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Libération
Reportage

Liquidation des magasins San Marina : à Nice, «si ça continue, tout fermera»

La boutique de la marque, liquidée ce lundi, a définitivement fermé ses portes, entre clients écœurés et vendeuses inquiètes de «tourner une page».

A Nice, samedi, dernier jour d’ouverture du magasin San Marina. (Laurent Carré/Libération)
ParMathilde Frénois
correspondante à Nice
Publié le 20/02/2023 à 6h30

La dernière cliente est la plus indécise. Emilie, 40 ans, passe trois fois devant le miroir, escarpins argentés aux pieds. Banco. Un sac, un sourire, une photo souvenir. Après elle, la boutique San Marina du centre-ville de Nice baisse définitivement son rideau métallique. L’enseigne aux 163 magasins est en redressement judiciaire. La liquidation devrait être prononcée lundi matin, laissant 600 salariés au chômage.

Ce 18 février, le magasin niçois vit ses dernières heures. Ophélie (1), vendeuse à San Marina depuis douze ans, se refuse d’anticiper. «Je n’y pense pas trop, sinon je pleure», glisse-t-elle en déambulant dans ces rayons qu’elle connaît tant. Devant les clients, les trois salariées restent stoïques. Elles proposent des cirages et filent dans la remise, elles conseillent les pointures et encaissent les articles. C’est la résignation. «On a trop la tête dans le guidon. On fera un bilan après, maîtrise la gérante Marie (1). Il y a un redressement judiciaire. Comme il n’y a pas de repreneur, on est licenciées. Il faut faire avec. On a 30 ans, on va retrouver du boulot. C’est plus compliqué pour les vendeuses plus âgées.»

Une fois les paires empaquetées, les mots sont plus appuyés. Des «bon courage pour la suite» ponctuent les conversations, des «bonne continuation» suivent les mercis. Il y a deux files d’attente, une à la caisse et une autre dans la rue. Les clients viennent pour les «derniers prix» comme s’ils se ruaient sur les soldes. Clientes, Angela a «l’impression d’agir comme un rapace» et Françoise de «profiter du malheur des autres». La première repart avec une paire de bottes, la seconde avec quatre modèles de nu-pieds pour l’été. Tout à moitié prix. «Mes sentiments sont partagés. J’ai la chance de trouver mon bonheur alors que les salariés sont dans l’incertitude, poursuit Françoise, 48 ans. C’est quand même une entreprise française qui coule. Où va-t-on trouver de belles chaussures aujourd’hui ?»

Milic, une autre cliente, dresse la liste des magasins qui viennent de disparaître : Camaïeu, Go Sport et maintenant San Marina. «Si ça continue, tout fermera, projette cette retraitée. J’achète peu, mais j’achète de la qualité. Sur Internet, c’est non merci.» Les stocks se vident. La réserve résonne. Il n’y a plus rien dans la vitrine, plus de choix au rayon homme. Florence s’est laissé tenter par des mocassins en cuir à 60 euros au lieu de 119. Elle n’est pas une cliente comme une autre. Longtemps, cette femme de 56 ans était de l’autre côté du comptoir. «J’avais un magasin de fringues en 1987. On vendait déjà du San Marina, relate-t-elle. On montait les chercher au Sentier puis on se les faisait livrer. Cette marque, c’était l’originalité, c’était le beau cuir.» Depuis, sa boutique a été transformée en snack. Que se passera-t-il après San Marina ? «C’est la fin du petit commerce», prédit Florence.

Ses escarpins argentés dans un sac doré, Emilie, la dernière cliente, baisse la tête pour passer sous le rideau métallique. «Je connais San Marina depuis l’enfance. J’ai grandi avec la marque. Ce sont des chaussures de qualité à prix abordables qui suivaient bien la mode, dit-elle, déjà au passé. Ça me rend triste. On voit que les vendeuses n’ont pas envie de s’étendre sur le sujet. C’est trop lourd pour en parler.» A 18 h 30, le magasin est fermé. Sur la vitrine, Marie scotche un petit mot qui commence par «Nous nous apprêtons à tourner une page» et qui finit par «Merci pour tout». Sur les étagères, Ophélie continue d’aligner les paires, vieux réflexe de vendeuse.

(1) Les prénoms ont été changés.