Depuis deux semaines à Fort-de-France, il y a eu comme une impression de déjà-vu. Quinze ans après la grève générale contre la vie chère qui avait paralysé les Antilles, trois ans après un mouvement social parti de l’obligation vaccinale contre le Covid-19 et qui avait fait tache d’huile aux problèmes du quotidien, les manifestations contre le coût de la vie sont de retour en Martinique.
Le 1er septembre, à l’appel du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC), plusieurs centaines de personnes ont manifesté entre un centre commercial et les abords du port de Fort-de-France. Objectif des manifestants : dénoncer, encore une fois, le fait que le prix des denrées alimentaires est 40 % plus élevé en Martinique que dans le reste de la France, alors que le taux de pauvreté y en parallèle est près de deux fois plus élevé.
— Joe King (@Joe_Kingmtk) September 10, 2024
Depuis le 1er septembre, la mobilisation du RPPRAC continue et les manifestations se multiplient. Le collectif bloque régulièrement, avant d’être délogé par les forces de l’ordre, des centres commerciaux ou le port de Fort-de-France, par lequel transitent 98 % des marchandises qui entrent ou sortent de Martinique. Lors d’une conférence de presse mardi, les représentants du RPPRAC ont annoncé vouloir durcir leurs actions tout en appelant à «une implication maximale de la population», rapporte Ouest-France.
«Pour le moment, on veut démontrer au peuple qu’on peut mener un combat propre et pacifique. On n’est pas venu faire la guerre, on vient légitimement réclamer quelque chose de respectable et on le fait pacifiquement mais s’ils veulent (faire) dégénérer les choses, malheureusement on finira par y arriver», a averti le lendemain le président du collectif, Rodrigue Petitot. Les manifestants ne demandent qu’une chose : un alignement sur les prix de l’Hexagone. Jusqu’à présent, si plusieurs blocages et tensions ont été signalés la nuit dans certains quartiers de l’île, on reste encore loin des mouvements sociaux de 2009 et de 2021.
Pour faire tache d’huile (et imiter les gilets jaunes), Martinique la 1ere rapporte que les manifestants distribuent sur les barrages des rubans rouges, qu’ils demandent aux automobilistes d’accrocher à leurs rétroviseurs, signe de ralliement au mouvement.
Une baisse de 20 % du prix de 2 500 produits proposée
Une première réunion a eu lieu le 5 septembre entre des acteurs économiques, politiques, associatifs et le préfet de Martinique pour éviter que le mouvement social ne se transforme en blocage généralisé. Convié, le RPPRAC a claqué la porte des négociations dès le début de la réunion après que Jean-Pierre Bouvier, le préfet de l’île, a refusé que les échanges ne soient filmés.
«Les participants à cette réunion se sont engagés à aboutir collectivement à une baisse durable des prix de 20 % en moyenne, de 2 500 produits de grande consommation, en s’appuyant, notamment sur une meilleure répartition des frais d’approche», a par la suite annoncé la préfecture dans un communiqué. Une avancée qui n’est pas à la hauteur des attentes du collectif, qui a donc décidé de maintenir la pression. Une nouvelle réunion doit avoir lieu ce jeudi 12 septembre pour rediscuter de ces propositions et parler de leur mise en œuvre. Là encore, la RPPRAC a promis de quitter la réunion si elle n’était filmée en direct.
Malgré les nombreuses mesures adoptées depuis 2009, le différentiel de prix entre la Martinique et la France hexagonale demeure considérable : il était de 14 % en 2022, et de 40 % donc pour les seuls produits alimentaires, selon une étude de l’Insee publiée en juillet 2023. En juillet 2024, le taux d’inflation sur douze mois s’établissait à 3,2 % dans l’île de 350 000 habitants et à 4 % pour l’alimentation, contre 2,3 % et 0,5 % respectivement au niveau national. «Quand vous allez dans un supermarché ici, que vous comparez les produits avec ceux de la métropole, c’est systématiquement plus cher. Même les bananes, qui poussent pourtant ici, sont plus chères qu’à Paris», illustrait déjà à Libé en 2021 Marie-José, une habitante de Fort-de-France.
Les importations en grande partie responsables de la hausse des prix
Interrogé par l’AFP, Patrick Plantard, le président de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus des Antilles-Guyane, explique que l’éloignement géographique est responsable de «65 à 67 % du surcoût». En outre, la taille réduite du marché local «ne permet pas d’économies d’échelles pour nos producteurs», ajoute-t-il, estimant enfin que l’octroi de mer – impôt local prélevé sur les produits importés pour financer les collectivités – introduit «une barrière douanière déguisée, mais aussi une barrière administrative, qui empêche le développement de l’e-commerce».
Ces surcoûts structurels qui s’additionnent tout au long de la chaîne d’approvisionnement, dans une île qui importe 85 % des produits qu’elle consomme, ont un impact notable sur les produits à faible valeur ajoutée comme l’alimentation. Ainsi, un paquet de pâtes vendu à Fort-de-France «aura pris plus de 71 % par rapport à son prix d’achat», illustre Catherine Rodap, la présidente du Medef Martinique, toujours auprès de l’AFP. Elle préconise un coût de transport modulé «en fonction de la valeur réelle des marchandises» et un «abattement total ou partiel de l’octroi de mer» sur les produits de première nécessité.