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Bas salaires

Budget 2025 : les entreprises mises à contribution pour 5 milliards d’euros de cotisations supplémentaires

Rompant avec sept années de macronisme, le gouvernement Barnier, dans son projet de loi de finances présenté ce jeudi 10 septembre, veut réviser le système d’exonérations qui se sont additionnées ces dernières décennies, pour inciter les entreprises à embaucher. Les aides à l’apprentissage sont aussi dans le viseur.
Une installation de panneaux photovoltaïques à La Rivière-de-Corps, le 18 octobre 2022. (Claire Jachymiak/Hans Lucas pour Libération)
publié le 10 octobre 2024 à 20h05

C’est un revirement sans précédent dans les politiques de l’emploi menées depuis trois décennies. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025, dévoilé par le gouvernement ce jeudi 10 octobre, prévoit de dégager 5 milliards d’euros dès l’année prochaine grâce à une révision substantielle du système des exonérations de cotisations, qui bénéficie à l’ensemble des entreprises françaises sur les salaires allant jusqu’à 3,5 smic (près de 6 200 euros brut pour un temps plein). Ces «allègements», qui se sont empilés depuis les années Balladur (Premier ministre en 1993, précisons-le pour les plus jeunes) au nom de la sauvegarde de l’emploi par temps de désindustrialisation et de chômage massif, ont conduit à ce qu’un salarié au smic (1 767 euros brut mensuels jusqu’au 1er novembre) soit presque intégralement exonéré de cotisations pour son employeur. Sous l’effet de la progression rapide du salaire minimum depuis 2021 (+ 16 %), le coût de ces allègements pour les finances publiques – puisqu’ils sont compensés par l’Etat – a considérablement enflé, atteignant près de 75 milliards d’euros en 2023.

La gauche propose 8 milliards d’euros d’économies

Le projet du gouvernement consiste à revoir le système à ses deux bornes, et en deux temps. Dès 2025, il s’agirait de réduire de deux points les exonérations (autrement dit, de relever de deux points les cotisations) au niveau du smic et jusqu’à 1,3 smic. Parallèlement, les exonérations de cotisations à l’assurance maladie (le «bandeau maladie»), qui vont jusqu’à 2,5 smic, s’éteindraient désormais à 2,2 smic. Et celles sur les cotisations destinées à la branche famille (le «bandeau famille») de la Sécurité sociale prendraient fin à 3,2 smic au lieu de 3,5. En 2026, les exonérations au niveau du smic seraient réduites de deux points supplémentaires, mais parallèlement, elles seraient renforcées pour les salaires entre 1,3 et 1,8 smic.

Cette mesure tire les conséquences de plusieurs études et rapports ayant établi que les exonérations de cotisations au-delà de 2,5 smic avaient un effet quasiment nul sur l’emploi. Elle s’inspire aussi du copieux travail réalisé par Antoine Bozio et Etienne Wasmer, qui ont remis la semaine dernière un rapport sur le sujet. Cependant, si les deux économistes préconisaient de revoir substantiellement le système, ils ne proposaient pas dans leur scénario central de l’amender pour tirer des marges budgétaires immédiates, mais avant tout pour redynamiser les salaires. En effet, la pente des exonérations jusqu’à 1,6 smic est accusée, par sa raideur et par les effets de seuil qu’elle génère, de favoriser le phénomène des «trappes à bas salaires». Lisser la pente entre 1,3 et 1,8 smic pourrait donc, espère le gouvernement, pousser les employeurs à davantage augmenter leurs salariés. Lors d’une conférence de presse mercredi 9 octobre, les partis du Nouveau Front populaire ont présenté un projet alternatif, lui aussi inspiré du rapport Bozio-Wamer, avec un lissage des exonérations jusqu’à 2 smic et une suppression des bandeaux «famille» et «maladie», en expliquant que cela générerait 8 milliards d’euros d’économies.

Avant même la présentation du budget, le patronat a dénoncé à plusieurs reprises cette mise à contribution des entreprises. «Cela détruira plusieurs centaines de milliers de postes, dans les secteurs pourvoyeurs d’emploi sur les territoires, en proximité : la propreté, la restauration collective, l’aide à la personne…» assure ainsi Patrick Martin, le président du Medef, dans les Echos. Le sujet promet de susciter d’âpres débats dans et en dehors de l’Assemblée.

Les aides à l’apprentissage dans le viseur

D’autant que les employeurs pourraient aussi voir se réduire un autre flot d’aides publiques, dans le domaine – très symbolique des années Macron – de l’apprentissage. Depuis 2023, les entreprises de toutes tailles se voient gratifiées d’une prime de 6 000 euros pour l’embauche d’un apprenti. La mesure a permis la signature de 852 000 nouveaux contrats en 2023, mais aussi des effets d’aubaine dans de grandes entreprises ou pour des étudiants dans des cursus supérieurs à bac + 3 qui ne rencontrent pas forcément de problème pour s’insérer sur le marché de l’emploi. Pour 2025, Bercy veut «rationaliser» les dépenses occasionnées en les ramenant à 3,5 milliards d’euros, en baisse de 1,2 milliard d’euros. Un «quantum», précise le gouvernement, qui donne du mou pour jouer sur différents critères : la taille de l’entreprise (réduire ou supprimer l’aide pour celles de plus de 250 salariés par exemple), le niveau de qualification des apprentis (exclure les bac + 3 ou plus), ou un coup de rabot généralisé qui ferait passer la prime à l’embauche de 6 000 à 4 500 euros. Une partie du patronat, notamment l’U2P qui représente des artisans et indépendants, s’est déjà élevée contre cette dernière hypothèse. Mais rien n’est arbitré à ce stade, assurait le gouvernement ce jeudi.