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Réforme des retraites

Les salariés des stations en force à Albertville : «64 ans, ce n’est pas raisonnable dans nos métiers»

Le cortège contre la réforme des retraites a rassemblé près de 4 000 personnes dans les rues de la cité savoyarde. Employés des remontées et pisteurs se sont particulièrement mobilisés pour exiger la prise en compte de leurs carrières marquées par la saisonnalité et un travail très physique.
Des saisonniers des stations de ski, à Alberville (Savoie) le 31 janvier. (Pablo Chignard/Libération)
par François Carrel, correspondant à Grenoble
publié le 31 janvier 2023 à 17h54

A Albertville, la mobilisation contre la réforme des retraites est encore montée d’un cran : de 2 400 manifestants dans les rues de la cité olympique savoyarde, le 19 janvier, à 3 200 ce jeudi, selon la police, ou de 3 000 à 4 000 selon la CGT, cela fait au moins 25 % de monde en plus. «Une foule qui nous ramène au niveau des mobilisations de 1995, contre le plan Juppé, insiste Bruno Guillot, responsable de l’union locale FO. Nous avons la certitude que le mouvement va durer, on voit arriver des gens de tous les secteurs, certains qu’on n’a jamais vus et ne sont pas syndiqués. Les gens sont de moins en moins dupes face aux justifications déconnectées de la vraie vie données par le gouvernement.»

«Je ne me vois pas poursuivre ce travail de nuit usant jusqu’à 67 ans»

Parmi les manifestants, on ne peut manquer les centaines d’employés des sociétés d’exploitation des grandes stations de la Tarentaise, descendus en nombre manifester de Tignes, Courchevel, Val Thorens et bien d’autres… Dans plusieurs stations de Savoie et de Haute-Savoie, dont Méribel et les Arcs, des remontées n’ont pas tourné aujourd’hui, la station des Carroz-d’Arrache est même restée à l’arrêt complet, selon la CGT. A Tignes, souligne Stéphane Cadier, délégué syndical FO, cinq ou six remontées n’ont pas pu être exploitées sur la quarantaine de la station : «Autant, ça n’était jamais arrivé !»

Ceux des Menuires, employés de la Sevabel, filiale de la Compagnie des Alpes, sont plus de 40 présents dans le cortège, vêtus de leurs chaudes combinaisons de travail : «Nous n’étions qu’une douzaine le 19, la colère s’étend», se félicite Cécile Ravarotto, leur déléguée syndicale CGT, qui précise qu’à la colère contre la réforme des retraites s’ajoutent des revendications salariales. Pour Alberto, 58 ans, qui dame les pistes des Menuires la nuit, c’est pourtant bien la question des retraites qui l’a poussé à faire grève et à venir à la manif : «Je suis fatigué, amer et en colère. Je ne me vois pas poursuivre ce travail de nuit usant jusqu’à 67 ans. Plus qu’à moi, je pense à ceux qui viennent derrière, ces jeunes dont la mobilisation reste encore timide, alors qu’ils sont les premiers concernés.»

«On sent quelque chose de fort monter»

Erika, 37 ans, pisteuse-secouriste artificière à Val Thorens, tranche : «Poursuivre notre activité jusqu’à 64 ans, ce n’est pas envisageable, tout simplement. Ce n’est pas raisonnable dans notre métier si on veut rester performant et réactif. Assurer les secours par tout temps, descendre un blessé en traîneau, tracer dans la neige profonde jusqu’à 3 200 mètres d’altitude en portant des charges d’explosif de 5 à 7 kg pour aller déclencher les avalanches, c’est très exigeant et difficile.» Elle qui «sent déjà l’usure» de ses articulations se dit «dans l’inquiétude» sur sa future retraite, à l’issue d’une carrière marquée par la saisonnalité de son activité, de fin novembre à mi-mai, sans oublier ses deux congés maternités.

En tête de cortège, Pierre Scholl, représentant national pour les remontées mécaniques de la CGT et délégué syndical à la Société des 3 Vallées, abandonne son mégaphone quelques minutes et assure : «On sent quelque chose de fort monter. Le mouvement s’amplifie chez nous, saisonniers des remontées mécaniques, qui sommes globalement en mesure de faire grève. Nous représentons tous les saisonniers de l’hôtellerie, de la restauration et des commerces des stations, qui ne peuvent pas se permettre la grève sous peine de perdre leur travail, mais sont vent debout contre la réforme des retraites et celle de l’assurance chômage, qui nous pénalise particulièrement.» Si les stations sont très loin de risquer la paralysie pendant les vacances scolaires qui s’ouvrent, le syndicaliste l’assure : les saisonniers «préparent des actions fortes» pour se faire entendre.