Menu
Libération
Pacte de la vie au travail

Emploi des seniors, compte épargne temps universel… ce que le gouvernement attend des négociations entre syndicats et patronat

Chargés de négocier le «nouveau pacte de la vie au travail» promis par Emmanuel Macron pendant la réforme des retraites, les acteurs sociaux vont tenter de se mettre d’accord sur le maintien des seniors dans l’emploi, les reconversions et la possibilité d’accumuler des jours de congé portatifs.
Sébastien Ménesplier, Sophie Binet et Thomas Vacheron, le 17 mai à Paris. (Xose Bouzas/Hans Lucas.AFP)
publié le 21 novembre 2023 à 20h13

Vous souvenez-vous du «nouveau pacte de la vie au travail» ? Mais oui, le machin annoncé par Emmanuel Macron le 17 avril, en guise de consolation après sa promulgation expresse de la réforme des retraites décalant l’âge de départ de deux ans. Au bout de trois mois de mobilisation record contre son projet, le chef de l’Etat, bien qu’un peu dur de la feuille, disait avoir «entendu» dans les manifestations «une volonté de retrouver du sens dans son travail, d’en améliorer les conditions, d’avoir des carrières qui permettent de progresser dans la vie». Toutes choses qui étaient déjà connues et qui, de l’avis des syndicats comme de nombreux travailleurs croisés dans les cortèges, auraient dû être réglées avant la question des retraites.

Le seront-elles dans les quatre prochains mois ? C’est la mission confiée ce mardi par le gouvernement aux acteurs sociaux (patronat et syndicats représentatifs), qui ont jusqu’au 15 mars pour négocier des accords sur trois thématiques : l’emploi des seniors, enjeu crucial du débat sur la réforme des retraites, les évolutions de carrière, et le compte épargne temps universel (Cetu), promesse de campagne d’Emmanuel Macron directement inspirée d’une revendication de la CFDT.

«Marges de manœuvre»

Comme le prévoit l’article 1 du code du travail, le gouvernement a fourni ce mardi aux organisations syndicales et patronales un document d’orientation pour expliciter ce qu’il attend des discussions. Si celles-ci débouchent sur des accords interprofessionnels, il s’engage à les traduire dans la loi dans un ou plusieurs véhicules législatifs qui restent à déterminer. En juillet, la Première ministre avait assuré, à l’issue d’une rencontre multilatérale avec les acteurs sociaux à Matignon, que le cadre de leur discussion serait «large» et qu’elle leur laisserait «des marges de manœuvre».

C’est globalement le cas, le gouvernement ayant évité de fixer des objectifs trop précis. Il se révèle même très peu bavard concernant l’évolution des carrières. Charge aux «partenaires sociaux» de se mettre d’accord sur un «meilleur accompagnement des salariés, en prenant en compte les enjeux territoriaux et en dépassant les logiques sectorielles, car c’est le souhait des salariés mais aussi le besoin de l’économie», fait-on valoir au cabinet de la ministre chargée de la formation, Carole Grandjean.

«Universalité, portabilité, opposabilité»

S’agissant du Cetu, le gouvernement ne veut pas qu’il se substitue aux comptes épargne temps (CET) déjà mis en place dans nombre de branches et d’entreprises, mais qu’il constitue «un complément», selon le ministère du Travail. Le but est que les entreprises qui ne proposent pas de CET à leurs salariés leur permettent d’abonder ce Cetu en jours de congé, jours qu’ils pourront ensuite prendre à d’autres moments de leur carrière, même s’ils ont changé d’employeur. «Universalité, portabilité, opposabilité», tels sont les grands principes du système qui devrait être géré par un opérateur tiers, un peu sur le modèle du compte personnel de formation (CPF). Patronat et syndicats devront eux se mettre d’accord sur le périmètre des salariés concernés, sur d’éventuels plafonds (pas plus de X jours par an ou au global) et sur la possibilité ou non de monétiser ces jours pour soulager ses fins de mois plutôt que de se reposer.

La négociation la plus complexe pourrait porter sur l’emploi des seniors. Le gouvernement rappelle viser un taux d’emploi des 60-64 ans flirtant avec les 65 % en 2030, soit près du double du taux actuel pour cette tranche d’âge. Un peu illusoire ? Pas tant que ça, répond-on au ministère du Travail, puisque l’Insee projette déjà un taux d’activité des 60-64 ans de l’ordre de 61 % à cette même échéance. Ce qui, en tenant compte du chômage, correspondrait à un taux d’emploi d’environ 59 % selon le gouvernement. Cette évolution résulte en grande partie de la réforme des retraites, dont un effet mécanique sera de maintenir de nombreux seniors dans l’emploi, même si les précédentes réformes (décalage de l’âge de départ en 2010, allongement de la durée de cotisation en 2014) avaient déjà pour effet de faire progresser le taux d’activité des 60-64 ans.

La pression politique est forte

Retenons que la mission des acteurs sociaux consiste à aller chercher, en gros, cinq points de taux d’emploi supplémentaires sur les 60-64 ans. Comment ? Le document d’orientation évoque des pistes comme «la négociation collective de branche et d’entreprise», l’aménagement des fins de carrière, la lutte contre les stéréotypes et discriminations liées à l’âge… Retoqué en tant que «cavalier législatif» par le Conseil constitutionnel lors de son examen de la réforme des retraites, l’index senior, qui était censé inciter les entreprises à mettre en place des mesures pour garder leurs salariés expérimentés, n’est pas mentionné. Il était critiqué par les syndicats pour son manque d’ambition, mais mécontentait tout de même le patronat, pas sûr qu’il donc fasse son retour.

Difficile en revanche d’éviter une grosse – et probablement tendue – discussion sur les règles d’indemnisation du chômage, qui sont plus favorables aux travailleurs de plus de 53 ans. Ces derniers bénéficient notamment d’une durée d’indemnisation rallongée. Faute de se mettre d’accord sur le sujet lors de leur dernière négociation sur les règles de l’assurance chômage, syndicats et patronat ont renvoyé les débats à cette nouvelle négociation, en s’engageant à dégager 440 millions d’euros d’économie sur la période 2024-2027. Les éventuelles mesures sur lesquelles ils se mettront d’accord ne devront par ailleurs pas avoir d’«impact défavorable sur les finances publiques».

Même si le gouvernement se veut peu contraignant, la pression politique est forte. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, s’est lancé ces dernières semaines dans une grande tournée pour affirmer que le plein-emploi n’est pas atteignable «à modèle social constant», et a déjà plaidé dans la Tribune dimanche pour que les seniors au chômage perdent leurs avantages : «Tous les dispositifs d’indemnisation qui nourrissent le chômage des seniors doivent être revus.» Mardi, le chef de l’Etat a semblé s’inscrire dans ses pas lorsqu’il a expliqué, devant des patrons de PME réunis à l’Elysée, voir «avec inquiétude le discours ambiant» selon lequel «les réformes, on pourrait [les] mettre sur pause» : «Réveillez-vous, on est à 7 % de taux de chômage !», a-t-il lancé. Promesse, ou plutôt menace, d’aller encore plus loin dans les réductions de droits.