Peut mieux faire. Voilà en substance le message adressé par la ministre du Travail, Elisabeth Borne, ce lundi, aux représentants des secteurs bancaires, des assurances et des cabinets et sociétés de conseil, conviés à participer à une visioconférence sur le télétravail. Quatre jours plus tôt, alors que le Premier ministre insistait lors de son point presse sur la nécessité de «télétravailler partout où c’est possible», Borne avait déjà ciblé ces branches, mais aussi celles de «la communication, l’informatique, les activités immobilières et juridiques», leur reprochant leur «relâchement» en matière de respect des consignes de travail en distanciel.
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Si elles font figure de mauvais élèves, ces branches ne sont pas les seules dans le viseur. Depuis plusieurs jours, le gouvernement multiplie les appels à intensifier le recours au télétravail, tous secteurs confondus. La pratique «s’érode progressivement depuis fin novembre», prévient le ministère. Selon le baromètre Harris Interactive, parmi les actifs ayant travaillé la semaine du 18 au 24 janvier, 36% ont télétravaillé au moins partiellement, contre 41% la semaine du 2 au 8 novembre 2020. Et 64% étaient exclusivement en présentiel, contre 59% en novembre. Le ministère estime à «2,5 millions de salariés qui pourraient télétravailler ne le font pas». La tendance serait encore plus marquée dans la banque, selon Luc Mathieu, secrétaire général de la CFDT Banques et Assurances : «A l’automne, le taux de télétravail dans les services administratifs et le back-office était autour de 90%, maintenant il avoisine les 60%. Quant aux agences, qui doivent rester ouvertes, elles affichent un taux de télétravail d’au mieux 20%.»
«Le télétravail, ça ne se décrète pas»
Pour tenter d’inverser la vapeur, la ministre demande à «chaque entreprise de se mobiliser sans délai» sur «deux priorités» : «réduire la part des salariés qui ne télétravaillent pas du tout» et faire que ceux «qui télétravaillent aujourd’hui un, deux ou trois jours par semaine le fassent au moins un jour de plus». Et d’enfoncer le clou en rappelant que des «sanctions» sont possibles en cas de manquement. En revanche, le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie, actualisé le 29 janvier, reste globalement le même sur ce point. Ce dernier prévoit que le télétravail doit être la règle pour l’ensemble des activités qui le permettent, avec la possibilité d’un retour sur site un jour par semaine si les salariés en font la demande, afin de prévenir le risque d’isolement. Selon le ministère, «la responsabilité pénale des employeurs peut être engagée» en cas de non-respect de ces règles. Mais la portée juridique de ces dernières reste limitée.
Face à la difficulté de légiférer en la matière, la ministre a donc décidé d’activer un autre outil : la concertation. A charge aux représentants des salariés et aux directions des entreprises d’organiser le dialogue social. Et de tenter de répondre ensemble à la question tout aussi centrale que subjective : qu’est-ce qu’un poste «télétravaillable» ? Problème, souligne Luc Mathieu : jusqu’alors, les directions des établissements bancaires s’y sont toujours refusées, arguant que l’organisation du travail était une compétence exclusive de l’employeur. «Le télétravail, ça ne se décrète pas», a insisté sur France Info, François Hommeril, le président confédéral du syndicat des cadres, la CFE-CGC, qui réclame aussi plus de concertation.
«Manque de lien social»
Dans les entreprises comme les administrations, les barrières sont multiples. Les réticences viennent, certes, de directions et de managers méfiants à l’égard du télétravail. Mais aussi de salariés qui se plaignent d’isolement ou de conditions de travail dégradées, voire d’une intensification de la charge de travail. Certains réclament un retour plus massif au présentiel. «Ce sont les salariés qui demandent à revenir, a assuré le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, sur BFM. Si les salariés demandent à rentrer parce qu’ils sont en détresse psychologique, on ne va pas refuser évidemment. Mais j’appelle les entrepreneurs à faire le maximum.» «C’est vrai que c’est un sujet, le manque de lien social. Certains salariés supplient leurs employeurs de pouvoir revenir, mais cela n’explique pas tout», pointe Luc Mathieu. Le Syndicat national de la banque et du crédit (SNB CFE-CGC) évoque, de son côté, des refus de la part des employeurs. Selon l’étude Harris Interactive, 16% des salariés se sont vu refuser le télétravail en janvier.
De quoi contraindre les syndicats de salariés à faire le grand écart, entre protection des travailleurs face au Covid-19 d’un côté, et face aux risques psychosociaux de l’autre. Luc Mathieu insiste sur la nécessité de mettre en place un suivi du télétravail au sein des entreprises, en donnant un «horizon» aux salariés. Un nouveau rendez-vous entre les secteurs conviés à la visioconférence du jour et la ministre est prévu fin février pour faire un nouveau point de la situation.