«Ça fait vingt ans que je travaille, j’ai jamais vu autant de dirigeants d’associations réunis dans la rue», s’étonne Bertrand Deric, directeur du service de protection de l’enfance de l’association Olga-Spitzer. Place du Palais-Royal, ce vendredi à 12h30, environ 300 personnes se sont réunis. Ce sont des membres de 19 fédérations et collectifs associatifs, des dirigeants franciliens des champs social, médico-social et sanitaire. De grands panneaux blancs avec le hashtag «tous unis», ou «revalorisation des salaires pour tous et maintenant», sont brandis, sur de la musique électro. En cause, la pénurie de personnel. L’absence de versement de la prime liée au Covid, et l’exclusion de certains métiers, ainsi que des salaires insuffisants sont pointés du doigt.
C’est la deuxième fois que ces fédérations se retrouvent. Le 4 février, l’interfédérale, représentant près de 500 organismes privés non lucratifs, s’était déjà mobilisée pour demander des revalorisations et alerter sur le manque d’attractivité des «métiers de l’humain». Deux semaines plus tard, Jean Castex avait promis une prime de 183 euros. Il avait déclaré que cette prime bénéficierait à «tous les professionnels de la filière socio-éducative, et ce le plus vite possible, c’est-à-dire, nous l’espérons, dès le 1er avril». «Cela représente, je le signale quand même, un investissement de 540 millions d’euros dès 2022 pour les structures associatives, dont deux tiers seront financés par l’Etat et un tiers par les départements», avait précisé le Premier ministre d’alors, dans son discours de clôture de la Conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social qui s’est tenue le 18 février.
Le nouveau ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe, en déplacement dans un Ehpad en Val-d’Oise, le 5 juillet, a pour sa part annoncé la mise en place de recrutements en urgence dans les Ehpad et de bonification des heures supplémentaires. Mais pour l’heure, Jean-Luc Cousineau, directeur général de Cordia, une association d’appartements thérapeutiques pour les personnes malades et précaires, est sceptique. «Il n’y a pas que les Ehpad dans le médico-social, on espère que tout le secteur était mis dedans. Ça fait une semaine qu’il est là, laissons-lui sa chance…»
«Ce n’est pas juste»
A 13 heures, Daniel Goldberg, président de l’Union régionale interfédérale des organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uriopss) exige la prime Covid pour les directions d’associations, au secrétariat et au personnel de ménage. «Comment peut-on comprendre que les écoutants du 115 n’aient pas bénéficié de la prime ?» s’emporte l’ancien député PS de Seine-Saint-Denis. Un groupe d’une dizaine de personnes au tee-shirt «Hestia 78» applaudit bruyamment à l’annonce. Ce sont les salariés d’une structure accompagnant des personnes en situation de handicap dans les Yvelines. Morgane Jeandupeux, lunettes noires, est présente en soutien à ses collègues assistantes de direction, comptables et femmes de ménage. «On se retrouve avec des disparités salariales alors qu’on travaille avec le même public au même endroit. Ce n’est pas juste.» Contrairement à d’autres éducateurs spécialisés d’autres structures, elle va toucher la prime en juillet, car son association a décidé d’avancer l’argent. En attendant, au micro, Daniel Goldberg demande aussi que l’argent de la prime promise par Jean Castex lors de son discours de février soit enfin versé aux associations, pour qu’elles puissent en faire bénéficier leurs salariés. «Nous demandons juste que ce qui a été annoncé soit fait», lance le Président de l’Uriopss.
Dans la foule, Lotfi Ouanezar, directeur général adjoint d’Emmaüs Solidarité, est au milieu des chasubles bleues d’Emmaüs Alternatives. Il pointe le besoin de revalorisations salariales pour ces métiers. L’association accompagne 6 000 personnes en Ile-de-France et dans le Loir-et-Cher et représente 900 salariés. «On demande une juste reconnaissance. Il faut aussi qu’on puisse recruter», glisse-t-il. Pour cause. Sans les heures majorées, le salaire d’un éducateur spécialisé est de 1 263 euros net par mois.
Bas salaire et sous-effectif chronique
A côté de la scène, Claire Lentgen, lunettes de soleil orange, écoute attentivement les prises de parole. La directrice d’établissements pour personnes souffrant d’épilepsie de l’association Essor souffle : «On vit une crise sans précédent…» L’année dernière, un de ses établissements a failli fermer : «Sur sept postes, il m’en manquait trois.» La directrice d’établissements fait alors intervenir des intérimaires, parfois deux personnes différentes dans une même journée. «L’infirmière doit apprendre 40 traitements différents, avec un risque d’erreur élevé. Ça ne s’apprend pas au pied levé !» Pour son amie, Mme Sammouri, le problème de sous-effectif est le même. Directrice d’une maison d’enfants à caractère social en Ile-de-France et d’un service de placement à domicile, elle rend compte des conséquences déplorables sur les qualités de leurs services. «On ne peut plus accueillir d’enfants car même si on a de la place, les mineurs ne seront pas en sécurité. On doit bloquer à quinze jeunes alors même qu’on a une capacité de 22.»
Au milieu de la foule, William Martinet, député de la onzième circonscription des Yvelines est venu pour soutenir les «travailleurs sociaux». «On assiste à une alliance objective entre les intérêts des travailleurs dans le médico-social et les dirigeants des associations», constate-t-il. La cause de ce rassemblement selon lui : les associations n’arrivent pas à recruter, donc elles demandent des revalorisations et l’application des primes. Pour lui, l’urgence est à l’élargissement de la prime Segur. «On va faire des amendements à la loi pouvoir d’achat pour que tous les métiers, administratifs, nettoyage, accueil de ces secteurs bénéficient du Ségur de la santé. C’est une simple question de volonté politique.»
Il est 14 heures et le rassemblement touche à sa fin place du Palais-Royal. Pour Bertrand Deric, de l’association Olga-Spitzer, en charge de 955 mineurs à Paris (chez les familles), le sous-effectif chronique dans ces métiers de l’humain est catastrophique pour les familles et les mineurs accompagnés. «Si une famille se pointe à l’ASE [Aide sociale à l’enfance, ndlr] et dit qu’elle a besoin d’aide, ça peut prendre huit mois pour intervenir. Pendant ce temps-là, tout peut arriver.»