Tout ça pour… revenir un mois en arrière, ou presque. A peine nommé Premier ministre par Emmanuel Macron, François Bayrou avait annoncé en décembre vouloir «reprendre sans suspendre» la réforme des retraites de 2023, massivement contestée dans la rue il y a deux ans et adoptée avec un recours au 49.3 par le gouvernement d’Elisabeth Borne. Ces derniers jours, le Parti socialiste (PS) semblait confiant dans la possibilité d’obtenir une suspension du report de l’âge légal à 64 ans, ce qui aurait figé au moins pour un temps le palier à 62 ans et demi. Mais ce mot qu’Olivier Faure, le premier secrétaire du parti, répétait vouloir entendre, le Premier ministre ne l’a finalement pas prononcé.
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Au contraire, François Bayrou, qui estime la réforme des retraites «vitale», est donc revenu à sa première idée. «Je choisis de remettre ce sujet en chantier, avec les partenaires sociaux, pour un temps bref, et dans des conditions transparentes. Selon une méthode inédite et quelque peu radicale», a-t-il déclaré. Concrètement, le gouvernement veut mettre sur pieds dès ce vendredi une «délégation permanente» composée de représentants syndicaux et patronaux qui sera chargée de négocier, trois mois durant, pour «trouve[r] un accord d’équilibre et de meilleure justice». Quelle différence avec le prédécesseur de François Bayrou, Michel Barnier, qui avait déjà fait état d’un projet similaire cet automne ? Cette fois, la discussion pourrait aller au-delà de simples «aménagements», car elle ne souffrira d’«aucun totem et […] aucun tabou, pas même l’âge de la retraite». Et le Premier ministre s’engage à entériner les conclusions de l’accord, s’il y en a un, dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale cet automne.
Le coût d’une abrogation estimé à 15 milliards d’euros à l’horizon 2030
Dans l’immédiat, cela pose plusieurs questions. La première est de savoir si toutes les organisations syndicales participeront aux discussions, sachant que la CGT, notamment, défend toujours une abrogation pure et simple de la réforme, sans voie médiane. Quant à la CFDT, sa secrétaire générale, Marylise Léon, réclamait encore lundi soir sur France 2 une «suspension immédiate». Dans la foulée du discours, le syndicat se montrait prudent : «La réforme est en pause et nous avons la main pour quelques mois, mais il va falloir que les employeurs jouent le jeu».
La deuxième est de savoir quelle marge de manœuvre financière sera réellement laissée aux acteurs sociaux, car, François Bayrou y a lourdement insisté, «nous ne pouvons pas dégrader l’équilibre financier que nous cherchons et sur lequel presque tout le monde s’accorde. Ce serait une faute impardonnable contre notre pays.» Tout l’enjeu, dès lors, est que le constat sur la situation financière du régime soit partagé par tous les interlocuteurs. Ce qui fait consensus à ce stade, c’est le coût d’une abrogation de la réforme, estimé à près de 15 milliards d’euros à l’horizon 2030. Mais pour complexifier l’affaire, François Bayrou estime qu’il faut intégrer au calcul du déficit l’ensemble des sommes déboursées par l’Etat pour payer les pensions de ses anciens agents. Il alourdit donc la facture annuelle «de quelque 40 ou 45 milliards» d’euros. La Cour des comptes partagera-t-elle cette lecture ? Elle sera en tout cas chargée, dans les prochaines semaines, d’une «mission flash» pour dresser «un constat et des chiffres indiscutables», a annoncé François Bayrou. La négociation concrète démarrerait dans la foulée.
La troisième question, qui découle des deux premières, est de savoir quelle pourrait être la voie de passage d’un accord. Certes, patronat et syndicats pourraient s’entendre sur des mesures permettant de mieux prendre en compte la pénibilité, ou de corriger des inégalités de carrière, comme l’a déjà suggéré le gouvernement. Mais s’agissant de l’âge de départ, le risque est grand qu’aucune issue ne se dégage. Comment le financer ? En abaissant le niveau des pensions ? Ni les syndicats ni le patronat n’ont jusqu’à maintenant soutenu cette idée. En relevant les taux de cotisations ? Hors de question, a priori, pour le patronat. Or, «si les partenaires ne s’accordaient pas, c’est la réforme actuelle qui continuerait à s’appliquer», a prévenu François Bayrou. Un choix dénoncé par la CGT, qui estime qu’«en annonçant d’ores et déjà que l’absence d’accord se traduirait par le maintien de la réforme actuelle, le Premier ministre biaise d’entrée de jeu les discussions et place le patronat en position de force». Ledit patronat a d’ailleurs accueilli favorablement l’arbitrage du Premier ministre. Le Medef compte en profiter pour évoquer le «niveau, le financement et la gouvernance de régimes sociaux épuisés». La CPME, pour proposer d’ajouter «une part de capitalisation individuelle» au système. De quoi électriser les échanges.
Mis à jour le 14 janvier à 19h37 avec des réactions syndicales et patronales