Le bout du tunnel, ou le coup de grâce. Le tribunal de commerce de Paris a annoncé lundi 12 février que son jugement sur le plan de sauvegarde accélérée du groupe Casino (Monoprix, Franprix, Naturalia, Cdiscount) sera rendu public le 26 février à 15 heures. Soit le même jour que la fin de la «période de sauvegarde accélérée», date limite pour valider le plan de sauvetage du groupe. En d’autres termes, en cas d’avis défavorable du tribunal, le groupe risque la liquidation judiciaire et la banqueroute.
«Sauver, redresser et faire croître»
Un calendrier contraint qui pourrait pousser le tribunal à se prononcer positivement, ce qui entraînerait un changement d’actionnariat en mars-avril 2024. De quoi arranger les créanciers du groupe, la direction de Casino et le consortium de repreneurs (composé des milliardaires Daniel Kretinsky, créancier de Libération, Marc Ladreit de Lacharrière et le fonds britannique Attestor), qui ont rendu des avis favorables lors de l’audience de ce lundi, sept jours après une première audience ajournée à la demande des syndicats.
L’actuelle et la future direction – cette dernière était représentée par le potentiel prochain directeur général du groupe, Philippe Palazzi – ont assuré de concorde que la validation du plan serait «dans l’intérêt des salariés», répétant les éléments de langage de l’entreprise : la reprise doit permettre de «sauver, redresser et faire croître» le groupe, «préserver l’emploi au maximum» et «maintenir le siège à Saint-Etienne». Casino employait 50 000 salariés en France fin 2022, dont 1 800 sur son seul siège social historique de Saint-Étienne.
Interview
De l’autre côté, les représentants des syndicats de salariés ont fustigé un plan de sauvetage qui ne donne aucune précision chiffrée sur le sort des emplois menacés, qu’ils estiment à 6 000. Pour les avocats du Conseil économique, social et culturel du groupe (CESC), cette absence d’un «volet social» serait rédhibitoire, dès lors que des réductions d’emplois sont envisagées par les repreneurs.
Ils ont notamment pointé du doigt l’absence d’information concernant «les indemnités, les licenciements et les reclassements», ainsi que le manque d’assurance sur les risques psychosociaux. Alors que la direction de Casino assure avoir apporté des réponses à toutes les demandes formulées par les salariés, leurs avocats ont estimé que «les engagements qui ont été pris sont des avancées, […] mais pas des garanties satisfaisantes».
Avis défavorable de l’avocat général
Autre point de tension mis en avant par les représentants des salariés : la procédure de présentation du plan de sauvetage, le 25 octobre 2023 devant le tribunal, et notamment le changement de position de la direction. Ainsi, la restructuration de l’entreprise ne devait à l’origine qu’être purement financière, sans éventuel licenciement. Or, dès le 26 octobre, face à des résultats prévisionnels difficiles, la direction avait changé son fusil d’épaule.
Le groupe a ainsi «topé» avec ses concurrents Auchan, Intermarché et Carrefour, qui devraient récupérer 288 magasins de grande taille, supermarchés et hypermarchés, cédés en trois vagues successives, les 30 avril, 31 mai et 1er juillet. Une opération de grande ampleur qui occasionnera le transfert de quelque 12 800 salariés et qui sera lourde de conséquences pour ce qui restera du groupe. Dernier épisode en date : un accord trouvé jeudi 8 février avec Carrefour pour lui céder 25 supermarchés et hypermarchés.
Une volte-face qui n’a pas plu au procureur de la République, qui a adressé un avis défavorable au plan de reprise ce lundi 12 février, déclarant : «Contrairement à ce qui avait été initialement présenté et soutenu tout au long de la procédure, les cessions étaient envisagées comme une condition du plan de sauvegarde, ce qui du point de vue du ministère public, pose question» quant à l’honnêteté et la transparence de la direction et des repreneurs.
A lire aussi
Pour Jean Pastor, délégué syndical central de la CGT Casino, l’avis de l’avocat général «conforte» les salariés dans leurs arguments : «On verra si ce n’est que symbolique, le procureur représente l’Etat, ce n’est pas rien.» Du côté de la direction de Casino, on avance que cet avis n’aura pas d’impact, le procureur étant simplement décrit comme «dans son rôle».
La peur de Lidl
Mercredi 7 février, l’intersyndicale du groupe avait déclaré que des plans de départs volontaires, sur un périmètre à négocier, au sein des entités visées par un plan de sauvegarde de l’emploi avaient été promis par les représentants du consortium de repreneurs. En outre, les employés licenciés pourront bénéficier d’indemnités «supra-légales», avait signalé l’intersyndicale, qui n’aura pas obtenu ce qu’elle souhaitait : «Un engagement précis, chiffré et concret du consortium.»
Si les syndicats se montrent aussi attachés à des projections précises, c’est aussi parce qu’ils craignent de voir les 26 magasins qui n’intéressaient ni Intermarché ni Auchan ni Carrefour, et au sein desquels travaillent au total quelque 1 200 personnes, finir dans les mains de Leclerc, Aldi ou Lidl, des enseignes où les conditions de travail et les droits sociaux sont notoirement bien moindres qu’au sein du groupe Casino.
Une fois les derniers grands magasins vendus, devrait rester à Casino son enseigne d’e-commerce Cdiscount, aux résultats peu reluisants, et surtout son réseau de magasins de proximité. Notamment le millier de magasins Franprix, qui pèsent 1,5 milliard d’euros de ventes annuelles, les 800 Monoprix, leurs 20 000 salariés et leur chiffre d’affaires annuel de plus de quatre milliards d’euros, ainsi que les 6 000 Spar, Vival ou Le Petit Casino, qui représentait en 2022 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.