En résumé
- La jeunesse se mobilise ce jeudi, avec une journée de manifestations. Lycéens et étudiants sont attendus nombreux dans les cortèges.
- La grève contre la réforme des retraites devrait continuer de perturber le trafic SNCF jeudi, tandis que les terminaux de gaz et les raffineries de pétrole restent bloqués.
- Le Sénat poursuit l’examen du texte : dans la nuit de mercredi à jeudi, la chambre haute a adopté le fameux article 7 du projet de loi, qui repousse de deux ans l’âge de départ légal.
La fédération nationale des ports et docks se félicite des actions menées contre la réforme. «Nous nous félicitons du niveau de mobilisation des Travailleurs Portuaires et Dockers que nous représentons massivement avec une représentativité et une syndicalisation de plus de 90 % chez les Ouvriers Dockers et de 80 % sur l’ensemble de la branche», affirme la fédération dans un communiqué. L’organisation a mis le secteur à l’arrêt depuis le 8 mars grâce à des actions «ports morts». Déterminée, la fédération appelle les travailleurs à «participer en nombre aux initiatives dans les territoires le samedi 11 mars», à se mettre en «arrêt de travail 72 heures mardi 14, mercredi 15 et jeudi 16 mars», à mettre en place une nouvelle action «ports morts» le jeudi 16 mars et, enfin, à arrêter les «heures supplémentaires et shifts exceptionnels».
A Paris, les poubelles s’accumulent dans certains arrondissements. «C’est moche et ça sent mauvais». A Paris, les poubelles s’accumulent dans certains arrondissements, avec 3 700 tonnes de déchets non ramassés jeudi, selon la mairie, au quatrième jour de la grève des éboueurs contre la réforme des retraites. Les agents de la mairie assurent la collecte des déchets dans la moitié des arrondissements parisiens (IIe, Ve, VIe, VIIIe, IXe, XIIe, XIVe, XVIe, XVIIe et XXe), tandis que l’autre moitié est gérée par des prestataires privés. D’où des situations inégales : pour l’heure, la collecte des ordures ménagères n’est pas perturbée dans le XIXe arrondissement, mais commence à l’être dans le XVe où «aucune benne n’est à cette heure sortie» jeudi, indique la mairie.
Marine Tondelier se tient à l’arrivée du cortège, place de la République. Elle se réjouit de la mobilisation de la jeunesse, qu’elle estime concernée par le projet de réforme des retraites. «J’ai fait mes premières manifestations comme militante contre la Loi Woerth en 2010.» L’injustice du projet, selon elle, réside également dans les conséquences du changement climatique. «Nos générations vont devoir connaître une vie active avec 4 degrés de plus», argue la secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts. «Dès lors que cette génération vivra moins longtemps que celle de ses parents, on ne peut pas lui demander de travailler plus longtemps.» Malgré l’avancée des discussions au Sénat, Marine Tondelier ne désespère pas. «Je suis de la génération du CPE [Contrat Première Embauche, 2006], texte voté et non appliqué. C’est donc une question de rapport de force», conclut-elle. Par Mattias Carrasco.
Blocage levé à la raffinerie normande d’Esso-ExxonMobil. La grève a été levée et les expéditions de carburants ont repris à la raffinerie normande d’Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-Gravenchon, l’une des deux grandes raffineries près du Havre, et la première à reprendre le travail. Partout ailleurs, la grève se poursuit dans les raffineries TotalEnergies de la Mède, de Donges, de Normandie, de Feyzin et au dépôt des Flandres. La grève a aussi été reconduite pour 24 heures aux raffineries de Fos-sur-Mer (Esso-ExxonMobil) et Lavera (Petroineos). Sur 200 dépôts de carburants, cinq étaient bloqués mercredi soir contre neuf en début de semaine, selon Olivier Gantois, président de l’Ufip, qui représente les pétroliers : «Pas de problème d’approvisionnement, la situation est en train de s’améliorer».
Enedis dément la coupure de courant au Stade de France. Le distributeur Enedis dément la coupure de courant au Stade de France, malgré la tentative d’agents de l’énergie, qui ont mené cette action pour protester contre le projet de réforme des retraites. «La ligne électrique qui alimente le stade de France n’a pas été coupée», indique une porte-parole d’Enedis, qui confirme en revanche «des coupures» dans la zone commerciale et résidentielle autour du stade, ainsi que sur le chantier du futur village olympique. La CGT ne conteste pas que son action ait échoué sur le stade lui-même. «Les plans du réseau électrique tels que nous les avions n’étaient probablement pas à jour», reconnaît Frédéric Probel, secrétaire général du syndicat CGT Energie Bagneux, qui faisait partie des organisateurs de cette action.
Ambre, militante engagée contre la réforme des retraites et le Service national universel. Devant la Gare de l’Est, le cortège se stoppe une bonne quinzaine de minutes et s’est quelque peu désempli depuis le départ de la manif. «Je suis un peu déçue, je pensais qu’on serait plus à venir. On ne devrait pas être quelques centaines, mais quelques milliers», regrette Ambre, étudiante en première année de philo. Engagée politiquement depuis l’âge de 15 ans, elle a récemment quitté l’Unef, syndicat qu’elle estime «manquer de radicalité», même s’il soutient «beaucoup la cause des étudiants» et «deale avec le gouvernement quand la rue ne peut pas le faire». La jeune femme au chignon relevé et au rouge à lèvres couleur vermillon a fait toutes les manifs cette semaine, et même «les piquets de grève à Gare du Nord à 5 heures du matin». Ce jeudi, Ambre milite autant contre la réforme des retraites que pour le retrait du Service national universel (SNU) qu’elle perçoit comme «la militarisation du pays». Alors que la réforme des bourses patine, cette mineure émancipée aimerait que «les étudiants comme [elle] n’aient pas à taffer en même temps que leurs études pour pouvoir bouffer». Par Lucie Beaugé
L’Alternative appelle au blocage des universités les 14 et 15 mars. Selon le syndicat l’Alternative (issu d’une scission de l’Unef), «le mouvement étudiant contre les retraites n’a jamais été aussi fort et le blocage des universités s’installe. Le message est clair : c’est chez les jeunes que la mobilisation s’accélère le plus.» C’est pourquoi l’organisation appelle d’ores et déjà au «blocage des lieux d’études les 14 et 15 mars» en plus de la manifestation interprofessionnelle du 11 mars. L’utilisation du blocage fait débat parmi les organisations étudiantes, la Fage étant contre et l’Unef peu volontaire sur le sujet. «Plus d’une quarantaine de lieux d’études ont été bloqués mardi et une trentaine mercredi et jeudi», estime l’Alternative.
Tribune
Des vieux dans la manif. La mobilisation avait beau être convoquée par les lycéens et les étudiants, quelques têtes grisonnantes sont venues se glisser dans le cortège. Derrière son sac à dos, Jean-Jacques arbore un autocollant frappé du slogan «Vieux solidaires des jeunes». Du haut de ses 77 ans, dont 25 à lutter au syndicat Solidaires, cet ancien travailleur à l’usine veut défendre les retraites de ses cadets. «Je suis parti à la retraite à 60 ans : il n’y a pas de raisons qu’ils partent plus tard», affirme-t-il, canne à la main. Même revendication pour Marie-Odile, 65 ans, à la retraite depuis cinq années. «Je pense à l’avenir des jeunes qui auront une vie plus difficile que le nôtre. Ils doivent lutter, c’est important : en mai 68 ce sont eux qui ont lancé le mouvement, aujourd’hui c’est l’inverse.» Par Mattias Carrasco.
Trafic SNCF toujours «fortement perturbé» vendredi et tout au long du week-end. Vendredi, la moitié des TGV Inoui et Ouigo seront supprimés ainsi que 60 % des TER. Ce niveau de service devrait rester équivalent tout au long du week-end. Le groupe public appelle donc les voyageurs à «annuler ou reporter leurs déplacements le 10 mars et le week-end», alors qu’une grève reconductible a été lancée mardi à l’appel de tous les syndicats cheminots contre la réforme des retraites. Côté avion, la Direction générale de l’aviation civile a demandé aux compagnies aériennes d’annuler 20 % de leurs vols prévus samedi et dimanche dans plusieurs aéroports, dont Paris-Orly, en raison d’une grève de contrôleurs aériens opposés à la réforme des retraites. Cette réduction du programme de vols concernera samedi Orly, Marseille, Nantes, Toulouse et Bordeaux, tandis que dimanche, seuls Orly, Marseille et Toulouse seront affectés, a précisé l’administration dans un communiqué, traduisant une amélioration de la situation pour les passagers aériens depuis le début de cette séquence de mobilisation, mardi.
Les étudiants en faveur d’un revenu universel. Au croisement rue La Fayette et rue Cadet, les policiers bloquent durant quelques minutes l’avancée du cortège. Lunettes de soleil sur le nez et sous le ciel gris parisien, Baptiste représente une autre école d’architecture, celle de Malaquais (VIe arrondissement). «On veut envoyer le message : les archis sont des écoles précaires. Peu de gens le savent mais on fait partie des budgets par étudiant les plus bas des écoles du supérieur», explique l’étudiant de 20 ans. Celui qui loge dans un appartement du Crous et touche 400 euros de bourses par mois se rend chaque samedi aux distributions alimentaires pour survivre. Comme l’ensemble des syndicats, il milite pour un revenu universel étudiant. «Il y a des jeunes qui ne sont aidés ni par l’Etat, ni par leurs parents», défend avec solidarité ce jeune homme issu d’une «famille de prolos». Trois jours qu’il enchaîne les manifs, dont celle contre la réforme des retraites. Une semaine selon lui synonyme de «convergence des luttes». Par Lucie Beaugé
Au Sénat, la droite marque des points. Les sénateurs ont adopté à la mi-journée un amendement du rapporteur René-Paul Savary (et soutenu par le gouvernement) visant à mettre en place une «surcote» pour les pensions des mères de famille. La mesure a été votée à l’unanimité – 280 voix pour, 0 contre. Celle-ci avait été proposée par le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau pour corriger les effets pervers de la réforme sur les mères ayant cumulé des trimestres de retraites après avoir eu des enfants. «L’impensé de la réforme du gouvernement, c’est la démographie, a expliqué Retailleau. Les femmes sont déjà les grandes perdantes, les mères de famille encore plus.» Le sénateur de la Vendée en avait d’ailleurs fait une «ligne rouge» dans les négociations avec le gouvernement. La gauche a soutenu cet amendement malgré son opposition à la réforme. «C’est mieux que ce que propose le projet de loi mais c’est moins bien que ce qu’ont les femmes aujourd’hui», a justifié la sénatrice socialiste Monique Lubin. Par Victor Boiteau.
Comment les contribuables français financent le très avantageux régime des sénateurs. Ils ne cessent de le répéter lorsque le sujet est évoqué dans le débat public : leur système est «équilibré». Circulez, il n’y a rien à compter. Ainsi réagissent les sénateurs quand est régulièrement abordé leur dispositif – très généreux – de retraites. Interrogé sur France Inter le 8 février, son président, Gérard Larcher, rabâchait ainsi : «Le régime des retraites des parlementaires est un régime autonome, comme la caisse des avocats. [Celui du Sénat] est un régime créé en 1905 dans lequel les sénateurs cotisent […] plus que les députés. C’est un régime qui s’équilibre en lui-même entre la cotisation des sénateurs et la cotisation de l’employeur, qui est le Sénat, et qui est le fruit de la part des réserves qui ont été accumulées pendant 117 années.» Ainsi, les sénateurs refusent d’aligner leur système de retraites sur le droit commun de la fonction publique. Oubliant de préciser que cet équilibre est aussi dû à une contribution particulièrement élevée du Sénat comme employeur, et donc sur fonds publics.
Quelques tensions et dégradations dans le cortège parisien. Rue de Châteaudun, trois jeunes cagoulés en noir brisent les vitres d’un Franprix, symbole du «capitalisme». Le même traitement est réservé à une salle de sport. Une Mercedes grise est pour sa part incendiée un peu plus loin, et des pétards sont lancés aux pieds des forces de l’ordre. Pendant ce temps, le reste du cortège reste impassible et continue de chanter. Les députés insoumis Paul Vannier, Thomas Portes et Antoine Léaument se dressent devant les manifestants. «L’écharpe permet de protéger le cortège. On est là pour faire tampon. Personne ne veut que ça dégénère, assure ce dernier. Je n’ai pas vu ces casseurs, je sais juste que la préfecture de police de Paris doit assurer le droit de manifester.» Dans le cortège, Flavie, 18 ans, vient de se greffer à son groupe d’amis de l’école d’architecture de Belleville. Sur la pancarte de l’étudiante à la casquette bleu canard, on peut lire en rouge sang : «Les moins aisés se font baiser». Depuis une semaine déjà, les élèves, profs et personnels administratifs de son établissement font grève pour dénoncer la précarité étudiante. Cette année, elle en a eu pour au moins «500€ de fournitures», sans aides de l’Etat. «La vie étudiante tout court coûte très cher. Et en archi, impossible d’avoir un travail à côté car ce sont des études très prenantes», regrette Flavie. Cette semaine, elle n’a pas pris part aux autres mobilisations (réforme des retraites, droits des femmes), afin «d’appuyer une manif qui défend spécifiquement les droits des jeunes». Par Lucie Beaugé et Mattias Carrasco.
Sandrine Rousseau et des journalistes chahutés par des manifestants. Sur le parvis de la gare Saint-Lazare, quelques politiques de gauche traînaient au milieu de la centaine d’étudiants. Malgré l’ambiance festive, Sandrine Rousseau et les journalistes de BFM-TV sont d’abord chahutés par des manifestants, et sommés de quitter la place de la gare. Une fois le calme revenu, les élus présents ont tenu à affirmer leur soutien à la jeunesse. «Elle a toute sa place dans le combat contre la réforme des retraites, assure à Libération cette même Sandrine Rousseau. C’est un projet de société extractiviste qui détruit la planète.» Même son de cloche chez le député insoumis Louis Boyard, ancien président de l’Union nationale lycéenne : «La réforme pénalise les jeunes. Elle augmentera le chômage des jeunes et à ce rythme, les jeunes devront réaliser 58 annuités pour avoir une carrière complète.» L’élu avait lancé le #BlocusChallenge il y a quelques jours, incitant les étudiants à bloquer leur établissement scolaire. La campagne avait fait polémique – Valérie Pécresse avait même annoncé porter plainte. «35 écoles et universités ont été bloquées», se satisfait malgré tout Louis Boyard. Par Mattias Corrasco.
Plusieurs individus de la manifestation des étudiants entonnent "BFM collabos" et menacent les journalistes. @libe pic.twitter.com/hR8u0AY1VX
— Mattias Corrasco (@CorrascoMattias) March 9, 2023
Le cortège étudiant et lycéen s’élance rue Saint-Lazare. «Et ça fait grève, blocage, Macron dégage !» Parmi ces jeunes mobilisés dans Paris, huit lycéennes qui ont participé au blocage de leur bahut à Chelles (Seine-et-Marne) ce matin. «La retraite passe mercredi prochain, si on ne bloque pas maintenant, personne le fera à notre place. Nous aussi on a un avis qui compte», juge Mélina, un sac Eastpak sur le dos. Elle tient malgré tout à préciser : «On a fait en sorte que ce soit pacifiste, pour ne pas donner une mauvaise image de la jeunesse.» Pour l’une de ses camarades, blouson en cuir et piercing au nez, le gouvernement a d’ailleurs «peur de la jeunesse» car «il sait qu’elle est moins encadrable» que le reste de la population. Alors que cette semaine est riche en mobilisations en tout genre – contre la réforme mardi, pour les droits des femmes mercredi, contre la précarité étudiante ce jeudi, et pour le climat demain –, elle juge que le gouvernement actuel coche toutes les mauvaises cases : «Liberticide, anti-démocratique, répressif, sexiste… Bref, la liste est longue !» Par Lucie Beaugé.
A Marseille, les voies ferrées de la gare Saint-Charles occupées pendant une heure, le trafic temporairement interrompu.
#Marseille ! Les voies ferrées sont occupées à la gare Saint Charles ! La lutte continue ! pic.twitter.com/0VPTebJWfA
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) March 9, 2023
Devant la Gare Saint-Lazare à Paris, la manifestation contre la précarité de la jeunesse prend corps. Etudiants et lycéens se mobilisent aussi contre la réforme des retraites. «Les retraites c’est aussi une affaire de jeunes. On peut être le point de bascule, l’étincelle de la mobilisation», affirme Eléonore Schmitt, porte-parole du syndicat l’Alternative. L’étudiante à la frange rideau et aux baskets blanches regrette «le mépris de Macron envers la jeunesse». Plus loin, les banderoles se déplient et les chants sont entamés. «Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère : cette société, on n’en veut pas», scandent des jeunes dont les manteaux sont estampillés d’un sticker du NPA. Soudain, une bande de lycéens de Racine, ayant bloqué l’établissement ce matin, débarque. «C’est tous ensemble qu’il faut lutter car c’est tous ensemble qu’on va gagner !» Par Lucie Beaugé.
A la raffinerie de Port-Jérôme, les expéditions ont repris. Le groupe Esso-ExxonMobil assure que les expéditions de carburant à la raffinerie de Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime) ont repris, alors que les salariés des autres raffineries françaises poursuivent la grève. «Je confirme la fin du conflit et la reprise de toutes les expéditions hier à départ de la raffinerie Gravenchon», «y compris vers Paris», assure une porte-parole du groupe. Mardi, quand Libé s’était rendu sur place, plus de la moitié de ses salariés étaient en grève. Le débit dans le site avait alors été réduit au maximum et un arrêt total des sorties de carburant avait été acté.
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