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Libération
Débâcle

L’entreprise Habitat fixée sur sa liquidation le 28 décembre, les salariés redoutent une «catastrophe»

A l’issue d’une audience ce mercredi 20 décembre, le tribunal de commerce de Bobigny rendra sa décision dans une semaine sur le sort de l’enseigne spécialisée dans l’ameublement, placée en redressement depuis deux semaines.
Dans un communiqué publié le 24 novembre, l’entreprise avait expliqué faire face à de nombreuses «difficultés» avec «la crise énergétique» et le «renchérissement du coût de transport et celui des matières premières». (Philippe Turpin/ANDBZ.ABACA)
publié le 20 décembre 2023 à 18h06

Ce n’est pas encore la fin mais ça y ressemble. A l’issue d’une audience cruciale pour l’avenir d’Habitat, ce mercredi 20 décembre, le tribunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a fait savoir à l’ensemble des parties présentes qu’il se prononcera le 28 décembre sur une éventuelle liquidation de la chaîne de magasins spécialisée dans la vente de meubles et d’accessoires. Cette mesure serait synonyme de licenciement pour les près de 400 employés du groupe.

Zora, responsable de caisse au magasin parisien de République, et trente-trois ans de boîte, est présente ce mercredi au tribunal. Après avoir «alerté pendant un an sur la situation qui se dégradait», elle n’est aujourd’hui que «colère et frustration» car, selon elle, les salariés du groupe ont «toujours bien fait leur travail». Et pourtant aujourd’hui «tout s’écroule».

En France, 25 points de vente et un peu moins de 400 salariés

Cela ne fait que deux petites semaines que le groupe a été placé en redressement judiciaire, le 6 décembre. Dans un communiqué publié le 24 novembre, l’entreprise avait expliqué faire face à de nombreuses «difficultés» avec «la crise énergétique» et le «renchérissement du coût de transport et celui des matières premières». Le 30 novembre, elle avait demandé son redressement, évoquant «des difficultés financières profondes, largement attribuables à une gestion antérieure défaillante» ainsi qu’à «des facteurs plus récents» notamment «une baisse significative de la fréquentation des magasins». Mais dix jours seulement après sa mise en redressement par le tribunal de Bobigny, les administrateurs judiciaires avaient fini par annoncer vendredi en CSE (comité social et économique) qu’ils allaient demander la liquidation.

Fondée en 1964 à Londres, l’entreprise avait ouvert sa première boutique en France en 1973. Elle compte 25 points de vente dans le pays et y emploie un peu moins de 400 personnes. Selon le jugement d’ouverture de redressement judiciaire, rendu début décembre, Habitat France (65 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022) compte 315 salariés tandis que sa société mère, Habitat Design International (51,8 millions d’euros de CA en 2022), emploie 68 personnes.

Dans ce dossier, beaucoup pointent le rôle de l’entrepreneur et investisseur Thierry Le Guénic. Celui-ci a racheté Habitat en 2020 auprès du distributeur d’ameublement Cafom. Une acquisition qualifiée de «douteuse» par l’avocat représentant les salariés et le CSE, Arthur-Léo Gandolfo. Selon lui, l’entrepreneur et «son équipe de fossoyeurs de sociétés» sont coutumiers du fait. Ils reprendraient des entreprises en difficulté pour une bouchée de pain et feraient remonter leur trésorerie dans des holdings. En 2020, Thierry Le Guénic avait racheté la marque d’habillement Burton of London, actuellement en redressement judiciaire. Le même sort a été réservé au chausseur San Marina, liquidé le 20 février.

«Voleur et menteur»

Pour les salariés présents au tribunal de commerce de Bobigny ce mercredi, l’homme, qualifié de «voleur et menteur», est le principal responsable de la débâcle d’Habitat. Selon l’avocat Arthur-Léo Gandolfo, Thierry Le Guénic a expliqué lors de l’audience n’avoir été mis au courant des difficultés économiques d’Habitat que très récemment. Criant à «la honte» à l’issue de l’audience, la représentante du personnel et élue CGT Ratiba Hamache a fortement contesté cette version, affirmant que le propriétaire «était en copie de nombreux mails d’alerte» et ne pouvait ignorer la situation. Si la syndicaliste veut encore croire qu’un repreneur puisse se manifester d’ici le 28 décembre, elle craint que l’issue ne soit «catastrophique» pour les salariés.

Depuis le 11 décembre, l’ensemble des magasins non franchisés d’Habitat sont fermés. Avant même le placement en redressement de la société, la plupart des commandes n’étaient plus honorées et certains salariés se sont retrouvés confrontés, parfois violemment, au mécontentement des clients. A Lille, par exemple, un client est carrément venu se servir dans un magasin avec ses amis pour se rembourser lui-même, rapporte Mediapart. Selon les représentants du CSE, «près de 9 millions d’euros d’acomptes» auraient ainsi été versés par des clients pour l’achat de meubles et d’autres produits. Leurs chances sont minces de récupérer leur dû si une liquidation est prononcée.

Pour Marie-France, aussi présente ce mercredi au tribunal, la «déception et la tristesse» dominent. Cela fait trente-six ans qu’elle travaille chez Habitat, au magasin de Wagram, à Paris. Alors au moment d’évoquer une potentielle liquidation, sa voix s’étrangle et les larmes lui montent aux yeux : «Habitat est une si belle enseigne. Et une famille. Après soixante ans, ça ne peut pas s’effondrer comme ça.»