En résumé :
- Emmanuel Macron exclut toute dissolution, remaniement ou retrait du texte à court terme. Face à une crise de régime, l’Elysée a laissé fuiter la liste de tout ce que le Président n’annoncera pas dans son interview sur TF1 et France 2, ce mercredi à 13 heures.
- A Paris, place de la République, quelques centaines de personnes sont réunies à l’appel de plusieurs unions départementales de syndicats (CGT, FO, Solidaires...).
- Dans le Sud-Est, après l’annonce de la réquisition du dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer, de vives tensions ont opposé grévistes et forces de l’ordre. Les éboueurs de Marseille ont aussi décidé de durcir leurs actions.
«La foule» n’a «pas de légitimité» face «au peuple qui s’exprime à travers ses élus», dit Macron. Le Président a estimé mardi soir devant les parlementaires de son camp qu’il fallait «apaiser» et «écouter la colère» des Français après l’adoption contestée de sa réforme des retraites. «Utiliser la Constitution pour faire passer une réforme est toujours une bonne chose si on veut être respectueux de nos institutions », dit Macron pour justifier le recours au 49.3 décrié par les opposants à son texte, assurant qu’il n’y avait «pas de majorité alternative». Après avoir demandé d’apaiser, donc, il a sorti le lance-flammes et affirmé, selon un participant à la réunion, que «la foule» n’a «pas de légitimité» face «au peuple qui s’exprime à travers ses élus». «L’émeute ne l’emporte pas sur les représentants du peuple», a-t-il ajouté. Pour faire diversion, il a promis d’«avancer» sur «la santé, l’école et l’écologie», tout en organisant «la société du plein emploi».
Le gouvernement reporte l’examen du projet de loi immigration au Sénat. Selon Public Sénat, le projet de loi immigration, s’apprête à être une nouvelle fois reporté. Le gouvernement avait présenté un projet de loi en Conseil des ministres fin janvier. Le Sénat l’avait déjà voté en commission dans une version modifiée la semaine dernière et s’apprêtait à l’examiner en séance publique mardi prochain. Un calendrier bouleversé par la réforme des retraites et la contestation sociale inédite qui bouscule le pays.
A Paris, ça sent la fin. La place de la République se vide petit à petit, un processus bien aidé par quelques tirs de lacrymos. Aux extrémités, la police laisse passer les gens au compte goutte en n’oubliant pas de contrôler leurs sacs.
A l’Elysée, Macron remercie Dussopt devant les parlementaires.
Devant les parlementaires à l'Elysée, Macron remercie Dussopt, toujours 1er de la classe, "qui a porté le texte avec beaucoup de courage malgré les attaques odieuses", puis Riester (qui a pourtant bien canardé la réforme dans les médias) et Attal
— LaureEquy (@LaureEquy) March 21, 2023
Premières tensions et jets de lacrymogènes à République. 20 heures sur la place. Le rassemblement syndical est officiellement terminé. Plusieurs centaines de personnes continuent de danser, de siffler et de scander «siamo tutti antifascisti». Aux abords de la place, un premier mouvement de foule marque les premières tensions avec la police. Au jet de quelques objets répondent des lacrymos, poussant une partie des manifestants à dégainer des masques patiemment accumulés depuis le début de la crise sanitaire. Une partie de la foule se réunit autour d’un scooter incendié. Un petit feu d’artifice est lancé à proximité de l’incendie, provoquant un déplacement de foule vers la rue du Faubourg du Temple.
Macron exclut toute dissolution remaniement ou retrait du texte à court terme. Face à une crise de régime, Emmanuel Macron tente le menu minceur. Ni remaniement, ni dissolution, ni référendum : l’Elysée, dès mardi, a laissé fuiter la liste de tout ce que le Président n’annoncera pas dans son interview sur TF1 et France 2, ce mercredi à 13 heures. Drôle de façon de banaliser la première intervention du chef de l’Etat depuis le passage en force de son gouvernement sur la réforme des retraites à l’Assemblée, alors que les manifestations spontanées, avec leur lot de tensions avec les forces de l’ordre, se poursuivent à travers la France. «Il y aura un message : pacifier le pays, appeler au calme et à revenir à l’esprit de responsabilité», souffle un communicant de la majorité. Pépouze.
A Paris, «ils ne vont pas se laisser faire les jeunes». «L’habit ne fait pas le moine», dit-il. Avec son costume d’employé de bureau et son attaché-case dans la main droite, Frédéric Mathieu est aisément remarquable dans la foule de plusieurs centaines de personnes – peut-être plus d’un millier – qui s’est réunie place de la République à Paris. On l’entend bien aussi, lui qui reprend à plein voix tous les slogans, de «grèves, blocages, Macron dégage» à «grève générale». Agent administratif dans un lycée du XIIIe arrondissement – « il faut que je me sape » se justifie-t-il donc – Frédéric Mathieu est venu en sortant du travail. «T’as vu, on est pacifistes», dit-il pour souligner son incompréhension face au refus de l’exécutif d’entendre la rue. «On les envoie à l’ENA et ils ne sont pas capables de maintenir le système par répartition ?» s’interroge-t-il encore quand on évoque le déficit de 12 milliards d’euros justifiant la réforme. «Pendant deux ans de plus je serai pauvre et puis je resterai pauvre», constate ce locataire d’un HLM à Conflans, qui met son réveil à 5h35 tous les matins pour prendre le bus de 6h40. Et les manifestations inopinées d’étudiants comme hier soir ? «Ils ne vont pas se laisser faire les jeunes, croit-il. Ils ne sont pas comme nous.»
Fonction publique, annulations de réunions en série. Le conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (Cnracl) où devaient être présentées les conséquences du projet de loi sur les retraites pour les agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière aurait dû se tenir aujourd’hui. Il a été annulé. Les organisations syndicales y siégeant avaient refusé d’y participer. Dans un courrier commun, la CGT, FO, et la CFDT, demandent le retrait du projet de réforme. Elles attirent aussi l’attention sur les millions d’agents concernés, et notamment les femmes, «grandes perdantes» ainsi que ceux qui exercent des métiers pénibles, qui ne sont «même pas pris en considération» avec «l’ajout de ces deux années supplémentaires à des personnels déjà usés et fragilisés par leurs conditions de travail très dégradées». Ce n’est pas la seule réunion qui a été annulée dans la fonction publique. Le 21 mars également, les huit syndicats de la fonction publique auraient dû se rencontrer avec l’administration pour discuter des élections professionnelles passées et des chantiers du ministre, notamment sur les rémunérations et les conditions de travail.
Emmanuel Macron au JT : «S’exprimer au 13 heures, c’est dédramatiser la situation». Après des semaines de quasi-silence, le président de la République accordera mercredi une interview aux JT de TF1 et France 2. Un exercice balisé pour un chef d’Etat cherchant à rassurer son électorat retraité, analyse le spécialiste de la communication politique, Christian Delporte. Lire son interview ici.
A Paris, «le peuple se réveille». Place de la République, quelques centaines de personnes sont réunies à l’appel de plusieurs unions départementales de syndicats (CGT, FO, Solidaires...). La foule s’ambiance tranquillement en suivant les slogans scandés par une militante perchée sur un camion Sud Education, au pied de la statue de la République. Les étudiants sont nombreux. Certains semblent un peu circonspects en entendant le fameux «La retraite à 60 ans, on s’est battus pour la gagner, on se battra pour la garder», mais s’y joignent volontiers. «Le peuple se réveille», se réjouit une cheminote SUD-Rail à l’évocation des rassemblements plus ou moins inopinés qui se succèdent depuis le recours au 49.3.
Le gouvernement a saisi le Conseil constitutionnel. Elisabeth Borne avait promis lundi soir qu’elle saisirait elle-même les sages du Palais-Royal pour examiner la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, qui véhicule la réforme des retraites. C’est chose faite vingt-quatre heures plus tard, d’après la publication du Conseil constitutionnel, qui doit désormais «se prononcer sur la conformité de ce texte à la Constitution». Reste à savoir si la Première ministre a opéré une saisine en urgence, auquel cas l’instance doit se prononcer en huit jours, au lieu d’un mois pour une procédure classique. En outre, le RN a aussi déposé sa propre saisine.
Libé dévoile le contenu du recours au Conseil constitutionnel déposé par la gauche. Une trentaine de pages et beaucoup d’espoir pour la Nupes. Au lendemain des rejets des motions de censure contre le gouvernement d’Elisabeth Borne, provoquant l’adoption de la décriée réforme des retraites, les parlementaires de gauche ont, comme promis, déposé un recours au Conseil constitutionnel, ce mardi après-midi pour tenter de faire censurer le texte. Dans le document, que Libération a pu consulter en exclusivité, les signataires de la saisine expliquent que selon eux, «ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale est manifestement contraire à plusieurs dispositions constitutionnelles et principes à valeur constitutionnelle». Ce qu’ils tentent ensuite de démontrer en long, en large et en travers. Notre article à lire ici.
Jadot et EELV condamnent les méthodes des forces de l’ordre. «Beaucoup de témoignages terribles, y compris de jeunes manifestant pacifiquement qui se retrouvent gazés, nassés, violentés ». Dans un message sur Twitter ce mardi en fin d’après-midi, Yannick Jadot déplore l’attitude des forces de l’ordre depuis jeudi et les mobilisations spontanées à Paris et en France contre la réforme des retraites. «Cette stratégie de maintien de l’ordre est une insulte à la République», cingle l’eurodéputé et ex-candidat à la présidentielle écologiste. Un peu plus tôt, son parti Europe Ecologie - Les Verts demandait «une revue immédiate des techniques de maintien de l’ordre, la dissolution de la Brav-M ainsi que l’arrêt des techniques de nasse, jugées comme illégales».
Sous la Ve République, 127 motions de censure proposées, une seule adoptée. Avec les deux de lundi, un total de 127 motions de censure ont été votées au cours de la Ve République. La majorité d’entre elles (67) étaient déposées en réaction au recours à l’article 49.3 de la part du gouvernement, les 60 restantes ont été des motions spontanées. Pour forcer le Premier ministre à la
, les députés ont besoin de réunir la majorité absolue des députés, abstentionnistes compris. Pour renverser le gouvernement Borne, les suffrages de 287 députés étaient donc nécessaires. Depuis le début de la Ve République, il y a bientôt soixante-cinq ans, il n’y a eu qu’un seul cas de renversement du gouvernement. C’était en 1962, dans les premières années du régime. Notre article data est à lire ici.
Le trafic des métros et RER «très perturbé» jeudi, prévient la RATP. Pour la neuvième journée nationale de mobilisation contre la réforme des retraites jeudi, la régie des transports parisiens prévoit un trafic «très perturbé sur les réseaux RER et métro», d’après un communiqué publié ce mardi. En revanche, la circulation des bus et tramways sera «quasi normale». En conséquence, la RATP «invite tous les voyageurs qui en ont la possibilité à privilégier le télétravail ou à différer leurs déplacements sur le réseau ce jour-là».
A Calais, «on ne peut rester impassible». Devant le Channel, scène nationale à Calais (Pas-de-Calais), flotte un fanion de la CGT, et dans la cour, un panneau annonce la grève du personnel, depuis samedi dernier. «Notre mot d’ordre, c’est pas de lever de rideau jusqu’au retrait de la réforme», expliquent Erwan Frélaut et Marion Bouclet, porte-paroles des salariés. Un 49.3 en lettres de bois est à moitié calciné. «C’est une tentative d’incinération : on l’a fait samedi, mais le feu a eu du mal à prendre», sourit Erwan Frélaut. Le passage en force de la réforme, «sans vote», précise-t-il, a été un déclencheur. «Il faut hausser le ton à notre niveau. En tant que salariés, on ne peut rester impassible», dit-il. Sa collègue, Marion Bouclet, poursuit : «Je rêve que tout le monde s’y mette, les ouvriers, les profs, les cultureux. Ce serait un peu notre 49.3 à nous. Et bam. J’ai très envie de ça.»
Vers un remaniement à la mi-avril ? Elisabeth Borne se vivait en «fusible» jeudi, au moment de déclencher le 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites à l’Assemblée mais elle n’a pas encore sauté de Matignon. L’entourage d’Emmanuel Macron a d’ailleurs déjà prévenu qu’il n’annoncerait pas de remaniement dans son interview mercredi à 13 heures. Reste que le destin de la Première ministre semble scellé pour une partie de la macronie : «Borne ne peut pas rester», affirme à Libération un conseiller de l’Elysée. Soit mais quand ? Plusieurs séquences s’annoncent : le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur la validité de la réforme des retraites d’ici à la fin du mois puis le voyage du chef de l’Etat en Chine. On arrive donc à la mi-avril, date à laquelle Emmanuel Macron pourrait «tout changer», selon cette source. Bonus : au-delà du 5 avril, Elisabeth Borne aura dépassé le bail d’Edith Cresson à Matignon. De quoi la virer en toute tranquillité pour la grande cause des femmes du quinquennat.
«Nous n’avons jamais été aussi loin dans la concertation», ose Borne. Interrogée par la présidente du groupe écologiste Cyrielle Chatelain sur les vidéos de violences policières qui se multiplient sur les réseaux sociaux en marge des mobilisations contre la réforme des retraites, la Première ministre s’est livrée à un auto-satisfecit. «Depuis des mois, nous avons bâti un compromis sur la réforme dans le respect de nos institutions», a-t-elle lancé, osant même dire le gouvernement n’a «jamais été aussi loin dans la construction d’un compromis». De quoi faire bondir les oppositions. «Fin de la blague, suite de la provocation», réagit la députée communiste Elsa Faucillon sur les réseaux sociaux.
Après Darmanin, au tour de Borne de calmer les policiers. Interpellée lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale ce mardi après-midi au sujet des violences commises par les policiers et gendarmes contre les opposants à la réforme des retraites, la Première ministre Elisabeth Borne a rappelé que les forces de l’ordre «ont un devoir d’exemplarité». «Tout signalement est examiné», a-t-elle ajouté, alors que le préfet de police de Paris a affirmé ce mardi qu’il a saisi l’IGPN pour le cas d’un agent ayant frappé un manifestant au visage. Plus tôt dans la journée, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait déjà fait la leçon à ses troupes, concernant «l’indispensable proportionnalité de l’usage de la force».
Les étudiants viennent en soutien aux salariés grévistes de l’incinérateur d’Ivry. Un fief à défendre dans la lutte contre la réforme des retraites, un symbole de soutien aux éboueurs grévistes. Menée par des étudiants de l’université de Nanterre (Hauts-de-Seine), une manifestation au départ de l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), à l’arrêt depuis le 6 mars, a entamé ses premiers pas en début d’après-midi, le long de la Seine, direction le quai d’Austerlitz. Un jeune crie. «On ne lâchera rien ! Les éboueurs, les étudiants, les profs et tous les autres !» L’usine d’incinération d’Ivry – la plus grande d’Europe avec près de 700 000 tonnes de déchets traités chaque année –, est complètement bloquée ce mardi, comme hier. «C’est un message envoyé au gouvernement», martèle Sam, agent de maintenance à la RATP. Et le cortège insiste, chantant en chœur : «C’est trop tard, on ne rentre plus, nous on a pris la rue !» Par notre journaliste Benjamin Soyer.