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Libération
Réforme des retraites

Dans le cortège parisien : «Si on se couche maintenant, que se passe-t-il après ?»

Malgré les efforts de l’exécutif, les manifestants restent mobilisés et enthousiastes dans la capitale, en voyant le mouvement durer, mais s’inquiètent des suites politiques de la crise actuelle.
«On traverse les rues pour chercher nos retraites», clin d'œil à l'invitation macronienne à traverser la rue pour trouver du boulot, dans e cortège parisien, le 6 avril. (Denis Allard/Libération)
publié le 6 avril 2023 à 20h10

Pour la deuxième fois en trois mois de mouvement social contre la réforme des retraites, il a plu sur le cortège parisien (1). Un petit crachin au début, quand les représentants de l’intersyndicale répondaient aux questions que les journalistes ont pris l’habitude de leur poser avant le départ des manifestations : alors, ça s’essouffle ? Alors, c’est quoi la suite ? Ils ont répondu – comme toujours – que dans un mouvement social, il y a des hauts, il y a des bas, rien que de très normal. «C’est une course de fond», a dit Sophie Binet, la nouvelle secrétaire générale de la CGT. Les leaders syndicaux sont comme tout le monde : ils attendent le verdict du Conseil constitutionnel, attendu vendredi 14 avril, à la fois sur la réforme et sur la demande d’organiser un référendum d’initiative populaire (RIP) pour donner aux Français la possibilité de trancher l’affaire. Dans le cas où le RIP serait validé, rêve que les syndicats ont bon espoir de voir se réaliser, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, pense que «la sagesse sera de temporiser et d’attendre de voir s’il va au bout».

«Personne n’est prêt à lâcher»

Mais Emmanuel Macron est-il seulement capable de sagesse ? Question grave que se posent les manifestants croisés ce jeudi, nettement moins nombreux que dans la plupart des cortèges parisiens depuis le début de la mobilisation (400 000 selon la CGT, 57 000 selon la préfecture de police), si bien que l’on déambule sans trop de problèmes sur les larges et mornes boulevards du VIIe arrondissement. «Qu’est-ce qu’il faut faire pour être écouté·e·s ?» demande Hortense en grosses lettres inscrites sur une pancarte en carton. Cette éditrice de 25 ans pointe un «vrai problème» : «Il est inconcevable pour [l’exécutif] qu’on ne soit pas d’accord avec eux.» Ce qui s’exprime clairement, selon elle, dans les violences policières observées ces derniers jours.

Le cortège a pris deux itinéraires différents. La partie dans laquelle se trouvait Libération est encore richement dotée en étudiants, mais il ne faut pas se leurrer : le gros des troupes est constitué de militants syndicaux. Lesquels ne se laissent pas démonter. «Le syndicalisme, c’est un combat dans la durée», philosophe Samuel, salarié de la CFDT. Dans son organisation syndicale, «on sait qu’on y va petit à petit». Certains en tirent même un certain sens du devoir. «Si les syndicats se désespèrent, les travailleurs sont dans la merde !» lance Benoît, qui a sa carte chez FO Veolia Eau d’Ile-de-France. A ses côtés, son collègue Patrick choisit de voir «un collectif qui se construit». «Il suffit de regarder le cortège pour se rendre compte que personne n’est prêt à lâcher l’affaire», lance-t-il en suivant des yeux les gens qui passent. Un salarié de la Poste encarté à la CGT croit aussi qu’«une conscience politique s’éveille en ce moment», après de longues années de disette pour le mouvement social, et qu’il en restera forcément quelque chose. Le défilé passe sous les fenêtres du ministère du Travail et l’on se prend à imaginer le locataire des lieux, Olivier Dussopt, regardant marcher la foule d’un œil impassible, à moitié dissimulé derrière un rideau.

«Rester chez soi, c’est ça qui fatigue»

Parmi les gens présents, certains ont perdu le compte des manifs. «On ne sait même plus combien on en a fait !» s’exclame Marie au moment où on l’aborde, à proximité du très populaire cortège d’Attac animé par le collectif féministe des Rosies. Avec Avner et Lucile, deux autres professeurs dans l’enseignement supérieur à Paris, elle était justement en train de faire le récapitulatif. Sentent-ils poindre un peu de désespoir en cette onzième journée ? Justement, «on est là pour ne pas être désespérés», répond Avner. «On nous casse les pieds sur le nombre de manifestants, mais ce n’est pas le plus important», juge-t-il, expliquant avec ses deux comparses que les manifestations sont un lieu où «l’on discute de plus en plus». «Si je ne venais pas, ça me ferait trop mal mentalement», estime Marie. «Rester chez soi, c’est ça qui fatigue», complète Lucile. Derrière leur détermination plane une question, que formule Lucile : «Si on se couche maintenant, après, que se passe-t-il ? La réponse m’inquiète.»

Aux alentours de 16 heures, le store de la Rotonde s’enflamme après avoir reçu un fumigène. La célèbre brasserie de Montparnasse l’est encore plus depuis qu’elle a été choisie par Emmanuel Macron pour célébrer son accession au second tour de la présidentielle en 2017. Selon des témoins, le feu a été rapidement éteint par les pompiers. Ce feu-là, en tout cas.

(1) La première fois c’était le 23 mars, quelques gouttes seulement constatées par Libé au niveau de République.