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Fin du mois ou fin du monde

Energie: pour le gouvernement, l’urgence climatique passe après le pouvoir d’achat

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
Les projets de loi sur les mesures d’urgence et la loi de finances rectificative, votées en juillet à l’Assemblée nationale, ont envoyé à la trappe plusieurs engagements verts. La faute à un manque d’anticipation et à des priorités de la macronie, qui interrogent.
La centrale à charbon Emile-Huchet à Saint-Avold (Moselle) devrait redémarrer l'hiver prochain, pour faire face au risque de pénurie de gaz et de pétrole russe l'hiver prochain. (Jean-Christophe Verhaegen /AFP)
publié le 27 juillet 2022 à 20h59

La taxe sur les superprofits des grandes multinationales pétrolières, c’est non. Les aides versées en fonction des actes environnementaux et sociaux des entreprises, idem. Des aides spécifiques pour les transports collectifs, aux oubliettes. Dans son projet de loi sur les mesures d’urgence pour le pouvoir d’achat ou celui sur la loi de finances rectificative, le gouvernement et sa majorité relative ont, ces derniers jours, laissé de côté la plupart des ressources ou aides qui auraient pu articuler écologie, social et économie. Ce que les députés et associations écologistes regrettent. Tour d’horizon de quatre décisions pour lesquelles l’urgence climatique a été en partie sacrifiée sur l’autel de l’économie.

Du gaz de schiste s’amarre au Havre

L’information a d’abord interrogé : pourquoi inscrire la construction d’un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) dans un projet de loi portant sur les mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat alors qu’il… sortira de mer en septembre 2023 ? Cette installation ne part pas de zéro, puisqu’elle s’agrégera au terminal méthanier du port du Havre : des navires méthaniers iront chercher du GNL puis s’amarreront à un terminal flottant, sur lequel le gaz liquéfié sera regazéifié avant d’être injecté sur le réseau par une longue canalisation. La quantité importée est conséquente : elle doit fournir 10 % de la consommation de gaz en France.

Sauf que ce projet soulève des interrogations environnementales. Tout d’abord, la construction de ce terminal nécessitera l’intervention d’un microtunnelier pour faire passer sous le grand canal du Havre un tuyau de 3,5 kilomètres, afin de raccorder la nouvelle infrastructure au réseau général de gaz. Pour accélérer les choses, le projet sera dispensée des évaluations environnementales traditionnelles.

Deuxième souci, et non des moindres : ce terminal devrait notamment accueillir du gaz de schiste américain. «Or c’est la pire des énergies fossiles, avec un bilan carbone plus lourd que celui du charbon», a asséné la députée Delphine Batho à la rapporteure du projet de loi, mercredi à l’Assemblée. La pire des énergies faute d’anticipation, c’est en effet ballot. «Vous écrasez le droit de l’environnement, vous relancez le charbon et vous nous proposez du gaz de schiste étasunien !» a résumé la députée Nupes-LFI Clémence Guetté à propos du terminal du Havre et de la centrale à charbon de Saint-Avold.

Le charbon redémarre à Saint-Avold

«Ce retour au charbon n’est pas une bonne nouvelle.» C’est la rapporteure LREM Maud Bregeon qui le dit, alors que les articles 15 et 16 du projet de loi sur le pouvoir d’achat défendu par le gouvernement autorisent le redémarrage en octobre de la centrale à charbon de Saint-Avold, en Moselle. Dans l’hémicycle le 21 juillet, la députée a justifié cette relance de l’énergie la plus polluante en matière d’émission de CO₂ par la «situation exceptionnelle» liée à la guerre en Ukraine.

Les 87 salariés du site, dont une majorité ont été licenciés fin mars, avaient pourtant dû se résoudre à tourner la page après 74 ans d’activité de la centrale Emile-Huchet. Un trauma pour la région, marquée par l’histoire de ses mines, mais une bonne nouvelle pour l’écologie. Le 26 juin, le ministère de la Transition énergétique a fait machine arrière, annonçant la potentielle reprise «à titre conservatoire» de la centrale. L’aspect temporaire est important : Emmanuel Macron s’était engagé à fermer, au plus tard cette année, les dernières centrales à charbon de France.

La décision est d’autant plus symbolique que le site devait se transformer en nouveau pôle vert, avec des activités liées à la biomasse et à l’hydrogène à partir de 2024. «Le redémarrage du charbon ne doit en rien changer la trajectoire de transition écologique du site», prévient Camille Jaffrelo, porte-parole de GazelEnergie, le groupe qui gère la centrale. En attendant, il faut remettre en état la machinerie qui devait partir à la casse. «10 millions d’euros sont désormais prévus pour les maintenances cet été», précise Camille Jaffrelo. La centrale brûlera 500 000 tonnes de charbon cet hiver, comme un retour en arrière.

Subventionner l’essence plutôt que la sobriété

La ristourne de 18 centimes sur chaque litre d’essence et l’indemnité carburants pour les travailleurs devaient progressivement être supprimées entre le 1er octobre et le 1er décembre. Mais comme nous le racontions dans Libération ce week-end, des négociations préalables au projet de loi de finances rectificative entre la macronie et LR ont permis de déminer le sujet. Et d’arriver à un compromis entre les deux camps : la remise est prolongée et elle est même portée à 30 centimes. Sans compter que la riche multinationale TotalEnergies s’est engagée à en appliquer une de 20 centimes supplémentaires dans ses stations.

Problème : cette réduction s’appliquera à tous. Or selon le Conseil économique, social et environnemental, la précédente remise avait deux fois plus bénéficié aux 10 % les plus riches qu’aux 10 % les plus pauvres. Au lieu d’inciter les gros rouleurs à moins utiliser leur voiture lorsqu’ils le peuvent, tout en aidant les plus défavorisés avec une aide ciblée leur permettant de faire leurs déplacements professionnels ou leurs courses, les macronistes et LR ont préféré une aide qui ne correspond pas vraiment aux souhaits de sobriété avancés par le président Macron ce mois-ci. D’autant plus que pour suivre la feuille de route du Pacte vert européen, une réduction de 90 % des émissions de gaz à effet de serre générés par les transports sera nécessaire d’ici à 2050 par rapport à leur niveau de 1990. Or près des deux tiers des émissions émises par ce secteur en France proviennent des voitures particulières.

Le remplacement du chauffage au fioul attendra

Plus de 3 millions de Français se chauffent au fioul, peu vertueux sur le plan environnemental. Un grand nombre de familles modestes n’ont pas les moyens de changer pour d’autres sources moins polluantes. Or, un amendement présenté par LR vise à aider tous les foyers qui se chauffent à l’aide de cette énergie, peu importent leurs ressources financières. Le tout grâce à 230 millions d’euros ponctionnés sur… des crédits auparavant alloués aux quartiers populaires.

Là encore, le timing interroge. Si l’urgence de faire face à une possible crise énergétique l’hiver prochain s’entend, l’Assemblée et le gouvernement auraient pu profiter de la situation pour abandonner tout ou partie de cette production polluante. «En tant qu’écologistes, nous ne sommes pas favorables à la subvention et à l’investissement dans cette énergie. L’urgence absolue, c’est que les gens sont pris à la gorge», rappelle Adrien Quatennens, député Nupes-LFI, qui regrette en revanche que les crédits aient été pris sur ceux de la politique de la ville. La députée Nupes-EELV Sabrina Sebaihi, qui a voté l’amendement, résume l’écueil : «C’est le gouvernement qui nous met dans cette impasse et nous prend en otage, car ces chaudières auraient dû être changées depuis bien longtemps. On aurait dû faire cet accompagnement pour les aider à sortir de cette précarité énergétique.» Ou comment le manque d’anticipation face à la précarité énergétique a créé l’urgence.

Mis à jour le 29 juillet à 18h16 : sur le projet du Havre, un amendement du gouvernement supprimant un alinéa de l’article 14 du projet de loi prévoyant les diminutions des procédures pour les fouilles archéologiques a été adopté au Sénat ce vendredi.