La lassitude devant les salaires monstrueux des patrons du CAC40 qui tombent chaque année sans perdre un centime, semble avoir pris le pas. Léa Guérin, l’auteure de la dernière étude en date de l’ONG Oxfam, «Cash 40 : trop de millions pour quelques hommes», le souffle elle-même : «C’est nouveau sans l’être.» Mais quelques semaines après le vote de la rémunération à 36,5 millions par an de Carlos Tavares, le PDG du groupe automobile Stellantis, les chiffres choquent toujours. Loin de la crise inflationniste, «en 2022, les PDG du CAC 40 gagnaient en moyenne 130 fois plus que leurs salariés», rapporte l’organisation internationale (qui a fait la moyenne, pour chaque entreprise, des écarts entre la rémunération totale des dirigeants et les dépenses moyennes par salariés). Et la tendance n’est pas à la réduction des inégalités : en 2019, c’était 111 fois plus. A peine dirait-on…
Pourtant les 40 entreprises françaises les mieux cotées en Bourse sont loin d’être en difficulté. Au contraire, elles enchaînent les bénéfices records. Entre 2019 et 2022, ils sont passés de 94,7 à 142 milliards d’euros. Toujours sans redistribution équitable à l’horizon. Si le salaire moyen dans ces entreprises a bien augmenté de 9 % sur la période de l’étude, la hausse de rémunération des PDG a, elle, augmenté de 27 %, atteignant plus de 6,6 millions d’euros en moyenne en 2022. «Je ne sais pas si on se rend compte, mais le PDG de Carrefour, Alexandre Bompard, gagne en seulement neuf heures l’équivalent du salaire moyen annuel des salariés de Carrefour», s’indigne Léa Guérin. Et les conséquences de l’inflation et la crise agricole, selon elle, n’y feront rien.
Un salaire 1 453 fois supérieur à celui des salariés
En 2022, Carrefour faisait d’ailleurs son entrée dans le podium des écarts de rémunération dans le CAC 40 entre PDG et salariés, pour monter sur la deuxième marche. «Ce grand écart s’explique par un très faible salaire moyen de 21 925 euros annuels», écrit Oxfam. Loin devant, le PDG de Téléperformance affichait, lui, un salaire 1 453 fois supérieur à celui de ses salariés. Et pour cause : l’entreprise leader des centres d’appels enregistrait alors le salaire moyen le plus faible du CAC 40 (13 568 euros par an) alors que le revenu du patron, Daniel Julien, (19,7 millions d’euros) n’avait lui pas grand-chose à envier à celui de Carlos Tavares chez Stellantis (21,9 millions) – qui prend la troisième marche du podium des grands écarts.
Interview
Chaque année, lors des nombreuses assemblées générales de ces groupes, ces rémunérations extravagantes sont questionnées par les actionnaires. Mais chaque année, elles finissent par être validées : 36,5 millions d’euros donc pour Carlos Tavares en 2024 ; 4,5 millions, au moins, pour Alexandre Bompard chez Carrefour. «Il y a toujours pleins d’arguments pour ne pas faire changer les choses alors même que tout le monde est choqué», résume Léa Guérin.
Un écart de rémunération maximum de 1 à 20 ?
Il y a un an tout juste, Emmanuel Macron s’était pourtant dit «choqué» des salaires des grands PDG. «Nous, quand on est au capital, on vote contre ça. D’ailleurs les patrons dans le secteur public, depuis des années maintenant, ils sont limités dans leur rémunération», expliquait le président de la République en déplacement dans le Jura, rappelant un décret datant de 2012 sur les salaires dans les entreprises publiques. Mais mis à part une promesse non tenue sur les rachats d’actions, le gouvernement n’a rien dans ses cartons pour limiter le phénomène quand, à gauche, on propose de limiter les écarts de salaires dans les entreprises. «Imposer un salaire maximum qui respecte un écart de rémunération maximum de 1 à 20 entre la ou le dirigeant et le salaire médian de l’entreprise», réaffirme Oxfam dans son rapport. Pour cela, ajoute Léa Guérin, «il faudrait une législation ou au moins un débat parlementaire mais la tactique du gouvernement c’est de renvoyer la balle au niveau européen».
Pour limiter la casse, en avril, les députés de la France insoumise et du Parti socialiste ont chacun déposé leur proposition de loi pour encadrer les salaires des dirigeants d’entreprise et imposer une rémunération maximum à 20 fois le smic. Une réponse directe à la provocation lancée Carlos Tavares sur BFM Business : «Si vous estimez que ce n’est pas acceptable, faites une loi.» En attendant, chez Oxfam, Léa Guérin préfère se réjouir de cette fine avancée : «Nous, on demande une limite d’écart par rapport au salaire médian, mais on est ravi qu’au moins une loi soit déposée pour qu’il y ait débat.»
Et même entre patrons, les inégalités sont là. En particulier entre les hommes et les femmes. «En 2022 les hommes prénommés Jean étaient deux fois plus nombreux que toutes les femmes PDG au sein du CAC 40», observe l’ONG. La statistique peut faire sourire, elle confirme surtout une réalité ancrée : seules deux femmes étaient à la tête de l’une de ces entreprises. Et, plus largement, «sept entreprises du CAC 40 sur dix n’ont pas plus de trois femmes parmi leurs dix employés les mieux payés», indique l’étude. Côté salaires, c’est tout aussi «ubuesque» et «loin de refléter la société française», insiste Léa Guérin : les 38 hommes PDG du CAC ont gagné, en moyenne, 2,4 fois plus que les 2 femmes au même poste en 2022.