On prend les mêmes et on recommence. Après la foire d’empoigne parlementaire déclenchée par l’examen de la partie recettes du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 – mis sur pause jusqu’au 5 novembre faute d’avoir pu boucler le passage en revue d’une montagne d’amendements – les députés s’attaquent en séance publique, ce lundi 28 octobre, au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Examen qui s’annonce non moins houleux. Car ce texte, qui doit fixer le budget de la Sécu pour l’an prochain, a lui aussi été conçu par le gouvernement de Michel Barnier dans un souci premier de réduction des dépenses publiques. Pour 2025, et quoi qu’en dise la ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, «le premier objectif est de contribuer au redressement des finances publiques» (comme on peut le lire dans le dossier de presse du texte).
La santé, qui représente environ 15 % des dépenses publiques, n’échappe donc pas à cette logique d’austérité même si, sur le papier, avec 268 milliards d’euros budgétés, l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) progresse de 2,8 % (+ 18 milliards) par rapport à 2024. Mais dans les faits, «c’est une augmentation en trompe-l’œil», a déjà vertement corrigé la Fédération hospitalière de France (FHF), qui parle d’«un financement relatif négatif» : corrigée de l’inflation, l’évolution des moyens alloués retombe en effet à 0,2 %, alors même que les besoins de santé augmentent constamment avec le vieillissement de la population. En tout état de cause, on est loin des + 5,3 % du précédent budget de la Sécu. D’autant que le gouvernement ambitionne par ailleurs de trouver 15 milliards d’économies. Une logique du rabot forcément impopulaire quand on parle des moyens alloués à la santé et à la protection sociale et qui ravive l’affrontement droite-gauche dans l’hémicycle, avec le RN en position d’arbitre opportuniste.
L’exécutif a déjà pu mesurer les embûches qui l’attendent au Palais-Bourbon. La semaine dernière, le PLFSS 2025 a été largement réécrit et la gauche a remporté quelques victoires symboliques comme le vote d’amendements abrogeant la réforme des retraites ou torpillant le décalage du 1er janvier au 1er juillet de l’indexation des retraites de base sur l’inflation. Mais vu la zizanie, l’ensemble du texte a finalement été rejeté à l’unanimité de la commission des affaires sociales. Les députés vont donc commencer cet après-midi l’examen du projet de loi dans sa version gouvernementale initiale. Passage en revue des points chauds de ce budget de la Sécu qui vont ambiancer les débats parlementaires.
Polémiques, pressions et austérité
La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût, que le gouvernement essaie de diminuer sans que cela ne se voie trop. Si les dépenses maladie prévues pour 2025 progressent plus que l’inflation, elles ne suivent pas pour autant le rythme imposé par le vieillissement de la population. Première mesure d’économie du PLFSS pour 2025, laisser les mutuelles privées assumer le passage de la consultation de base chez le généraliste de 26,50 euros à 30 euros. Cette hausse de la part de la facture payée par les mutuelles ou les complémentaires santé, aussi appelée ticket modérateur, doit gérérer une économie de 1,1 milliard d’euros. Deuxième mesure, diminuer les indemnités journalières des arrêts de travail. Les employeurs sont invités à pallier la puissance publique. Voilà 600 millions d’euros d’économisés. Troisième mesure, serrer le cordon de la bourse pour des hôpitaux déjà moribonds. Les hôpitaux voient leur enveloppe grimper de 3,3 milliards d’euros, mais dont 1,2 milliard sont déjà engagés pour la hausse de leurs cotisations retraites. Le message est clair, les malades coûtent trop cher, prière de rester en bonne santé.
En commission des affaires sociales, les députés ont été particulièrement critiques avec l’article 16 du texte. Il prévoit de ne rembourser les prescriptions de transport, d’analyses biologiques ou d’imagerie que sur motivation par les médecins. Une proposition jugée trop lourde administrativement par les médecins et pharmaciens et susceptibles de décourager le recours au soin, selon les associations de patients.
Le gouvernement s’oppose aussi aux députés sur le volet recettes. La commission a proposé de nouvelles taxes sur le sucre et l’alcool, arguant de la nécessaire prévention contre les maladies chroniques et l’addiction. Levée de boucliers chez les industriels qui dénoncent une «surtaxe» susceptible «amplifier la pression inflationniste sur les familles françaises», selon le Syndicat des boissons sans alcool. Une inquiétude relayée par la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard. Ou comment être du côté des industriels mais pas des patients.
Haro œcuménique sur le report de l’indexation des retraites
Le gouvernement avait trouvé 4 milliards d’euros d’économies faciles en décidant de différer de six mois l’indexation des retraites de 15 millions de pensionnés. Mais les députés «spécialistes» de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale ont donc massivement rejeté vendredi l’article 23 du PLFSS, qui prévoyait de décaler du 1er janvier au 1er juillet l’indexation des retraites de base sur l’inflation. «On ne peut pas faire des économies de manière indifférenciée sur l’ensemble d’une population et, particulièrement pas des retraités dont on sait que les situations économiques et sociales sont très différentes», avait résumé en commission la députée écologiste Sandrine Rousseau, corapporteure du texte, à l’unisson des avis exprimés par les neuf groupes (sur onze qui composent l’Assemblée) qui avaient déposé des amendements pour supprimer la mesure. Consensus partagé des insoumis au RN (par son député Thomas Ménagé), et jusqu’au «socle commun» censé appuyer le gouvernement : le député DR (issu de Les Républicains) Thibault Bazin a ainsi dénoncé un arbitrage «profondément injuste», quand le macroniste Didier Le Gac rappelait que son parti avait «pris l’engagement durant la campagne des législatives de ne pas organiser de gel sur les retraites». Ce tir de barrage œcuménique augure mal de l’adoption du report de l’indexation des retraites à l’Assemblée sans passage en force à coup de 49.3. Aussi le gouvernement pourrait lui-même amender sa mesure en limitant son impact sur les retraités les moins favorisés : le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, a déjà fait savoir qu’il était prêt «à ce qu’on ait une ouverture sur les petites retraites», la question posée étant celle du «curseur» : «Est-ce que c’est 1 200 euros, 1 400 euros ?»
Tir de barrage droitier contre le relèvement des cotisations patronales
Pour une fois que Michel Barnier donnait un gage à gauche dans son projet de budget ! Le Premier ministre et sa ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, voulaient revoir le système très coûteux des exonérations de cotisations patronales, par ailleurs accusé d’entraver la progression des salaires. A la clé, 5 milliards de recettes via une révision à la baisse du dispositif, inscrite à l’article 6 du PLFSS. Mais l’article a été rejeté le 22 octobre en commission par un front commun formé par les partis de la coalition gouvernementale EPR-Droite Républicaine, le RN et ses supplétifs ciottistes. Le député macroniste Jean-René Cazeneuve a résumé l’état d’esprit de cette alliance de circonstance en dénonçant un «très mauvais signal» adressé aux entreprises.
Et c’est le Medef, dont le président, Patrick Martin, agitait le spectre de «centaines de milliers d’emplois détruits» qui a pu se frotter les mains. Car le patronat tient dur comme fer à son bouclier à «charges sociales» (sic) : une série d’exonérations qui fait qu’un salarié au smic ne coûte aujourd’hui pratiquement rien en cotisations à son employeur et qu’un salarié à 3,5 smic (près de 6 200 euros brut par mois) permet encore à son entreprise de bénéficier d’«allègements». Un dispositif censé inciter les chefs d’entreprise à embaucher mais qui fragilise la protection sociale : les syndicats n’ont de cesse de rappeler que les cotisations sociales prélevées sur le salaire brut servent, notamment, à financer assurances maladie, vieillesse, chômage et allocations familiales. Son coût est surtout faramineux pour les finances publiques : sous l’effet des hausses du salaire minimum liées à la forte inflation post-Covid, les exonérations patronales compensées par l’Etat ont explosé de 60 milliards en 2020 à près de 80 milliards d’euros en 2025… «Le système n’est plus tenable», a répété Astrid Panosyan-Bouvet sur TF1 mercredi. Aussi, le gouvernement propose une mesure «extrêmement progressive» qui consistera à relever de 2 points les cotisations patronales entre 1 et 1,3 smic, et en réduisant à 3,2 smic le seuil à partir duquel les exonérations cessent d’être appliquées. Retoquée en commission, la mesure figurera à nouveau dans le texte examiné par les députés. Mais vu la configuration politique, Michel Barnier devra sans doute en passer par le 49.3 s’il tient vraiment à ne plus faire trop de cadeaux sur les exonérations consenties aux entreprises.