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Expulsion de la Bourse du travail d’Aubervilliers : la requête de la ville rejetée

Saisi par la commune de Seine-Saint-Denis qui souhaite voir les syndicats quitter les lieux, le tribunal judiciaire s’est déclaré incompétent, renvoyant à la juridiction administrative. Les syndicalistes y voient une «première victoire» et la «reconnaissance du caractère public de la Bourse du travail».
La Bourse du travail d'Aubervilliers, le 7 novembre 2023. (Claire Guédon/Le Parisien.MAXPPP)
publié le 20 août 2024 à 19h56

«Première victoire pour la Bourse du travail d’Aubervilliers !» C’est par ces mots que l’union départementale Solidaires de Seine-Saint-Denis a accueilli la nouvelle : ce mardi, le tribunal judiciaire de Bobigny, se déclarant incompétent, a rejeté la demande d’expulsion des syndicats formulée par la mairie d’Aubervilliers. Le 7 mai 2024, cette dernière avait assigné en référé d’heure en heure les occupants de la Bourse du travail – installés dans ces locaux depuis 2015 – devant le Tribunal judiciaire de Bobigny aux fins d’ordonner leur expulsion. Trois mois plus tard, les juges ont donc renvoyé la commune à se pourvoir devant la juridiction administrative, «reconnaissant ainsi le caractère public de la Bourse du travail», note le syndicat Solidaires 93 sur X.

«C’est une décision importante dans la reconnaissance du syndicalisme», ajoute un autre compte de soutien sur le même réseau social. «Le tribunal a considéré qu’au regard de l’organisation du fonctionnement de la Bourse du travail, certains éléments caractérisant un service public étaient bien présents», précise Lionel Crusoé, l’un des avocats de la défense. Et d’ajouter : «Une activité d’intérêt général est indéniablement assurée par les Bourses du travail. A ce titre, les syndicats sont des collaborateurs du service public.»

Il y a un peu plus de dix mois, l’annonce surprise de la volonté de la ville de mettre à la porte des syndicats avait créé l’émoi, lors du conseil municipal du 28 septembre 2023. Ce jour-là, Karine Franclet, la maire UDI d’Aubervilliers, fait savoir qu’elle va «libérer» les 400 m² de locaux municipaux occupés par les syndicats, pour y relocaliser un lieu de vie associatif : le foyer Ambroise-Croizat. «Une question financière» argumente-t-elle alors, et «d’arbitrages». Une logique de «mutualisation de la Bourse du travail pour toute la vie associative», abonde plus tard son entourage, interrogé par Libération. Qui assure que les locaux, jugés «surdimensionnés» pour les syndicats, demeureraient accessibles à ces derniers, à condition de demander des créneaux d’occupation.

Rassemblements, manifestations, pétition

Quelques jours plus tard, la maire confirme aux syndicats sa volonté de mettre fin à la mise à disposition des locaux. La date butoir est fixée au 12 janvier 2024. La veille, le 11 janvier, les syndicats reçoivent une lettre de l’équipe municipale pour un état des lieux de sortie, «au dernier moment, sans discussion», racontait alors à Libération, José Mendes, le secrétaire de la commission administrative de la Bourse du travail, également secrétaire général de la CGT d’Aubervilliers.

Dans la foulée, la mobilisation s’organise : les syndicats multiplient rassemblements, manifestations, pétition, et mettent en place une «veille permanente» des lieux. Le 19 janvier, une tribune publiée par Politis, et signée par les représentants nationaux des organisations syndicales (CGT, FSU, Solidaires), des chercheurs et une large palette de personnalités de gauche (dont Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Marine Tondelier ou encore Olivier Faure), dénonce «la volonté de la maire d’affaiblir la démocratie sociale» en condamnant ce lieu de permanence juridique, mais aussi de «solidarité sociale». «Si ce projet aboutissait, écrivent les signataires, une ville de plus de 90 000 habitants, avec près de 35 000 emplois sur son territoire et plusieurs milliers de privés d’emplois (taux de chômage 20,1 % en 2020), serait dépouillée d’un outil majeur du droit du travail». Pas de quoi remettre en cause la décision de la ville d’Aubervilliers qui, quelques mois plus tard, assigne donc les occupants devant le tribunal judiciaire de Bobigny, arguant que des infiltrations d’eau justifieraient le caractère urgent de la demande. Requête rejetée, donc, ce mardi. Contactée par Libération, la ville n’a pas répondu à notre sollicitation.

Des Bourses du travail «de plus en plus attaquées»

Le cas de la Bourse du Travail d’Aubervilliers est loin d’être isolé. «Conquis sociaux de la fin du XIXe siècle», les Bourses du travail, dont les locaux sont souvent mis à disposition par les communes mais administrés de manière indépendante par les syndicats, «sont de plus en plus attaquées, menacées de fermetures, jugées injustement inutiles et trop coûteuses par des municipalités antisyndicales qui demandent leur départ sous divers prétextes infondés», note la tribune du 19 janvier, tout en faisant la liste des villes où elles sont ou ont été sur la sellette. Exemple à Arles, où le maire Horizons, Patrick de Carolis, ambitionne d’y installer l’office de tourisme. Ou encore à Epinal, où les syndicats se sont mobilisés en novembre, craignant d’être contraints de déménager des locaux qu’ils occupent depuis plus soixante ans, au moment où ces derniers ont besoin d’être rénovés.

Ailleurs, quand elles n’expulsent pas les syndicats, d’autres collectivités «remettent en cause la gratuité des locaux et jusqu’au versement de subventions», note Danielle Tartakowsky, dans son ouvrage les Syndicats en leurs murs (Champ Vallon), paru en 2024. Une «démarche qui va s’accélérant depuis une quinzaine d’années», poursuit l’historienne, qui précise que ces remises en cause «se multiplient après les élections municipales de 2014 et de 2020, marquées par des renversements de majorité dans des municipalités historiquement de gauche». Et sont fermement combattues par les syndicats. De fait, résume Danielle Tartakowsky, l’«histoire des Bourses du travail s’est durablement confondue avec celle des grandes luttes locales et nationales dont elles furent l’indispensable appui. Ce sont désormais leurs conditions de relogement voire leur survie qui deviennent un enjeu de luttes». A Aubervilliers, la bataille n’est pas terminée. «Il n’est pas encore certain que la commune saisira le tribunal administratif à la suite de ce rejet», analyse l’avocat des occupants, Lionel Crusoé, qui assure que les organisations syndicales cherchent à nouer des échanges avec la commune «pour qu’une solution soit trouvée».