Camille (1) est arrivée en avance. Assise sur une marche, cette institutrice de 45 ans attend des collègues pour le nouveau concert de casseroles prévu dans tout le pays à l’initiative d’Attac. A Vienne (Isère), la place de l’Hôtel de ville est encore déserte quelques minutes avant 20 heures ce lundi. Dans cette ville de 30 000 habitants située au sud de Lyon, la mobilisation contre la réforme des retraites a rassemblé du monde ces derniers mois. Camille n’a manqué aucune manifestation : «On prend toujours aux mêmes alors qu’on ne demande aucun effort au patronat, s’indigne-t-elle. Le néolibéralisme essaie d’aller encore plus loin, il y a eu plein de cadeaux faits aux grandes entreprises, aux banques et aux géants du CAC 40 pendant le Covid, mais malgré leurs superprofits, tout repose sur les pauvres, les travailleurs et les travailleuses, y compris l’inflation.»
Malgré sa déception, celle qui a «cru» au mouvement de protestation reconnaît le désespoir de sa cause : «Je veux juste montrer à Macron et son gouvernement qu’on est encore là. Il a hyper mal réagi aux premières casseroles, ça m’a mise encore plus en colère, c’est un vrai déni de démocratie.» A 20 heures, plusieurs dizaines de personnes se mettent à carillonner avec leurs ustensiles. «Les woks sont interdits», plaisante un monsieur. Une poignée de drapeaux affichent les couleurs de la LDH, la Ligue des droits de l’homme, de la France Insoumise, d’Europe Ecologie-Les Verts ou encore de la CFDT. Une voiture klaxonne en passant, un sifflet et un gazou soutiennent le rythme du tintamarre. Une dame agite deux couvercles pour faire des cymbales, un monsieur frappe une vieille bassine en fer. Il y a surtout des quinquagénaires et des sexagénaires, un ou deux jeunes et pas mal de profs.
«Le combat de nos anciens est en train d’être détruit par Macron»
Le fonctionnaire de la DGSI du coin estime à la louche qu’ils sont soixante, spectateurs compris. Epiphanie acoustique à 20 h 12 : les casseroles se synchronisent sur un rythme ternaire et les gens scandent à l’unisson un «Macron démission !». Puis «On est là». Jérôme chante en ruinant méthodiquement, à coups de cuillère en bois, un moule à madeleines. «On n’en mange pas à la maison, c’était soit la déchetterie, soit la macronie, alors on le sacrifie ce soir», explique cet artisan de 61 ans. Il rêve d’une démission du président, dont «toutes les décisions vont à l’encontre du peuple», et d’une «refonte complète de la Ve République» : «Le problème, ce n’est pas seulement la réforme des retraites, c’est tout le système… Ce qui a été créé par le combat de nos anciens est en train d’être détruit par Macron et son équipe, la démocratie n’existe plus», tranche l’homme.
L’espèce de batucada de bric et de broc se lance dans une déambulation : ce soir, la séance du conseil municipal présidé par Thierry Kovacs, maire Les Républicains de Vienne, ne se tient pas à l’hôtel de ville mais dans une annexe. La troupe s’y rend et parvient à suspendre la séance durant une dizaine de minutes. Sous les voûtes de pierre, le son métallique assourdissant déplaît fortement à l’élu de droite. «Ce n’est qu’un au revoir», chantent en rigolant les percussionnistes qui font marche arrière.
Après une heure de dissonances, le temps est venu de se disperser. «On va la faire retirer cette réforme», veut croire Quentin Dogon, 36 ans, enseignant en lycée, candidat EE-LV malheureux de la Nupes dans la 8e circonscription de l’Isère aux dernières élections législatives. «Macron nous parle de cent jours mais ce n’est pas la peine de faire semblant d’écouter si après, c’est pour décider ce qu’ils veulent.» Pour le militant, les soirées casseroles permettent «d’espérer, toujours, le référendum d’initiative populaire». Et de montrer aux sénateurs, «qui devraient faire partie des contre-pouvoirs», qu’après l’avis du Conseil constitutionnel sur le texte de la réforme, «même eux, ils se sont bien fait avoir».
(1) Le prénom a été modifié.