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Précarité

Combien de pauvres en France ? Une question de méthodes statistiques

L’Insee publie ce mardi 8 avril une note qui explore les différentes manières d’évaluer la pauvreté en France. Pauvreté monétaire, privations matérielles, difficultés financières… Plusieurs approches existent et se complètent.
Une distribution alimentaire du secours populaire à Poitiers (Vienne), le 9 novembre 2023. ( Jean-Francois Fort /Hans Lucas via AFP)
par Marie Mouline
publié le 8 avril 2025 à 18h55

Combien y a-t-il de pauvres en France ? Sont-ils 9 millions, 10,2 millions ou 14,6 millions ? Il y a plusieurs manières d’aborder la question, selon une note de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), «Pauvreté monétaire, privation et difficultés financières», publiée ce mardi 8 avril. Par exemple, les personnes qui déclarent finir le mois «très difficilement» ou «difficilement» après avoir réalisé leurs dépenses essentielles (logement, alimentation, transport, …), sont bien plus nombreuses que celles comptabilisées par les mesures de la pauvreté utilisées généralement par l’Insee. Comment l’expliquer ?

Pour évaluer la pauvreté, l’Insee (qui n’intègre pas dans ses calculs les personnes sans domicile fixe, les personnes vivant en institution, les habitants de Mayotte…) utilise d’habitude deux approches, présentées comme «complémentaires». D’abord l’institut regarde les ressources financières des ménages et considère comme «pauvres» les personnes dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté (c’est-à-dire un niveau de vie inférieur à 60 % du niveau de vie médian), soit actuellement 1 216 euros par mois pour une personne vivant seule. Près de 15 % des Français sont concernés, c’est-à-dire 10,2 millions de personnes.

Le ressenti pris en compte

Ce sont ensuite les conditions de vie concrètes qui sont étudiées, sous l’angle des «privations matérielles et sociales» : par exemple, l’impossibilité de se chauffer correctement, d’acheter ou de consommer certains biens essentiels, ou de régler des dépenses obligatoires. Cette fois, 9 millions de personnes sont concernées, soit 14 % de la population. Il est donc possible d’être considéré comme pauvre sans souffrir de privation matérielle ou sociale, selon par exemple la situation immobilière de la personne, ses besoins de consommation mais aussi, pour une part, son ressenti (l’Insee cite comme exemple la température à laquelle on estime être «suffisamment chauffé»).

La nouveauté dans ce dernier rapport est la prise en compte du ressenti que le ménage a de sa situation financière à la fin du mois, après ses dépenses courantes. Et là, 22 % de la population, soit 14,6 millions de personnes, sont concernées. Sur ces 22 %, certaines n’ont pas un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté ou ne sont pas en situation de privation matérielle et sociale. Ainsi, relève la note, «20 % des personnes déclarant uniquement des difficultés financières ont un niveau de vie supérieur à environ 2 400 euros par mois, soit près du double du seuil de pauvreté monétaire». Mais 62 % d’entre elles sont proches du seuil de pauvreté, et pourraient basculer à tout moment. Si l’on additionne ces trois approches, 4,5 % des Français les cumulent, 10 % sont concernés par deux des trois et 18 % par seulement l’une d’entre elles.

Qui sont les plus touchés ?

Quel que soit le critère regardé, les personnes au chômage sont les plus affectées. Ce constat n’évolue pas avec le temps. Pour autant, occuper un emploi ne permet pas d’échapper à la pauvreté. Un quart des salariés ont soit un revenu inférieur au seuil de pauvreté, soit subissent des privations, soit déclarent des difficultés financières. Cette situation devrait alerter. D’autant plus que le ralentissement de la création d’emplois depuis 2024, ainsi qu’une inflation pas encore compensée par la hausse de salaires, pourrait mener à accentuer ces fragilités, selon d’autres rapports de l’Insee de l’année dernière.

Pas d’évolution non plus pour les familles monoparentales et les couples avec au moins trois enfants à charge. Ces ménages sont toujours très fortement touchés par la pauvreté : 57 % des familles monoparentales sont concernées par une situation de pauvreté monétaire, de privation ou de difficultés financières, et 50 % des familles nombreuses.

La pauvreté reste toujours plus prégnante dans les territoires urbains. Ainsi la pauvreté monétaire continue à concerner davantage les habitants des zones urbaines (17 %) que ceux des zones rurales (14 %). Mais la pauvreté augmente en milieu rural ces dernières années, particulièrement dans les territoires isolés. Dans un rapport de juillet, l’Insee écrivait ainsi que «l’écart [de pauvreté] s’atténue» entre zones urbaines et rurales. Quel que soit le territoire, un tiers des habitants des zones urbaines «denses», des zones urbaines de «densité intermédiaire» et des zones rurales «non périurbain [es]» sont concernés par au moins l’un des critères de pauvreté, conclut le rapport de ce mardi 8 avril.