernements, mais également ceux des employeurs et des syndicats, les 187 Etats membres de l’OIT étant représentés par les trois branches. Mais seuls les 56 membres titulaires du Conseil d’administration, à savoir 28 membres gouvernementaux, 14 membres employeurs et 14 membres travailleurs, ont pu voter. Disposant d’un siège permanent, la Russie a pu participer au vote, en dépit de la décision prise cette semaine par l’OIT de «suspendre provisoirement» sa coopération avec la Russie à cause de l’invasion de l’Ukraine.