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Justice

Carrefour devant la justice, accusé par la CFDT d’avoir mis en place un «plan social déguisé»

Pour le syndicat, qui réclame 23 millions d’euros d’indemnisation, le fait que le géant de la distribution exploite de plus en plus des magasins en franchise et location-gérance entraîne des «conséquences sociales dont l’entreprise malheureusement ne se préoccupe pas».

Le PDG du groupe Carrefour, Alexandre Bompard, à Massy près de Paris, le 28 mai 2025. (Jeremy Paolini/ABACA)
Publié le 26/09/2025 à 9h59

Le passage en location-gérance de nombreux magasins Carrefour cache-t-il un «plan social déguisé», comme l’affirme la CFDT ? La justice se penche ce vendredi 26 septembre sur la question, un an et demi après l’assignation du géant de la distribution par le syndicat.

Depuis l’arrivée à sa tête d’Alexandre Bompard en 2017, Carrefour a effet fait évoluer son modèle pour exploiter de plus en plus largement des magasins en franchise et en «location-gérance». Cette manœuvre permet à Carrefour, coutumier de ce genre d’opérations, de conserver sa part de marché commerciale tout en externalisant certains coûts, notamment les salaires, pris en charge par des commerçants indépendants franchisés. Le distributeur affirme que cela évite de fermer des magasins, mais les syndicats dénoncent un «plan de restructuration déguisé», car, ce faisant, le groupe se désengage.

Au total, depuis 2018, ce sont «344 magasins (95 hypers et 249 supermarchés) qui ont été cédés à des repreneurs et plus de 27 000 salariés qui sont sortis des effectifs» de Carrefour, selon les estimations de la CFDT communiquées en janvier.

Dénonçant un «plan social déguisé», le syndicat a ainsi attaqué le numéro 1 français de la grande distribution en mars 2024 pour pratiques abusives devant le tribunal judiciaire d’Evry (Essonne). Il réclame 23 millions d’euros d’indemnisation pour les salariés lésés et l’arrêt des transferts en location-gérance. Une «quarantaine de militants» sont attendus devant le tribunal avant le début de l’audience, prévue à 15 heures, a indiqué Erwanig Le Roux, délégué CFDT du groupe Carrefour.

«Conséquences sociales»

Plus tôt dans l’année, la CFDT avait demandé au même tribunal, duquel dépend le siège de Carrefour à Massy, d’empêcher le passage en 2025 d’une quarantaine de magasins en location-gérance, dans l’attente d’un jugement sur le fond. Mais fin mars, le juge des référés s’est déclaré incompétent.

La location-gérance «sert en général à l’expansion» d’une entreprise, a expliqué Erwanig Le Roux, reprochant à Carrefour d’y recourir «à l’envers». «En un claquement de doigts, ils se débarrassent d’un hypermarché, de ses salariés, de son déficit», en contournant les «dispositifs légaux» habituels comme les plans de sauvegarde de l’emploi, «plus coûteux», a-t-il également estimé.

Pour sa part, le directeur exécutif des ressources humaines de Carrefour, Jérôme Nanty, se défend : «Je ne comprends pas comment on peut nous reprocher d’avoir mis en place un dispositif qui était très exactement destiné à préserver le magasin et les emplois qui s’y attachent.» Ce modèle a permis de sauver des magasins, s’était également défendu Alexandre Bompard en mai, invoquant notamment la forte concurrence des plateformes asiatiques comme Shein et Temu.

Mais pour la CFDT, cette stratégie entraîne de lourdes «conséquences sociales dont l’entreprise malheureusement ne se préoccupe pas», relate Erwanig Le Roux. Car s’ils conservent leur tenue Carrefour, les salariés passés en location-gérance perdent – passé un délai de quinze mois durant lequel peut être négocié un accord de substitution – certains avantages sociaux (primes d’intéressement et de participation, sixième semaine de congé, etc.) propres au géant coté au CAC 40.

Au total, selon la CFDT, la perte de rémunération dépasse les 2 500 euros par an. Ce montant cumule des «hypothèses qui dans la réalité ne se produisent jamais ensemble», répond Jérôme Nanty.

«Les salariés sont déprimés»

Autre motif d’inquiétude pour la CFDT, la dégradation des conditions de travail et la baisse des effectifs constatés selon elle dans les magasins en location-gérance. Les effectifs de ces magasins ont évolué au même rythme que dans «les magasins intégrés» ou dans le reste de «la grande distribution», rétorque Jérôme Nanty.

Reste qu’au Carrefour Douai-Flers, situé à Flers-en-Escrebieux (Nord) et passé en location-gérance en mars 2024, «les salariés sont déprimés», assure à l’AFP Estelle Faggiano, déléguée CFDT. «On a dû ouvrir une cellule psychologique», ajoute cette hôtesse de caisse de 43 ans, dont 25 passés chez Carrefour.

Selon elle, les effectifs de son magasin sont tombés dernièrement de «285 à 244». «Au début, c’était une fierté, travailler chez Carrefour» mais «ça s’est dégradé», déplore-t-elle, blâmant le distributeur pour son absence de «suivi».

Le combat de la CFDT n’est pas la seule épine dans le pied de l’entreprise. L’Association des franchisés Carrefour, qui revendique 260 magasins, l’a assignée fin 2023 devant le tribunal de commerce de Rennes, dénonçant une relation commerciale déséquilibrée. Elle est soutenue par le ministère de l’Economie, qui a préconisé d’infliger à Carrefour une amende de 200 millions d’euros.