Le secteur de l’énergie a marqué aussi bien l’actualité économique que celle du mouvement social depuis plus d’un an. Les élections syndicales dans la branche, qui avaient lieu depuis la semaine dernière, étaient donc particulièrement scrutées. Et d’après les premiers résultats qui tombent ce mardi 14 novembre dans les différentes entreprises, la CGT ne capitalise pas forcément sur son activisme du printemps. Si le syndicat reste la première organisation parmi les quelque 135 000 agents et salariés des 157 entreprises des industries électriques et gazières (IEG) annonce-t-il à Libération, il baisse dans plusieurs endroits, au profit de la CFE-CGC la plupart du temps.
Dans le détail, la CGT fait 30,3 % (-3,2 %) à EDF ou encore 35,6 % (-4,2 %) à RTE, deux bastions qui, avec Enedis et GRDF, représentent en cumulé près de 120 000 agents des IEG. La CFE-CGC consolide de son côté sa position de deuxième force dans la branche, avec des augmentations dans un grand nombre de sites. Et au-delà de la progression dans la branche, le syndicat des cadres et des techniciens remporte des succès de prestige. A commencer par le poids lourd de l’énergie EDF dans laquelle elle passe première organisation syndicale avec 33 % des voix. «Nous avons clairement le vent en poupe dans toute la branche, avec des progressions très nettes, se réjouit auprès de Libé Alexandre Grillat, secrétaire national à la CFE-CGC Energies. Cela valide notre stratégie, qui est de nous positionner dossier par dossier, et quand le compte n’y est pas, on se mobilise.»
Tribune
Idem pour Amélie Henri, déléguée syndicale centrale de la CFE-CGC chez EDF, qui vante «des résultats historiques». «C’était notre objectif mais la marche était très haute. C’est le résultat de notre mobilisation contre le projet Hercule ou lors des négociations dans l’entreprise.» Une bascule entre la CGT et la CFE-CGC qui illustre «le travail accompli depuis des années», estime Amélie Henri et probablement aussi une mutation sociologique au sein des effectifs des IEG. Les chiffres du premier tour déterminent la représentativité à l’échelle de la branche énergie, avant un second tour qui permettra de distribuer plus précisément les sièges, entreprise par entreprise.
Certaines baisses de la CGT sont en revanche à relativiser au regard des points en valeur absolue : à la Société hydroélectrique du Midi, filiale d’Engie, la CGT passe de 74,4 % en 2019 à 69,88 % ce lundi. La CGT enregistre même quelques très bons résultats comme à la Compagnie nationale du Rhône (55,5 % des 1 500 salariés, une hausse de 4,4 %) ou encore dans la filiale d’Engie en charge du GNL, Elengy, dans laquelle le syndicat dépasse la barre des 10 %. Localement, la mobilisation a malgré tout pu payer : dans la branche de la direction Ile-de-France Ouest d’Enedis, bastion de la filiale d’EDF qui a de nouveau fait parler d’elle grâce à des actions spectaculaires, la CGT passe de 48 % à 63 % et récolte même 93 % chez les agents de l’exécution. «On a un syndicalisme différent, bien plus souvent tourné vers les luttes et historiquement les victoires ont souvent été sous les couleurs rouges, affirme Fabrice Coudour, numéro 2 de la FNME-CGT. Forcément, ça plaît à certains, moins à d’autres. Mais la CGT est toujours numéro 1 dans la branche, et c’est le plus important.»
Avancée
Parmi lesdites victoires, deux séquences ont particulièrement mis en avant la FNME-CGT. Celle sur les salaires en fin d’année 2022 a entériné la stratégie du syndicat, avec un mot d’ordre assez simple mais concret : 200 euros minimum pour tous les agents. Chose obtenue dans la quasi-totalité des entreprises et filiales des géants EDF et Engie. Cette avancée a été réalisée en deux temps, avec une première partie glanée lors de l’accord de branche, puis au sein des entreprises, à l’issue de grèves parfois éclair, souvent spectaculaire : réacteurs des centrales qui réduisaient leur production, blocage d’agences Enedis ou GRDF, le gaz qui ne sortait plus des terminaux GNL ou coupé à Neuilly…
A peine la lutte sur les salaires clôturée, dans la douleur avec GRDF juste avant Noël à l’issue de semaines de grève dans plusieurs bastions, celle contre la réforme des retraites a démarré. Et le secteur de l’énergie a pris le relais de fédérations syndicales qui avaient, lors des mouvements précédents, été le fer de lance, à commencer par les cheminots ou agents de la RATP.
Bastions
Là aussi, les actions coup de poing des énergéticiens ont permis à un mouvement atrophié politiquement par le 49.3 de durer dans le temps : coupure de courant dans un quartier d’affaires, dans la ville d’Olivier Dussopt, Annonay, ou sur le passage du président de la République en Alsace, mises en gratuité de bâtiments publics ou de commerces, production diminuée… Certains sites, comme les incinérateurs franciliens d’Ivry-sur-Seine ou Issy-les-Moulineaux se sont même transformés en bastions devant lesquels s’agrégeaient tous les matins étudiants, profs, retraités ou salariés du privé.
A lire aussi
Au cœur de la mobilisation sociale, la montée en puissance de la fédération de l’énergie a été en quelque sorte actée au Congrès de la CGT, en mars, lors de la nomination du bureau, en parallèle de l’élection de Sophie Binet à la tête du syndicat. Le secrétaire général de la FNME, Sébastien Menesplier, a été nommé au sein du bureau national, ce qui lui a notamment valu d’accompagner la nouvelle secrétaire générale de la CGT à Matignon mi-mai.
Les actions en série ont en revanche incité les directions des entreprises à mettre au pilori des énergéticiens encartés à la CGT ou leaders sur leur lieu de travail, jusqu’à la convocation à la gendarmerie de Sébastien Menesplier début septembre. Des procédures de sanctions, allant jusqu’au licenciement, se sont accumulées. Le 21 novembre, un rassemblement est d’ailleurs prévu à Bordeaux pour soutenir deux militants de la CGT Enedis, convoqués selon le syndicat au tribunal correctionnel «pour des faits de grève». «C’est aussi parce qu’on est fer de lance des luttes qu’on a été plus réprimés que d’autres, affirme Fabrice Coudour, de la FNME-CGT. Mais quels que soient les résultats dans les entreprises, on continuera de défendre notre projet de transformation sociale, dans l’intérêt des usagers comme des agents. Et dans les semaines à venir, on repart au combat sur les salaires au sein des entreprises.» Avec la CFE-CGC plus que jamais dans l’équation des négociations.
Mise à jour : à 16 h 36, avec la réaction de la CFE-CGC.