Le smic est-il suffisant pour vivre ? Le PDG de Michelin, Florent Menegaux, estime que non. C’est pourquoi le groupe de pneumatiques français, basé à Clermont-Ferrand, a annoncé mercredi la mise en place d’un salaire dit «décent» et d’un «socle de protection sociale universel» pour ses 132 000 salariés dans le monde. Ce salaire est censé garantir une rémunération équivalente au living wage («minimum vital») tel que défini par le Pacte mondial des Nations unies, dont est signataire Michelin depuis 2010.
Analyse
Il doit permettre «à chaque salarié de subvenir aux besoins essentiels» d’une famille de quatre personnes (alimentation, transport, éducation, frais de santé) mais également de constituer une épargne de précaution et d’acquérir des biens de consommation. «C’est un engagement logique vis-à-vis de tous les salariés du groupe. […] Vous consacrez du temps à vous développer et à développer l’entreprise et en contrepartie nous, on vous donne les moyens au minimum pour une famille de quatre individus – deux parents et deux enfants – qu’un seul salaire permette de pouvoir envisager le logement, la nourriture mais aussi le loisir, un peu d’épargne, etc.», justifie PDG du groupe. Lui-même dit au Parisien toucher un salaire fixe de 1,1 million d’euros plus «une prime variable à 150 % maximum (soit 1 650 000 euros)», et s’estime «extrêmement bien payé».
39 638 euros par an à Paris, 25 356 euros à Clermont-Ferrand
Concrètement, en France, ce salaire «décent» représente 39 638 euros par an pour un salaire brut à Paris, 25 356 euros à Clermont-Ferrand, où se situe le siège du groupe. Le smic pour un temps plein s’élève à 21 203 euros brut. Au Brésil, le salaire «décent» de Michelin est de 37 347 réals (pour un salaire minimum à 16 944 réals) et en Chine 69 312 yuans (salaire minimum à 29 040 yuans). «En moyenne, le salaire décent représente entre 1,5 fois et 3 fois le salaire minimum», a précisé Florianne Viala, directrice de la rémunération du groupe.
Comme le précise Florent Menegaux dans son interview au Parisien, seuls 5% des salariés de Michelin n’étaient pas payé un salaire décent lorsque le groupe a commencé à se pencher sur la question en 2020. Soit environ 6 600 personnes.
Michelin, groupe au chiffre d’affaires de 28,3 milliards d’euros en 2023 pour un bénéfice de 2 milliards, entend aussi faire bénéficier à ses salariés d’un «socle de protection sociale universel» d’ici la fin de l’année. Il consiste en un congé maternité de quatorze semaines minimum et un congé paternité de quatre semaines rémunéré à 100 %. En France, quelques entreprises, dont le groupe pharmaceutique Sanofi ou Abeille Assurances, offrent des congés paternité plus longs, de dix à quatorze semaines.
Ce socle vise également à «protéger la famille d’un salarié décédé» avec le versement d’un capital décès d’au moins un an et d’une rente d’éducation pour les enfants, quelle que soit l’ancienneté du salarié. Une couverture santé est également proposée aux salariés et leur famille. «La France est extrêmement protégée mais on oublie qu’il y a tout un tas de pays dans le monde où cela n’existe pas», souligne Florent Menegaux. «Ce qu’on veut, c’est que les personnes soient pleinement engagées dans ce qu’elles font», a-t-il ajouté.
«Pour moi, le salaire décent, on n’y est pas»
Les syndicats de salariés ont diversement réagi à ce qui est présenté par SUD (3e syndicat du groupe) comme une «belle opération de communication». S’il confirme que personne n’est au smic à Michelin en France et s’en félicite, Nicolas Robert, délégué central, estime que le salaire minimum proposé à Clermont-Ferrand n’est pas à la hauteur de la promesse du groupe : faire vivre une famille de quatre personnes. Il fait les comptes : «25 000 euros brut par an, c’est environ 20 000 euros net. Divisé par douze mois, on est à 1 666 euros. Sans aides sociales, c’est impossible de faire vivre une famille avec ça. Pour moi, le salaire décent, on y est pas.» Il se dit également inquiet vis à vis de la pérennité des 15 000 à 16 000 emplois de Michelin en France quand il voit que le fabricant de pneus a récemment fermé des usines en Allemagne (jusqu’à 1 500 emploi supprimés d’ici 2025) et aux Etats-Unis (1 400 emplois touchés à Ardmore, en Oklahoma).
De son côté, la Fnic-CGT (4e organisation syndicale représentative) a dénoncé dans un communiqué un «buzz», affirmant que Michelin, numéro 1 mondial du pneu, est «bon dernier» en matière de salaires parmi les entreprises du secteur.
Communiqué de presse de la FNIC-CGT
— FNIC-CGT Rhône-Alpes (@FNIC_CGT_RA) April 18, 2024
NON, les salariés Michelin ne sont pas des privilégiés ! pic.twitter.com/nIqsqlW6Dm
Alors verra-t-on bientôt tous les grands groupes français suivre l’exemple Michelin ? Interrogé à ce sujet et visiblement embarrassé par la question de France Info, ce jeudi matin, Michel-Edouard Leclerc, patron des magasins du même nom, a louvoyé et parlé d’effets d’affichage, estimant tout de même que les grandes entreprises peuvent «toujours faire mieux» en matière de salaires. Pas gagné.
Mis à jour le 19/04 à 16h15 : avec la réaction des syndicats de salariés.