Hier, au départ du cortège sur la place Sainte-Croix d’Orléans, noire de monde lors des manifs de février et mars, les manifestants n’occupent que la moitié de l’esplanade. «Vous êtes là ? On ne vous entend pas !» haranguent deux ambianceuses du syndicat Solidaires depuis la plate-forme d’un camion. A la question de l’essoufflement, Pascal Sudre, responsable départemental de la CGT, répond par un haussement d’épaules : «pour une quinzième journée de mobilisation en comptant celles de la fin 2022 sur les salaires, on peut déjà affirmer que cette manif est réussie.». Sous un grand soleil, le cortège estimé à 5 000 personnes par la CGT, 2 700 selon la préfecture, s’engage dans la rue Jeanne-d’Arc au son des tambours, des mégaphones et des pétards.
«Des gars déjà abîmés à 60 ans»
Une sono balance une version française anti-réforme d’I Will Survive. Clélia, 25 ans, manifeste pour la première fois. «Je viens pour mon père qui a participé à toutes les manifs, il sent que ça retombe, alors je suis là en soutien.» Sur la décision du Conseil constitutionnel demain, elle n’a pas de pronostic. «La politique me dépasse un peu, mais je travaille dans le BTP, et je trouve inadmissible de vouloir faire bosser deux ans de plus des gars qui sont déjà abîmés à 60 ans.» Pascal, le père, quinqua sportif, jauge le cortège avec dépit. «Franchement, il y a personne aujourd’hui.»
Julie, intermittente du spectacle de 26 ans, balaie la question du comptage. «Les médias se focalisent sur le nombre de gens et parlent sans arrêt d’essoufflement, s’agace-t-elle, mais ce n’est pas ça qui importe, c’est le rejet massif de ce gouvernement. Quand on regarde la durée de la mobilisation, le nombre d’aujourd’hui il n’est pas déconnant.» Tout près, Franck, ouvrier de 56 ans, est venu avec sa fille et son petit-fils de 6 ans, ravi de faire sonner la vuvuzela. «C’est pour lui aussi que je manifeste, pose Franck, j’ai pas envie de trimer comme une bête jusqu’à 64 ans, je tiens à m’occuper de lui aussi. Le Conseil constitutionnel, faut qu’ils l’enlèvent, cette loi.»
«Ils se foutent du peuple»
«Retraites, climat, même combat», scandent les manifestants du NPA en battant le tambour boulevard Jean-Jaurès, en face de la gare. Sur sa trottinette Kevin, la trentaine barbue, attend pour traverser. «Les slogans, ça mélange un peu tout, mais quand même je les soutiens les gens. Il faudrait carrément renverser le gouvernement. Mais bon je ne manifeste pas, parce que je suis boulanger. Nous, c’est spécial.» Insolite, Hervé, la soixantaine, brandit un grand drapeau bleu blanc rouge. «Les gens ne comprennent pas ce que je fous avec ça, mais je ne veux pas laisser ce symbole révolutionnaire et républicain à l’extrême droite.» Sur la décision du Conseil constitutionnel demain, il n’a pas d’illusion. «Pour moi, c’est certain, la loi va passer» fait-il avec un rire triste.
L’hypothèse d’une invalidation de la loi fait aussi ricaner Pascal, «gilet jaune» de 58 ans. «Fabius est socialiste, mais ces gens-là ont privatisé les services publics à tour de bras. Ils se foutent du peuple. Mais c’est pas grave, demain on sera encore là, on sera là jusqu’au bout», promet-il.
«Ils lâcheront peut-être un petit truc»
Sur leur camion, les deux porte-voix de Solidaires, qui chantent non-stop depuis le départ, sont comme en transe. «Y en a assez /Assez de cette société /Qui n’offre que le chômage /Et la précarité», font-elles crier à la foule jusqu’au vertige. La manif atteint son point d’arrivée, le théâtre. Avant la dispersion, la CGT donne rendez-vous ce vendredi soir à 18 heures, pour aviser de la suite en fonction du verdict du Conseil constitutionnel. Tristan, en terminale au lycée Benjamin-Franklin, se prépare à une longue lutte. «Le Conseil constitutionnel, ce sont des copains à Macron. Ils lâcheront peut-être un petit truc, mais la bataille ne peut se gagner que dans la rue !» Le matin même, le lycée l’a menacé d’exclusion pour avoir improvisé un barrage filtrant à l’entrée de l’établissement. «Parce qu’on est jeunes, ils ne veulent pas qu’on se mêle de politique», lâche-t-il, dégoûté. Aucun incident n’a été signalé ce jeudi à Orléans.