En résumé :
- Après celle du 18 septembre – et le 10 septembre de Bloquons tout –, l’intersyndicale appelait ce jeudi 2 octobre à une nouvelle journée de mobilisation. CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, FSU et Solidaires protestent contre l’austérité budgétaire, alors que le Premier ministre, Sébastien Lecornu, planche toujours sur son projet de budget 2026.
- Outre des appels à débrayer dans les transports, l’éducation nationale ou encore la fonction publique, 240 manifestations étaient annoncées par la CGT sur tout le territoire. Mais les chiffres de la mobilisation sont en recul par rapport à la journée du 18 septembre, qui avait mobilisé entre 500 000 et 1 million de personnes.
- Côté sécuritaire, près de 5 000 policiers et gendarmes étaient déployés dans la capitale, selon le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez. Ils avaient l’ordre de «débloquer immédiatement toute tentative de blocage, qu’il s’agisse de lycées, de dépôts de bus […] ou de routes».
Sans nier le recul de la mobilisation ce jeudi, les responsables syndicaux se projettent dans le temps parlementaire qui va prochainement s’ouvrir autour du budget. Et continuent de rejeter les pistes privilégiées par Sébastien Lecornu. Notre analyse.
Le ministère de l’Intérieur a compté 195 000 manifestants dans l’ensemble du pays, contre «près de 600 000» pour la CGT. Le 18 septembre, les autorités avaient estimé la participation à 505 000 personnes. A Paris, elle s’élève ce jeudi à 24 000 manifestants, selon la préfecture.
2 900 personnes ont défilé ce jeudi dans la capitale des Hauts-de-France, selon la préfecture, contre 7 100 le 18 septembre. Les organisateurs revendiquent 15 000 manifestants, contre 50 000 deux semaines plus tôt.
Une centaine de personnes se sont réunies ce jeudi à Segré, dans le Maine-et-Loire, séduites par une manifestation à taille humaine et peu contraignante en termes de logistique. Notre correspondant à Angers, Maxime Pionneau, était sur place.
«Près de 600 000» personnes ont participé ce jeudi à la journée nationale de mobilisation, selon la CGT. Le 18 septembre, le syndicat avait revendiqué un million de manifestants. Au total, affirme la centrale, les mobilisations des 10 septembre, née sur les réseaux sociaux, puis du 18 septembre et du 02 octobre «ont rassemblé plus de 2 millions de manifestants pour une rentrée sociale historique».
5 000 personnes, selon la préfecture, ont participé ce jeudi à la manifestation au départ de la place Jean-Macé, à Lyon. Un chiffre en nette baisse par rapport à la journée d’action du 18 septembre, lors de laquelle les autorités avaient compté 13 000 manifestants. La CGT, pour sa part, revendique ce jeudi la présence de 12 000 personnes.
«Allez la police, on fait la ola !» Tous les camions de la CGT se succèdent place Vauban à Paris, fin annoncée de cette manifestation calme et bon enfant. Les chiffres du ministère de l’Intérieur entérineront le sentiment général d’une mobilisation beaucoup moins suivie qu’il y a 15 jours. Néanmoins, une tendance se dégage dans les mouvements sociaux : la convergence entre les luttes sociales et la solidarité envers Gaza. Drapeaux palestiniens, écharpes et maillots de foot faussement vintage se font de plus en plus nombreux. La CGT du Val-d’Oise et celle du Val-de-Marne ont appelé à l’instant à rejoindre la mobilisation prévue à 18h30 place de la République à Paris, au lendemain de l’interception de plusieurs navires de la flottille Global Sumud par les autorités israéliennes. Certains manifestants assortissent le drapeau rouge de la CGT avec les couleurs palestiniennes.
Devant le restaurant la Rotonde, adoré de Macron, quelques CRS fouillent les manifestants qui voudraient quitter le cortège au métro Vavin. L’opération se déroule sur les notes d’une fanfare. «La Rotonde, c’est tout un symbole», dit Catherine, 70 ans. Comme le 18, la retraitée, lunettes bleues vissées sur le nez, marche pour l’abrogation de la réforme des retraites, à laquelle elle a échappé et «la mise en place de la taxe Zucman». Pour l’ancienne prof d’archéologie à l’université, les annonces de Lecornu «de recalculer la retraites des femmes sont un bout de sparadrap». A l’angle de la rue, les chants de circonstance se mélangent. Le cap de Catherine est clair : «soutenir la grève générale» pour les futures générations.
Ça s’agglutine un peu. On pense à notre héros vendeur de bière et on espère que son TPE blanc chauffe un peu. On dépasse Montparnasse et nous revient le souvenir d’un 1er mai tout gris, il y a six ans. C’était encore les gilets jaunes, l’époque où l’on pouvait voir des flics de la BAC en manif, survêtement, protections Decathlon et LBD joyeusement exposés comme des nouveaux jouets fraîchement déballés. Didier Lallement, préfet de police d’alors, venait de lancer un tout nouveau concept, la Brav-M : des policiers à moto qui frappaient les manifestants depuis leur véhicule. Ce 1er mai 2019, les gaz lacrymogènes saturaient l’air et, pour tout le monde, c’était presque normal. Des vendeurs de sandwichs cuisaient leurs oignons, leurs poivrons et leurs merguez dans une poêle géante, comme celles des paëllas. Des hommes en jaune équipés de lunettes de piscine commandaient des sandwichs, supplément lacrymo. Aujourd’hui, pas de saucisse. Et beaucoup moins de flics : 5000 dans la capitale selon le nouveau préfet de police. Ils étaient 7400 il y a six ans.
Il y a des attitudes qui ne trompent pas. Sans casque, détendus de la matraque et du bouclier, les flics sont tranquilles. Ils fonctionnent comme au McDo : avec des niveau de tension qui montent ou descendent en fonction du rush en face. Aujourd’hui, c’est comme un dimanche après-midi au fast-food : il n’y a pas grand monde. Mais là, quelque part entre Port Royal et Montparnasse, les bleus sont tendax. Sur quelques dizaines de mètres, les boucliers sont droits et les casques sur les têtes. Des riverains sont bloqués et ça râle. Ça pète ? Même pas. Que protègent-ils ? Un haut lieu politique ? Nous sommes au 105 boulevard de Montparnasse. Derrière le rideau bleu : la très symbolique brasserie la Rotonde, désormais surprotégée à chaque manif sur ce tracé.
Une heure après le départ du cortège, le pas des manifestants est timide sur le boulevard Montparnasse. «Il y a plus d’élus que de manifestants», plaisante un étudiant en passant devant un rassemblement de socialistes. Etienne tient une pancarte «Free Palestine». Il n’a rien entendu des dernières annonces de Lecornu. Son pote essaie de les lui expliquer, notamment la défiscalisation des heures supplémentaires. «Ça ne suffit pas, dit-il. Ça ne suffira jamais.» Autour d’eux, le cortège est calme et clairsemé. Même la sono qui tente de les «motiver motiver» n’a pas d’effet. Une poubelle commence à prendre feu sur le bas côté. L’esthéticienne du commerce d’en face fait des aller-retours pour tenter de l’éteindre en vain – parce que «ça enfume nos clientes, on a mal à la gorge». Elle n’a pas pu se mobiliser, elle devait bosser.
«On était déjà là y a deux semaines. Aujourd’hui, y a personne.» Chasubles du syndicat FGTA-FO sur le dos, ils sont venus de Soissons (Aisne) pour participer au cortège parisien. Arrivés en tête de la foule, le manque de suivi du mouvement les déçoit. Ils se consolent en regardant les photos envoyées par leurs camarades dans la manifestation à Marseille, pendant qu’à quelques mètres devant eux, les CRS patientent. Leur précédente expérience parisienne s’était terminée par une garde à vue, mais pas de quoi décourager ces deux employés d’un entrepôt Carrefour. «On nous a dit qu’on était fous d’y retourner. Mais si on revient pas, on a perdu.»
Ulcérés par leur situation qui ne cesse de se dégrader et sans réponse depuis plus d’un an de Rachida Dati, la ministre démissionnaire de la Culture, les travailleurs du secteur occupent ce jeudi 2 octobre le Palais de Tokyo. Ce genre d’action se multiplie depuis plusieurs mois, une manière de faire entendre leur voix alors que le gouvernement refuse d’engager le dialogue avec eux. Après la Drac Ile-de-France, le centre Pompidou et le Pavillon Villette, l’intersyndicale investit aujourd’hui le musée d’art moderne, dans le XVIe arrondissement parisien. «Ça se passe plutôt bien, il y a une bonne ambiance, du monde qui arrive en renfort, et on a organisé un repas partagé et solidaire, se réjouit Clémence Mauger, porte-parole du Syndicat national des artistes plasticiens-CGT. Mais la direction nous a donné deux heures pour évacuer les lieux. On a voté contre, on attendra l’arrivée de la police.»
Le ministère de la Fonction publique a indiqué avoir recensé 4,22% d’agents de la fonction publique d’Etat en grève ce jeudi à la mi-journée, contre près de 11% le 18 septembre au même moment. La mobilisation est également en repli dans les autres branches de la fonction publique avec 3,7% d’agents en grève dans la fonction publique hospitalière, et 2,35% dans la fonction publique territoriale, selon les chiffres du ministère à la mi-journée. Le 18 septembre, le ministère avait recensé 12,7% d’agents grévistes sur l’ensemble de la journée dans la fonction publique d’Etat, sur un total de 2,5 millions d’agents.
Le dur marché de la bière. Un chariot, une nappe à carreaux rouges et blanc. Trois caisses en plastique remplies de canettes de 1664 ou de bouteilles de Cristalline. Par-dessus, un gros sac de glaçons. Tel est l’attirail du vendeur de boissons à la sauvette dans les manifs, travailleur qui doit éviter à la fois les CRS et les services d’ordre des syndicats. Boulevard de Port Royal, notre héros se fait dégager par celui de l’Unsa. Alors il s’adapte, longe les groupes épars, surjoue la sympathie et lance du «On est là !». Bredouille. Un concurrent le double, on se toise du regard. Un autre remarque son petit TPE blanc. Sourire impressionné. Derrière passe un camion de la CGT : tireuse à bière, bouteille de whisky et cafés. Face à ce mastodonte, notre héros repart et tire seul sa marchandise. Impitoyable concurrence.
Sur la place de la République, à Metz, Yann Amadoro, secrétaire CGT du CSE central de Novasco dit d’un air désabusé : «On a jamais été aussi proches de la fermeture.» En août, l’aciériste lorrain a été placé en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Strasbourg. Le quatrième en onze ans. En France, l’entreprise compte 716 salariés, 450 rien qu’à Hagondange. «Il y a des gens qui ont travaillé toute leur vie dans cette entreprise, 50% des effectifs ont plus de 45 ans, 23% plus de 55 ans», explique Yann Amadoro. «Comment vont-ils retrouver du travail ?» demande le syndicaliste, qui évoque aussi les discussions en cours avec deux repreneurs. Le dépôt d’offres a été repoussé au 31 octobre. Sur la place où près de 200 personnes s’apprêtent à s’élancer, un homme interpelle : «Signez la pétition pour la défense de l’acier ! La Lorraine doit produire de la sidérurgie !»
«On va vous dégager !» Quelques députés socialistes, Boris Vallaud en tête, dépassent la tête du cortège. Non sans hostilité : «PS collabo», lancent quelques manifestants sur leur passage. Il est 14h13 lorsque le cortège parisien s’ébranle enfin.
C’est «la fin d’une séquence», admet sans ambages François Hommeril, le président de la CFE-CGC, au départ du cortège parisien place d’Italie. Si aucun responsable syndical ne s’étonne du reflux de la mobilisation ce jeudi 2 octobre, tous assurent que la «colère» n’est pas retombée pour autant. Prochaine étape pour l’intersyndicale, la déclaration de politique générale de Sébastien Lecornu, qui devrait être un moment de clarification et faire basculer le débat du côté parlementaire. Dans l’immédiat, les journées d’action comme celle du 18 septembre et de ce jeudi ne sont plus à l’ordre du jour, mais «rien n’est exclu» dit Sophie Binet de la CGT.
Départ triste. Un coup de sifflet et les CRS de tête de cortège lancent le départ de la manifestation... Sans les manifestants, qui stationnent toujours tout le long de l’avenue des Gobelins, jusqu’à la place d’Italie. Drapeaux, ballons et autres fumigènes rouges n’ont pas encore démarré. Il s’agit donc, à cette heure, d’une manifestation de CRS.
Aux alentours de 14 heures, à Paris, le départ du cortège intersyndical se prépare et la place d’Italie paraît vide. Autour des ballons syndicaux qui jonchent la fontaine centrale on circule avec une facilité déconcertante. Pierre et Anne (les prénoms ont été modifiés), chasubles floqués CGT, peinent à retrouver leurs collègues de la Poste. «Il y a beaucoup de moins de monde sur le 18», lâche la postière, le regard triste. La faute à une «mauvaise communication», suppose-t-elle.
Avec sa sono qui chante Get Lucky, la CFDT semble plus chanceuse avec un cortège davantage fourni. Virginie, infirmière depuis vingt ans, vient d’apprendre les nouvelles annonces faites par Lecornu. L’une d’elles la fait tiquer. «C’est super de baisser l’impôt pour les couples au smic, mais la classe moyenne est encore laissée de côté.» Près d’elle, des chants pour la justice fiscale raisonnent. C’est le départ en direction des Invalides.