Il se défend de tout «deux poids deux mesures». Invité du 20 heures de TF1 jeudi 25 janvier, Gérald Darmanin était interrogé sur l’encadrement du mouvement de protestation des agriculteurs, en cours dans plusieurs villes de France depuis la mi-janvier. En réaction à sa position pour le moins assumée – «je les laisse faire» a-t-il déclaré – le présentateur Gilles Bouleau le relance alors : «Bloquer la circulation, c’est illégal. S’en prendre à un établissement public, c’est illégal.» Réponse du ministre de l’Intérieur : «Est-ce que les agriculteurs s’en prennent aux policiers et aux gendarmes ? Est-ce qu’ils s’en prennent aux bâtiments publics ? Est-ce qu’ils mettent le feu aux bâtiments publics ? Ce n’est pas le cas.»
Billet
Visiblement interloqué, le journaliste poursuit : «Vous avez vu les images à Bordeaux devant la préfecture ? Ils n’ont pas défoncé la grille de l’entrée ?» Et se heurte à nouveau à une surprenante réplique de Darmanin : «Moi je suis élu d’un territoire où il y a aussi des agriculteurs, je suis habitué aux coups de sang légitimes de ceux qui souffrent et qui n’ont pas beaucoup d’argent. Il n’y a pas deux poids deux mesures, on ne peut pas comparer les choses. Les agriculteurs travaillent et lorsqu’ils ont envie de démontrer qu’ils ont des revendications, le gouvernement est à l’écoute, le Premier ministre fera des annonces demain [ce vendredi 26 janvier, ndlr]. Il faut les entendre, on répond pas à la souffrance en envoyant les CRS, voilà. En revanche, j’ai rappelé aux préfets que si les bâtiments publics, si les policiers, les gendarmes, les agents de préfecture étaient pris à partie, évidemment que nous interviendrons, mais je pense qu’il y a une grande compassion à avoir avec nos agriculteurs.»
1m20 de dinguerie.
— j'dis ça j'dis rien ⏚ (@jdicajdisrien) January 25, 2024
Même le présentateur de TF1, il en revient pas.
Celle là, archivez là. pic.twitter.com/SAzPv0in8C
L’étonnement de Gilles Bouleau est compréhensible. Car sur le fond, les propos de Gérald Darmanin sont en grande partie faux… S’ils ne relèvent pas carrément d’une forme de déni. En effet, outre le blocage d’axes autoroutiers et de voies ferrées, la dégradation de fast-food, de supermarchés ou de banques, les agriculteurs ont bien, contrairement aux dires du ministre, pris pour cible plusieurs établissements publics. Et ce de manière tout à fait assumée, et sous l’œil des caméras.
Aucune interpellation pour l’explosion à Carcassonne
A commencer par une explosion qui a soufflé le rez-de-chaussée de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) à Carcassonne. Constatée le 19 janvier au matin par des ouvriers, elle n’a pas fait de victimes, le bâtiment étant en travaux et donc vide. Mais d’importants dégâts matériels sont à déplorer. D’ailleurs, une enquête a été ouverte pour «dégradation par moyen dangereux d’un bien appartenant à autrui en bande organisée». La procureur de Carcassonne confirme à CheckNews qu’aucune interpellation n’a eu lieu à ce jour, même si les faits semblent avoir été revendiqués par le Comité d’action viticole.
Citons aussi les déchets agricoles déversés une première fois devant la préfecture du Lot-et-Garonne, à Agen, mardi 23 janvier. Illustration parfaite du «laisser-faire» prôné par le ministre de l’Intérieur, une séquence filmée par le journaliste indépendant Clément Lanot a même montré la police escorter un cortège d’agriculteurs parti de l’autoroute, en chemin vers des actions coup de poing vers Agen. Sur place, ils ont notamment ciblé la mutualité sociale agricole, établissement privé mais chargé d’une mission de service public, où des déchets ont été déversés.
Le lendemain, le mouvement s’intensifie encore et vise une nouvelle fois la préfecture d’Agen : du lisier est projeté contre les grilles du bâtiment public et un feu est allumé à partir de pneus disposés au sol. Le jeudi 25, comme le fait remarquer Gilles Bouleau à Gérald Darmanin, c’est la préfecture de Gironde, à Bordeaux, qui est la cible d’une action des agriculteurs. Là encore, du purin est déversé devant l’établissement. Des feux de paille et de palettes sont allumés devant le conseil départemental. Et ce vendredi matin encore, la préfecture de Nice était visée par une action similaire. A chaque fois, les images de ces actions ont très largement circulé dans les médias et sur les réseaux sociaux. Sans toutefois parvenir, visiblement, jusqu’à Beauvau.