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Précarité

Des socialistes dézinguent la réforme du RSA et plaident pour un revenu minimum «d’existence»

A gauche, les grands travaux pour 2027dossier
Dans une note à paraître de la fondation Jean-Jaurès que «Libération» a pu consulter, plusieurs socialistes dénoncent «le coût réel» de la réforme voulue par le gouvernement et défendent un système automatique et plus large que le RSA, avec un accompagnement de réinsertion garanti.
Le document de la CAF à remplir pour demander le revenu de solidarité active. (Thibaut Durand/Hans Lucas.AFP)
publié le 15 septembre 2023 à 6h54

C’est une note de la fondation Jean-Jaurès qui tombe à point nommé. Lundi 18 septembre, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale commencera l’examen du projet de loi «pour le plein-emploi». Outre la transformation de Pôle emploi, ce texte, déjà voté (et durci) en première lecture au Sénat, vise à réformer le revenu de solidarité active (RSA). Il crée, entre autres, une nouvelle sanction dite de «suspension-remobilisation», qui prévoit une interruption du versement des droits en cas de non-respect d’un contrat soumis aux allocataires, ou encore, pour ces derniers, «15 à 20 heures d’activité» par semaine, dont les contours restent flous.

Remontés contre cette réforme dans laquelle ils voient une «casse du RSA», trois membres du Parti socialiste, dont le député Arthur Delaporte et Simon Rumel-Sixdenier, conseiller du groupe à l’Assemblée, publient ce vendredi une note dans laquelle ils dézinguent le projet gouvernemental et jettent les bases d’une alternative : le revenu minimum d’existence. Fustigeant un «discours présidentiel aussi infantilisant que condescendant», ils déplorent la «stigmatisation à l’œuvre de la part du gouvernement et de l’ensemble de la société vis-à-vis des bénéficiaires du RSA» et une vision du monde qu’ils récusent : «face à sa précarité, à son exclusion, c’est à l’allocataire de trouver les moyens de son insertion et de prouver qu’il mérite une aide de la société, occultant au passage l’échec de la collectivité à l’inclure. Dit autrement : à ceux qui ont peu, on demande tout».

«Inapplicable et budgétairement contestable»

Le tableau dressé de la situation actuelle, d’après les études disponibles, n’est guère reluisant. Les auteurs de la note pointent notamment l’afflux de nouveaux allocataires lié aux réformes successives de l’assurance chômage. «Se reporte donc sur le RSA l’ensemble des personnes désormais exclues de l’assurance chômage», relèvent-ils, chiffres de l’Unédic à l’appui : «la seule réforme de 2019 décale l’ouverture du droit à l’indemnisation chômage d’au moins un an pour 190 000 personnes par an, et décale de moins d’un an cette ouverture pour 285 000 personnes par an», notent ces socialistes. Le montant du RSA questionne aussi la dignité de ce revenu. «Sur les 30 dernières années, calculent-ils, le RMI puis le RSA ont augmenté moins vite que le SMIC : si le RMI représentait 49 % du SMIC lors de sa création en 1988, le RSA ne représente aujourd’hui plus que 39 % du SMIC et de la prime d’activité en 2019».

Delaporte et Rumel-Sixdenier critiquent également les carences flagrantes dans l’accompagnement des allocataires. Pour illustrer le manque de travailleurs sociaux et de conseillers en insertion, ils reprennent une comparaison européenne mentionnée dans le rapport préfigurant la réforme de Thibault Guilluy, le haut-commissaire à l’emploi. Selon cette étude, un conseiller de l’opérateur principal de service public de l’emploi suit en moyenne 98 inscrits (contre 38 en Allemagne et 40 dans la région belge de Flandre). Les auteurs de la note de la fondation Jean-Jaurès en déduisent que «dans ce contexte, il semble impossible de mettre en place pour tous les allocataires le suivi nécessaire à l’organisation et au contrôle du respect du volume horaire de 15 à 20 heures d’activité par allocataire du RSA. Comment trouver dans l’immédiat les travailleurs sociaux, les formateurs, les agents de Pôle emploi nécessaires à cet accompagnement ?» Et d’en déduire que la «réforme [est] inapplicable et budgétairement contestable».

Pour l’aspect budgétaire, ils tentent d’estimer le financement nécessaire pour 15 heures d’accompagnement par semaine et par foyer (et non par allocataire). Un calcul à affiner, qui aboutit cependant à un ordre de grandeur : la mesure coûterait autour de 10 milliards d’euros par an, dont 6 milliards liés aux recrutements, à raison d’un conseiller pour 50 allocataires, et 4 milliards d’euros destinés à réduire les «freins périphériques» au retour à l’emploi, comme la prise en charge d’une partie des frais de garde d’enfants ou le coût des bâtiments nécessaires à l’accueil des formations des allocataires. Ces hypothèses pourtant basses sont très éloignées des montants avancés dans le rapport Guilluy, qui évoque «a minima entre 2,3 et 2,7 milliards d’euros entre 2024 et 2026».

Renouer «avec l’histoire de la protection sociale française»

Si le financement de cette réforme gouvernementale n’est pas encore connu, celui des expérimentations l’est. Soit 25 millions d’euros pour 40 000 personnes en un an, sachant que, comme le rappelait Thibault Guilluy à Libération début septembre, «la volonté du ministre [du Travail, Olivier Dussopt, ndlr], que je partage, est de faire monter en puissance les expérimentations, en passant de 40 000 à environ 200 000 personnes [concernées] à la fin 2024». Arthur Delaporte et ses coauteurs voient au moins deux explications à ce décalage entre leurs estimations et les enveloppes prévues : «Soit le gouvernement sait que l’accompagnement ne pourra pas être de l’ordre de 15 à 20 heures pour l’ensemble des allocataires, soit il projette de faire supporter par les collectivités locales ou d’autres acteurs le coût réel de cette réforme.»

Face à cela, les socialistes esquissent une alternative : un revenu minimum d’existence, qu’ils voudraient placer dans la filiation du RMI créé en 1988 sous le gouvernement de Michel Rocard, et l’«inscrire dans une bataille culturelle contre ceux qui veulent remettre en cause à bas bruit la lente construction de l’Etat social et ses principes de solidarité». Il s’agirait d’un minima social, avec plusieurs principes comme l’inconditionnalité et l’automaticité, un montant revalorisé, ou l’inclusion des jeunes actifs. La responsabilité serait inversée par rapport à la logique du gouvernement sur le RSA : ce serait à «la collectivité de garantir à l’allocataire un accompagnement de qualité et de mettre en place des services publics pour faciliter sa réinsertion sociale et professionnelle». De quoi, selon eux, renouer «avec l’histoire de la protection sociale française, celle de la construction d’une assurance contre des risques collectifs qui pèsent sur les individus». Tout un programme.