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Libération
Reportage

Dans le Puy-de-Dôme, l’absurde extinction d’une usine de luminaires LED

Dans la région des Combrailles, 102 salariés, dont beaucoup de femmes, vont perdre leur emploi dans la liquidation de la Manufacture des Lumières (ex-Dietal). Vendredi, ils ont organisé une journée d’action, marquée par le contexte des législatives et par les enjeux de réindustrialisation.
La fermeture de l’entreprise, qui produit depuis quarante ans des appareils d’éclairage pour les espaces publics, laisse 102 familles sur le carreau. (Jeanne Paturel/Agence 1h23)
par Sonia Reyne, correspondante à Clermont-Ferrand
publié le 23 juin 2024 à 11h57

Vendredi 21 juin, les salariés de la Manufacture des Lumières de Saint-Georges-de-Mons (Puy-de-Dôme) ont organisé, avec l’aide de la CGT, une journée pour dénoncer la liquidation judiciaire de leur boîte. La fermeture de l’entreprise, qui produit depuis quarante ans des appareils d’éclairage pour les espaces publics, laisse 102 familles sur le carreau. A neuf jours des élections législatives, les ouvriers ont interpellé les acteurs politiques locaux sur la désindustrialisation dans leur région, les Combrailles. Beaucoup d’anciens collègues sont venus témoigner leur soutien, comme les maires du bassin d’emploi.

«Il est scandaleux que le prêt demandé à la BPI n’ait pu être accordé.»

—  Boris Bouchet, conseiller régional communiste Auvergne-Rhône-Alpes

«Nous avons stoppé la production mardi, désormais il n’y a plus que l’administratif qui travaille encore», raconte Laurence, 55 ans dont trente ans de boîte, les mains calées au fond des poches. On est dur à la tâche dans les Combrailles. Cette industrie permettait à des femmes (70 % des effectifs), dans un territoire rural et industriel, de gagner leur vie même si les salaires tournent pour la plupart autour du smic hors prime d’ancienneté. La Manufacture des Lumières, ex-Dietal, a subi des vagues de licenciements successives et des délocalisations progressives de l’activité. «Cette usine, je l’ai vue se créer, je l’ai vue se débattre aussi depuis longtemps avec plusieurs PSE. Dietal a employé jusqu’à 600 personnes», témoigne Christine Pirès-Beaune, députée sortante, native de Saint-Georges, candidate Nouveau Front populaire dans la circonscription. Beaucoup des ouvrières ont plus de 50 ans et vivent dans un rayon proche, sans transports en commun quotidien pour les véhiculer vers les bassins d’emplois de Riom ou de Clermont-Ferrand. «Psychologiquement, c’est très dur», constate l’ex-députée, qui souligne que «la réforme de l’assurance chômage pour certaines femmes ou hommes de plus de 60 ans va s’avérer catastrophique !»

Aurélie, 45 ans dont vingt-quatre ans à l’usine, s’indigne : «On a su par mail qu’il n’y avait pas de repreneurs.» Odeli, petit fabricant de luminaires LED d’Issoire, a retiré sa candidature soixante-douze heures avant la décision du tribunal. La solidité de son projet était conditionnée à l’acceptation de deux prêts bancaires auprès de BPI France et de la Société générale. Ils n’ont pas été validés. Boris Bouchet, conseiller régional communiste Auvergne-Rhône-Alpes, s’agace : «Il est scandaleux que le prêt demandé à la BPI n’ait pu être accordé.» Il regrette que beaucoup d’argent public ait été versé par l’Etat, la Région, «sans condition ni garantie».

«Un gouvernement qui dit vouloir réindustrialiser, qui parle de souveraineté industrielle, de rénovation énergétique, mais qui laisse fermer cette entreprise alors que les luminaires LED sont l’un des moyens les plus rapides à mettre en place pour faire des économies d’énergie ! Les salariés ne peuvent plus se retrouver dans cette politique.»

—  Anthony Vedeau, délégué syndical CGT

Le dépit est nourri par la gestion énigmatique de l’ancien directeur, accusé par la CGT de s’être octroyé «un salaire surdimensionné par rapport à la taille de cette entreprise». Christelle, 52 ans dont trente-deux ans dans l’entreprise, souffle : «C’est rageant. On vient d’apprendre qu’il y avait 5,7 millions de dettes. Quand même, ça ne se découvre pas du jour au lendemain !» Les salariés se demandent s’il y avait vraiment une volonté de poursuivre l’activité ou si la société a été utilisée comme un simple outil financier essoré au maximum. «Il a été annoncé au CSE seulement en mars 2024 que l’entreprise connaissait des difficultés depuis trois ans. Pourquoi avoir maintenu des dépenses injustifiées de fonctionnement dans une telle situation ?» interroge Frederik Duplessis, l’avocat du CSE.

Le contexte politique alimente la colère. Anthony Vedeau, délégué syndical CGT, s’emporte : «Un gouvernement qui dit vouloir réindustrialiser, qui parle de souveraineté industrielle, de rénovation énergétique, mais qui laisse fermer cette entreprise alors que les luminaires LED sont l’un des moyens les plus rapides à mettre en place pour faire des économies d’énergie ! Les salariés ne peuvent plus se retrouver dans cette politique.» Une dizaine d’ouvrières emmitouflées dans le gilet noir aux couleurs de la Manufacture des Lumières, serrées les unes contre les autres, fument une dernière cigarette sous la pluie. «Je sais quelles sont mes convictions politiques, la situation me confirme juste que je fais le bon choix», assure l’une des plus jeunes. Derrière, de petits cercueils de métal et les prénoms des salariés décorent les grilles de l’usine qui ferme.