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Sans fard

Chez L’Oréal, le licenciement de quatre cadres met le feu aux poudres

Le géant des produits de beauté est attaqué aux prud’hommes par quatre directeurs régionaux de sa filiale distribution, virés il y a un an pour «faute grave» alors qu’ils avaient demandé à bénéficier des mêmes droits que leurs collègues de la maison mère.
Les employés et cadres de la filiale Luxury of Retails ne sont pas employés de la grande maison et ne bénéficient pas des mêmes avantages et droits sociaux. (Benoit Tessier/Reuters)
publié le 12 octobre 2022 à 8h02

«En tant qu’employeur, nous avons le devoir d’offrir un même niveau d’avantage à tous les collaborateurs partout où nous sommes implantés. Cela s’illustre entre autres par le programme Share & Care, qui garantit un socle universel de droits sociaux aux collaborateurs et collaboratrices des 67 pays du groupe.» Paroles de Nicolas Hieronimus, directeur général du géant mondial des cosmétiques, prononcées en 2018. Les grands patrons devraient parfois s’abstenir de ce genre de belles promesses, jargon anglo-saxon à l’appui, au risque de se les voir renvoyées tel un boomerang. Car L’Oréal se retrouve ce mercredi après-midi devant les prud’hommes, attaqué par quatre anciens cadres, brutalement licenciés en juin 2021 pour une «faute grave» qu’ils contestent. L’occasion pour les plaignants de remettre en cause la réputation d’employeur modèle du groupe.

Pas les mêmes avantages et droits sociaux

Les quatre cadres licenciés étaient employés dans une filiale de la multinationale dédiée à la distribution directe des produits de beauté en magasin : Retail Excellence 4 (RE4), récemment rebaptisée Luxury of Retail. Habituellement, L’Oréal écoule sa marchandise dans les grands magasins ou les parfumeries. Mais, depuis le rachat en 2015 de la marque américaine de maquillage à bas coûts NYX, le groupe s’est décidé à ouvrir sa propre chaîne de magasins via l’ouverture d’une trentaine de boutiques en France. Avant de faire brusquement machine arrière une fois le confinement venu. Et de fermer ces magasins tout neufs en licenciant à tour de bras, sous prétexte de stratégie dite «Test & Learn». Car «ouvrir, fermer, rouvrir des boutiques fait partie intégrante du process», explique alors L’Oréal.

Sauf que les employés et cadres de ces boutiques ne sont pas employés de la grande maison. Ils ne bénéficient pas de ses trois mois de salaire supplémentaires versés sous forme de bonus ou intéressement qui tombent chaque année compte tenu des profits engrangés par la firme (4,6 milliards d’euros tout de même en 2021). Ils sont donc salariés de la filiale ad hoc, RE4, qui n’offre pas du tout les mêmes avantages et droits sociaux. Notamment en matière de licenciement : en cas de refus d’un nouveau poste à moins de deux heures et demie de leur domicile, ils peuvent être licenciés pour refus de mobilité sans indemnités particulières.

«Tentative de déstabilisation»

C’est contre ce régime très spécial que quatre directeurs régionaux de RE4 s’étaient regimbés en décembre 2020, en saisissant les prud’hommes pour exiger d’être rapatriés dans la maison mère puis en rédigeant une lettre ouverte à son directeur général dénonçant la «manœuvre» permettant à leur employeur de s’affranchir des règles sociales en vigueur chez L’Oréal. Six mois plus tard, ils étaient licenciés pour «faute grave», au nom d’une conception assez verticale du pouvoir au sein la multinationale : «Vous vous étiez engagés à exercer vos fonctions en vous conformant aux ordres, instructions et consignes particulières de la société.» Puis de les accuser, ni plus ni moins, d’une «tentative de déstabilisation» de la multinationale : «En aucun cas, votre niveau privilégié dans l’organisation ne pouvait servir une autre cause que celle pour laquelle vous avez été embauché et promu.» L’un des quatre a rétorqué en vain : «Ainsi, en tant que managers, nous serions tenus d’appliquer, de façon totalement servile, les instructions de la direction, même si elles sont extrêmement choquantes sur le plan des valeurs et des principes. Toute contestation de notre part, du fait de notre position, étant déloyale. Nous n’avons pas la même conception de la loyauté.»

Devant les prud’hommes, leur avocate, Françoise de Saint Sernin, va plaider l’absence de toute faute professionnelle : «Le licenciement pour faute grave est totalement inepte, à travers d’une simple litanie d’allégations purement subjectives, générales, imprécises et non datées.» En retour (1), le conseil de RE4, Romain Chiss, pointe une «grave insubordination, qui s’est traduite par des manquements managériaux inacceptables, une volonté délibérée de déstabiliser l’entreprise en pleine crise sanitaire». Les juges en jugeront, accordant ou pas des indemnités aux quatre requérants.

Mais d’autres sujets qui fâchent devraient être abordés à l’audience, dépassant leur cas personnel. Comme le délit de «marchandage», qui vise le prêt de main-d’œuvre quand il est uniquement destiné à contourner le droit social, passible de cinq ans de prison. «L’activité de RE4 consiste uniquement à porter les contrats de travail des salariés du Retail», dénonce Me Saint Sernin, évitant à sa maison mère les charges qui vont avec. L’avocat de L’Oréal, Olivier Bluche, rétorque par avance que «RE4 est une filiale indépendante et parfaitement autonome.» Les quatre anciens directeurs régionaux affirment que leur principal référent hiérarchique et «exclusif» était une haute dirigeante de la multinationale, avant que ne se réveille le patron en titre de RE4 dans la dernière ligne droite du litige : «Il n’a jamais manifesté le moindre intérêt à ce que nous faisions, si ce n’est finalement identifier des prétextes pour nous prendre en faute», témoigne l’un des quatre. Pour Me Bluche, sollicité par Libération, «il n’y a aucune raison de s’agiter ou de solliciter la presse pour ce genre de dossier qui n’a rien de particulier». A voir, et surtout à juger.

(1) Avant l’audience formelle du 12 octobre, les différentes parties en litige ont rédigé de longues conclusions écrites que Libération a consultées.

DROIT DE REPONSE DE LA SOCIETE L’OREAL

Comme L’Oréal l’avait indiqué à Monsieur Renaud Lecadre avant la publication de son article, L’Oréal ne commente pas une procédure en cours alors même que l’audience n’avait pas eu lieu. C’est un principe que nous tenons à respecter.

Ceci rappelé, L’Oréal souhaite rétablir les nombreuses inexactitudes contenues dans l’article «Sans fard. Chez L’Oréal, le licenciement de quatre cadres met le feu aux poudres» de Monsieur Renaud Lecadre, publié le 12 octobre 2022 à 8h02.

Les quatre cadres dont il est question ont été recrutés par la filiale Retail Excellence 4, et non par L’Oréal dont ils n’ont jamais été les salariés. Contrairement à ce qui est affirmé, les salariés de cette filiale bénéficient, du fait de leur appartenance au Groupe L’Oréal, du programme «Share & Care» garantissant un socle universel commun de protection sociale aux collaborateurs et collaboratrices des 67 pays du Groupe. Les collaborateurs de Retail Excellence 4 bénéficient également d’un statut collectif attractif sur le marché du Retail, dont notamment des accords d’entreprise d’Intéressement, de Participation, de mutuelle et de prévoyance. Tout au long de la crise sanitaire, Retail Excellence 4 a, par ailleurs, maintenu 100% des salaires de ses collaborateurs empêchés de travailler, sans aucun recours à l’activité partielle.

Il est également inexact d’affirmer que L’Oréal aurait licencié «à tour de bras» des salariés, qui plus est «sans indemnités particulières». Sa filiale, Retail Excellence 4 a accordé aux salariés concernés des mesures d’accompagnement et des indemnités supplémentaires, conventionnellement garanties.

Les quatre directeurs régionaux des ventes licenciés l’ont été dans le strict respect des procédures légales applicables, pour des faits jugés gravement fautifs par Retail Excellence 4, dont le Conseil de prud’hommes de Paris aura à juger.

L’Oréal, qui conteste les allégations des quatre directeurs régionaux des ventes de Retail Excellence 4, rappelle enfin que le Conseil de prud’hommes n’a pas encore statué sur cette affaire. Lors de l’audience prudhommale qui s’est tenue le 12 octobre 2022, les quatre plaignants et leur avocate, Maître Françoise de Saint Sernin, n’étaient pas personnellement présents. A leur demande, l’affaire a une nouvelle fois été renvoyée à une audience ultérieure.