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Mobilisation

La dernière réforme des retraites sortira-t-elle indemne de l’ère Barnier ?

Si le Premier ministre se dit ouvert à des «discussions» avec les syndicats, la CFDT pose comme préalable de «suspendre» la réforme. Parallèlement, les offensives pourraient se multiplier dans une Assemblée majoritairement hostile à l’âge légal de 64 ans.
A Paris, lors de la manifestation contre «le coup de force de Macron» dénoncé par La France insoumise, le 7 septembre 2024. (Cha Gonzalez/Libération)
publié le 9 septembre 2024 à 19h56
(mis à jour le 10 septembre 2024 à 9h37)

La réforme des retraites passera-t-elle l’automne ? Et si oui, dans quel état ? Les prochaines semaines seront décisives pour le texte qui a inscrit dans la loi l’âge légal de départ à 64 ans, et qui a été adopté par 49.3 en 2023 contre une mobilisation sociale massive. Certes, le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, n’est pas partisan d’un retour aux 62 ans, bien au contraire : il prônait un âge légal de départ à 65 ans lorsqu’il faisait campagne pour l’investiture Les Républicains (LR) à la présidentielle de 2022. Et si Emmanuel Macron l’a choisi, c’est notamment car il savait qu’il protégerait sa réforme maudite, que le chef de l’Etat ne veut en aucune manière voir détricotée.

Seulement, un certain nombre de réalités s’imposent au nouvel occupant de Matignon. La première, et la plus essentielle : avec les voix cumulées des 193 députés du Nouveau Front populaire (NFP) et des 126 du Rassemblement national (RN), deux forces politiques qui prônent un retour à 62 ans, l’Assemblée nationale peut théoriquement adopter une loi d’abrogation. «Je m’engage devant les Français : d’ici la fin de l’année, d’une manière ou d’une autre, […] l’Assemblée aura abrogé la réforme des retraites», affirmait ce lundi matin sur France Info le président insoumis de la commission des finances de l’Assemblée, Eric Coquerel.

«Respecter le cadre budgétaire»

Loin d’ignorer cette menace, le nouveau Premier ministre a tendu une main vers les opposants à la réforme en affirmant, vendredi soir sur TF1, vouloir «ouvrir le débat sur l’amélioration de cette loi pour les personnes les plus fragiles». Une expression visant prioritairement les millions de salariés subissant de la pénibilité. De fait, les quelques efforts compris sur ce volet dans la loi de 2023 étaient singulièrement timides, puisqu’ils se bornaient à améliorer à la marge le compte professionnel de prévention (C2P), qui permet sous strictes conditions d’acquérir des points pour se reconvertir ou partir au maximum deux ans avant l’âge légal. Un Fonds d’investissement pour la prévention a également été ouvert, au mois de mars, pour financer des actions dans les entreprises.

Ces discussions, Michel Barnier veut les avoir «avec les partenaires sociaux», qui n’avaient quasiment pas été écoutés – en tout cas s’agissant des syndicats de salariés – durant l’élaboration de la réforme de 2023. Mais il a insisté sur le fait de «respecter le cadre budgétaire», ce qui évacue d’office la possibilité de revenir sur l’âge légal de 64 ans, alors même que le régime de retraites devrait être encore déficitaire de 0,4 % du PIB en 2030 malgré la réforme, selon le Conseil d’orientation des retraites.

Seulement, cette manière de cadrer les débats suscite elle-même du débat : «Il faut qu’on traite l’éléphant dans la pièce, c’est les 64 ans», a répondu Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, sur France Inter deux jours plus tard. Et de poser dans le même temps un préalable : «Si on se dit qu’on rouvre les discussions, a minima on suspend la réforme.» Cela impliquerait que l’âge légal de départ reste gelé à 62 ans et demi le temps de la discussion, alors qu’il doit passer à 62 ans et trois trimestres le 1er janvier 2025. De même, le nombre de trimestres nécessaires pour partir à taux plein resterait figé sur 169 (42 ans et trois mois), au lieu de passer à 170. Ce qui entraînerait mécaniquement un manque à gagner pour le régime.

Mobilisation des syndicats

Pour autant, la proposition de Marylise Léon, syndicat en pointe dans la mobilisation de 2023, ressemble elle aussi à une main tendue, la numéro 1 de la CFDT n’évoquant pas une abrogation pure et dure. «La CFDT milite toujours pour revenir à un départ à 62 ans», rappelait-elle pourtant quelques jours avant la nomination de Michel Barnier. Dans un communiqué ce lundi, l’Unsa rappelle qu’il s’agit aussi de sa position et ajoute que «si une discussion s’ouvre, alors pour l’Unsa, tous les sujets devront être abordés y compris le report de l’âge de départ en retraite». Dans la foulée de la nomination de Michel Barnier, mais avant son invitation à rouvrir des discussions, FO comme la CGT rappelaient leur volonté d’«abroger» la réforme des retraites. La revendication sera d’ailleurs au cœur d’une journée de mobilisation interprofessionnelle organisée par la CGT, la FSU et Solidaires le mardi 1er octobre. La tonalité est évidemment différente au Medef, dont le président, Patrick Martin, a rappelé ce mardi matin sur RTL qu’à ses yeux «la réforme des retraites est une impérieuse nécessité», et refusé toute remise en cause des 64 ans.

Mais le sort de la réforme se jouera aussi, et peut-être surtout, sur un autre terrain que ces éventuelles discussions et mobilisations sociales. Le 31 octobre, le RN a prévu de profiter de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour porter «le retour de l’âge légal de départ à 62 ans et aux quarante-deux annuités de cotisation», selon la cheffe de file de ses députés, Marine Le Pen. Rien n’indique pour autant que le coup de grâce sera porté à cette occasion. Ce lundi, Eric Coquerel semblait exclure que le NFP vote la proposition de loi frontiste : «Le Rassemblement national n’a pas été très en avant dans la lutte contre la réforme des retraites, donc leur faire ce cadeau, bonjour.» Lui mise plutôt sur des propositions de loi émanant de la gauche et proposées au vote dans «d’autres niches» (insoumise, socialiste, communiste, Liot ou écolo) et des amendements au futur projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). «C’est la bataille qu’on compte mener», confie, du côté de la CGT, le secrétaire confédéral chargé du dossier, Denis Gravouil. Selon lui, «on peut faire invalider la réforme par un PLFSS, puisqu’elle a été adoptée par un PLFSS rectificatif».

Proposition de loi ou amendements, tout projet de retour à 62 ans fera l’objet, à l’Assemblée, d’une féroce bataille concernant sa recevabilité. En avril 2023, la présidente de la chambre, Yaël Braun-Pivet, avait ainsi empêché l’examen d’une proposition de loi d’abrogation de la réforme portée par le groupe Liot. Et dans le cas d’une adoption, le Sénat majoritairement de droite constituerait ensuite un obstacle de poids dans la navette parlementaire. Mais le coup politique, lui, serait rude pour le camp macroniste et pour le gouvernement Barnier. Il viendrait rappeler à Emmanuel Macron qu’un an et demi après la promulgation de son texte, en aucune manière la page n’est tournée.

Mise à jour : mardi 10 septembre à 9h37 avec l’intervention de de Patrick Martin sur RTL.