A écouter Stanislas Guerini dans le Parisien mardi 9 avril ou sur France Inter ce mercredi, un «tabou» entourerait la fonction publique : celui des licenciements de ses agents. Le ministre a lancé mardi la concertation avec les syndicats sur sa réforme de la fonction publique, qui permettra selon lui de sortir d’un système «resté bloqué dans les années 1980». Concernant les licenciements, Stanislas Guerini pointe en particulier le chiffre de «treize licenciements pour insuffisance professionnelle» (onze hommes et deux femmes), réalisés «en 2023 dans la fonction publique d’Etat, qui compte 2,5 millions d’agents», regrettant qu’«on ne puisse pas se séparer d’un agent qui ne ferait pas son boulot». Ces déclarations ont accéléré la mobilisation de la CGT de la fonction publique, qui a déposé ce mercredi des préavis de grève couvrant les Jeux olympiques de Paris 2024.
Chez Pol
99 fonctionnaires licenciés pour insuffisance et mauvaise qualité de service en 2022
Le statut actuel des fonctionnaires n’a-t-il permis de licencier que treize agents l’an dernier, soit 0.0005 % de ses effectifs ? D’abord, les chiffres évoqués, s’ils sont exacts, correspondent à ceux de 2022, et non ceux de 2023, pas encore disponibles, selon les données de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). Ensuite sur France Inter, Stanislas Guerini a précisé qu’il fallait aussi ajouter aux treize licenciés les 222 fonctionnaires mis à la porte pour «motifs disciplinaires» la même année (192 hommes et 30 femmes). Ainsi, la catégorie des renvois pour «insuffisance professionnelle» ne correspond qu’à 5,5 % des licenciements dans la fonction publique d’Etat en 2022.
Les licenciements pour motifs disciplinaires, c’est-à-dire pour faute, incluent 86 cas pour «mauvaise qualité de service», soit 36,6 % des licenciements de fonctionnaires en 2022. Ces chiffres n’incluent pas les 25 mises à la retraite d’office, ni les cas d’abandons de postes, ni les ruptures conventionnelles (2 087 en 2022) potentiellement contraintes. De quoi faire dire à Benoît Teste, secrétaire général de la fédération syndicale unitaire (FSU), que «la mise en avant du chiffre de treize est malhonnête, et ne correspond pas à la réalité des licenciements».
Ainsi, les deux catégories de licenciement pour «insuffisance professionnelle» et pour «mauvaise qualité de service», regroupent 99 renvois en 2022. Elles semblent à première vue synonymes pour caractériser «un agent qui ne ferait pas son boulot», pour reprendre les mots du ministre. Alors, qu’est-ce qui les distingue ? Selon Benoît Teste, il est avant tout question d’intentionnalité : «Pour la mauvaise qualité de service, on est face à une mauvaise volonté au travail, tandis que pour l’insuffisance professionnelle, c’est quasiment l’idée d’une incapacité à faire les missions ; il s’agit surtout d’erreurs manifestes de recrutement.» L’insuffisance concerne donc surtout des cas d’inaptitude au service, et non pas un manquement volontaire aux obligations du fonctionnaire. Une nuance confirmée par les textes disponibles sur Service-public.fr : «L’insuffisance professionnelle consiste en l’incapacité à exercer les fonctions» attendues. Cette incapacité, qu’elle soit intellectuelle ou relationnelle, n’est donc pas analogue avec un manque d’envie répété de travailler, «comme avec un enseignant qui ne corrigerait pas ses copies depuis des années», illustre Benoît Teste. Dans le premier cas, il est également possible de bénéficier d’indemnités de licenciements, contrairement au deuxième.
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Des procédures intermédiaires avant le licenciement…
Le reste des licenciements concerne de cas de violences sexuelles et sexistes (VSS), de violences, d’insultes, ou encore de manque de probité (vols, détournements de fonds…). En tout, 3 351 mesures disciplinaires ont été prononcées en 2022 contre des fonctionnaires, dont 7 % de licenciements. Ces procédures sont globalement les mêmes pour les trois catégories (A, B et C) de la fonction publique. La raison de ce faible taux de licenciement : l’échelle des sanctions. Tous les dossiers passent devant une commission de discipline, au sein de laquelle siègent les syndicats. Au bout de la procédure, les mis en cause pour motifs disciplinaires peuvent subir une rétrogradation d’échelon ou encore des exclusions temporaires – 700 ont été prononcées en 2022.
L’insuffisance professionnelle visée par Stanislas Guerini, elle, ne dispose pas d’un échelon intermédiaire. Mais ce pour une bonne raison : «Avant d’arriver à un licenciement, il existe toute une série de possibilités de reclassements, de mesures d’accompagnement, de dispositions, prises en collaboration avec les responsables des ressources humaines», explique Benoît Teste. En somme, si le nombre de licenciés pour insuffisance professionnelle est faible (entre 19 et 6 cas chaque année depuis 2017), c’est parce que des alternatives à la reconnaissance de l’insuffisance professionnelle existent.
…comme dans le privé
Ces alternatives ne sont pas propres à la fonction publique. Mais elles y sont plus systématiquement appliquées que dans le secteur privé, où les entreprises peuvent procéder à des licenciements économiques (94 835 en 2022). Depuis 1946 et la construction moderne du statut d’agent de l’Etat, le fonctionnaire est propriétaire de son grade. Il dispose donc de droits, ce qui complique les procédures de licenciement. Toujours selon Benoît Teste, «ce statut offre de la sérénité dans les missions de service public, et permet de ne pas être soumis à l’arbitraire d’un chef à qui l’on ne reviendrait pas.» La sécurité de l’emploi constitue aussi une sécurité vis-à-vis de la hiérarchie.
Selon le syndicaliste, si Stanislas Guerini cherche à s’attaquer aux procédures de licenciements pour insuffisance, c’est pour pouvoir faire des économies, car «les procédures RH coûtent, en termes de gestion, de temps et d’attention, donc d’argent». Pour lui, «l’enjeu pour le gouvernement est de se débarrasser à court terme des gens sans avoir l’ambition de les aider».