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Management low-cost

Chez Lidl en Bretagne, toute une direction soupçonnée de harcèlement

Le directeur régional de l’enseigne de hard-discount et plusieurs cadres ont été placés en garde à vue mardi, après des plaintes pour harcèlement et discrimination syndicale, dans un dossier d’une ampleur inédite.
Une partie de l'équipe encadrante de l’entrepôt logistique de Lidl à Ploumagoar, près de Guingamp (Côtes-d’Armor), a été placée en garde à vue mardi. (Fabrice Picard/Vu pour Libération )
publié le 17 février 2021 à 19h10

Une opération hors norme. Mardi matin, 25 gendarmes ont débarqué à l’entrepôt logistique de Lidl à Ploumagoar, près de Guingamp (Côtes-d’Armor). Sur commission rogatoire d’un juge d’instruction, des perquisitions, notamment informatiques, ont été menées dans les locaux, qui abritent aussi la direction régionale de l’enseigne, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte l’été dernier pour «harcèlement dans le cadre du travail». Des documents et du matériel informatique ont été saisis. Le directeur régional et huit autres membres de l’équipe d’encadrement ont été emmenés par les gendarmes et placés en garde à vue. Celles-ci ont été levées dans la soirée, mais l’enquête se poursuit.

«On est encore au début des investigations. L’étude des documents saisis va prendre du temps, il y aura sans doute d’autres auditions par la suite», informe le procureur de la République de Saint-Brieuc, Bertrand Leclerc. Tout est parti de «signalements syndicaux et de plaintes de salariés», poursuit-il. En juillet 2020, la CGT adresse un courrier au parquet de Saint-Brieuc, après de multiples alertes auprès de la direction nationale de Lidl, de la médecine et de l’inspection du travail, restées sans effet. Le syndicat, majoritaire localement, est en conflit depuis de longs mois avec la direction, accusée de s’en prendre aux représentants du personnel. «Je n’ai jamais vu autant d’élus attaqués, licenciés, mis sous pression», relate à Libération un délégué CGT, qui souligne toutefois que l’affaire «va bien au-delà».

Comme tous les syndicalistes de l’entreprise contactés, il souhaite garder l’anonymat, prudent en attendant que le dossier ne s’éclaircisse. Selon la CGT, rejointe par la CFE-CGC qui représente les cadres, le climat s’est globalement détérioré depuis l’arrivée du nouveau directeur en octobre 2017 à la tête de la «DR15», qui regroupe une soixantaine de magasins dans le Finistère, les Côtes-d’Armor et le Morbihan. «Pour lui, seuls les chiffres comptent», dépeint un élu CGT. Le turnover, qui était de 10 % en 2017, est passé à près de 30 % en 2018 et encore au-delà de 20 % en 2019, selon les syndicats.

Brimades et rétrogradations subites

«Sa dérive est basée sur un management toxique à la base, jamais remis en cause malgré nos nombreux courriers», pointe la CGT. Les problèmes concerneraient tous les secteurs et tous les niveaux hiérarchiques : cadres, agents de maîtrise et ouvriers, dans les magasins, les services administratifs, la plateforme logistique… Ils prennent la forme de brimades, de pressions constantes sur les objectifs, de sanctions, de mises à pied, de menaces de licenciement, voire de licenciements purs et simples.

Les représentants du personnel racontent aussi les notes attribuées à chacun, «brutalement rétrogradées de 4 sur 5 à 1 sur 5 quand on veut se débarrasser des gens». Plusieurs employés ont eu de «gros problèmes psychologiques», se sont retrouvés en burn-out, voire «au bord du suicide», selon les représentants syndicaux.

Par ailleurs, une dizaine de procédures sont en cours aux prud’hommes, pour contester des sanctions et des licenciements jugés abusifs. Fin janvier, le conseil des prud’hommes de Guingamp a donné raison à deux anciennes salariées, congédiées pour inaptitude suite à des maladies professionnelles. La CGT et la CFE-CGC ont aussi obtenu gain de cause auprès du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc, au sujet de dysfonctionnements du Comité social et économique (CSE).

La procédure pénale a, elle, pris de l’ampleur au fur et à mesure. «A tel point qu’on ne la mesure pas nous-mêmes», souligne la CGT. Face au nombre de salariés concernés, le parquet a décidé d’ouvrir une information judiciaire, confiée à un juge d’instruction. Selon les estimations syndicales, plusieurs dizaines de personnes ont témoigné et 25 à 35 plaintes ont été déposées. «On ne pensait pas qu’il y en aurait autant. C’est parti de deux ou trois dossiers et ça a fait boule de neige, relate la CFE-CGC. On s’est aperçus que bon nombre de cadres et d’agents de maîtrise, encore en poste ou partis suite à un burn-out, étaient concernés. Beaucoup se sont présentés aux enquêteurs, parce qu’ils avaient subi une grande souffrance.» L’opération de mardi est «l’aboutissement de quelque chose», estiment les syndicats, qui considèrent que la procédure n’en est encore qu’à ses prémices. «Il faut pouvoir prouver le harcèlement moral, c’est difficile.»

De son côté, Lidl France a réagi, dans un bref communiqué : «Les faits évoqués sont graves et ne correspondent absolument pas à la politique de l’entreprise. Les 9 salariés Lidl entendus ne reconnaissent pas les faits qui leur sont reprochés et ont pleinement coopéré avec les enquêteurs.» En janvier 2020, Lidl a été condamné en appel pour «faute inexcusable», après le suicide d’un salarié dans l’entrepôt logistique de Rousset (Bouches-du-Rhône) en 2015.