Ceinture de soutien lombaire autour des hanches, Patrice, 54 ans, a les allures de la gueule cassée du travail. «J’ai été maçon, routier et maintenant je bosse dans l’aéronautique à côté de Toulouse. Et franchement, j’en peux plus, explique-t-il en désignant une longue cicatrice courant autour de son coude. Je me le suis cassé en chutant au boulot, j’avais 20 ans.» Reconnue comme accident du travail, cette chute lui «permettra de partir plus tôt à la retraite». «Mais si je suis ici, c’est pour ma fille de 12 ans. Je n’ai pas envie qu’elle se tue à la tâche», poursuit Patrice. Juste à côté, dans ce cortège toulousain qui a réuni 15 000 manifestants selon la préfecture (en recul comparé à la semaine dernière), Loïc et Camille, 25 ans et pions au collège, marchent aussi pour promouvoir un autre rapport au travail : «Leur seul projet, c’est faire bosser deux ans de plus. Mais quand est-ce qu’on parlera des conditions de travail et des gens qui y laissent leur vie tous les jours ?»
Sondage
«Mépris total»
Abrités d’un grand soleil sous leur parapluie noir orné de slogans contre la réforme des retraites, Marion et Gilles prennent, eux, la pose pour la photo : «Vous le voyez où l’essoufflement ?» interroge l’un en désignant les milliers de personnes qui défilent derrière eux. «Il n’y a pas que les retraites qui me poussent ici. C’est surtout le mépris total avec lequel on traite cette mobilisation», juge l’intermittente de 27 ans. Exercice brutal du pouvoir, répression policière, provocations du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, les griefs s’empilent. Nicolaï, ingénieur de 25 ans, tente de les résumer : «On nous sert ad nauseam la légitimité des élus, des institutions et du Parlement. Mais ce n’est qu’une forme de représentation du pouvoir. La rue et les manifestations en sont une autre. Et le manque de dialogue et d’écoute que l’on constate me font peur sur ce que cela dit de notre démocratie.»
«Répression à chaque manif»
Plus loin sur le parcours de la manifestation, une petite foule se presse autour d’une table de ravitaillement destinée à renflouer une caisse de grève. Dans les conversations, les événements de Sainte-Soline tournent en boucle. «Le fond de la réforme est injuste mais la méthode est peut-être encore pire, analyse Miguel, un ingénieur de 42 ans. Depuis le 49.3, c’est répression à chaque manif.» Un couple de trentenaire, devancé d’une poussette pose le même constat : «Le maintien de l’ordre brutal dans la rue et à Sainte-Soline, c’est tout simplement pour nous empêcher de manifester», dit le père de famille, comptable de profession. Sa compagne abonde : «La violence dans les manifestations, je ne la dénonce plus. J’ai l’impression que nous n’avons plus que ça comme recours pour nous faire entendre. Malgré tout, on reviendra pacifiquement la semaine prochaine, pour les retraites bien sûr mais aussi pour exercer notre liberté d’expression.»