Comme à chaque manifestation, Yves a revêtu son masque de Dark Vador et sa cape noire. Sous le costume, ça chauffe un peu plus qu’au printemps, quand le soleil tapait moins sur Marseille qu’en ce matin du mardi 6 juin, quand le quatorzième défilé contre la réforme des retraites s’apprête à s’élancer. Sur sa pancarte, Yves, agent d’entretien dans un collège du Pays d’Aix, a écrit : «Putain Manu, heureusement que je ne suis pas ton père.» «Même l’empire en a marre de Macron, il fait chier toute la galaxie, résume-t-il. Ça commence à se voir qu’ils se foutent de la démocratie. Et à force de nous enfoncer, un jour ou l’autre, ça va mal finir…»
Perché sur sa camionnette bleue siglée EDF, Renaud Henry, le délégué marseillais CGT de l’entreprise, a bien l’intention de réveiller la troupe qui s’est positionnée derrière lui, alors que le cortège s’élance. Le premier «Aux armes !» scandé par la foule était trop timide à son goût. «Ça se voit que ça fait un mois que vous n’êtes pas venus, charrie-t-il au mégaphone. Arrachez-vous la bouche ! La résignation, c’est humain. Mais la colère est toujours là, alors levez le poing !» Un poing levé, l’autre qui serre sa pancarte. Laurence, 56 ans, annonce : «Quand la loi s’impose par la force, la ruse, la menace, la surprise ou la contrainte, c’est un viol du peuple.» Les séquences parlementaires et le déni face aux mobilisations l’ont un peu désespérée et rendu pessimiste : «A mon avis, les gens ont peur de la répression depuis les gilets jaunes, analyse-t-elle. Cela va générer une grande frustration, qui va se traduire par une forte abstention aux prochaines élections ou un vote massif en faveur du RN. Et ça, ce sera pire pour le gouvernement que les gilets jaunes.»
Jérémy, qui défile derrière elle, n’est pas très optimiste non plus. «Après quatorze manifestations, on n’est toujours pas écoutés, s’énerve le militant CGT qui travaille dans le secteur du bâtiment. Ce gouvernement va à l’encontre de la démocratie qu’il prône. Quand on voit le monde qui a défilé le 1er mai et à l’inverse, ces images du 8 mai où le Président est seul sur les Champs-Elysées… Comment ne pas se remettre en question ?»
La foule gronde et s’inquiète à Marseille, mais elle est pourtant moins compacte ce mardi sur le Vieux-Port. La préfecture annonce 4 000 manifestants, 50 000 lui répond l’intersyndicale. «Je voudrais savoir, dans l’histoire du mouvement social, quand il y a eu 50 000 manifestants après quatorze manifs», souligne Olivier Mateu, secrétaire départemental de la CGT, qui veut capitaliser sur ce socle et les nouvelles recrues apportées dans les rangs syndicaux par la séquence pour mieux préparer la suite. Pour lui, c’est toute la stratégie de lutte qu’il faut repenser, face à «un système qui bascule tranquillement vers un régime autoritaire et qui malgré la forte mobilisation, n’a pas eu peur de perdre le pouvoir». «Le camp progressiste, militants comme politiques, a l’obligation d’être meilleur que jamais, prévient-il. C’est notre responsabilité collective.»