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Antisocial

Nouvelles menaces contre les chômeurs : Emmanuel Macron en remet une couche

Alors que son Premier ministre, Gabriel Attal, veut se montrer à l’écoute des organisations syndicales, les récentes sorties du chef de l’Etat qui promet un énième durcissement des règles de l’assurance chômage inquiètent.
Lors de la conférence de presse d'Emmanuel Macron à l'Elysée, le 16 janvier 2024. (Albert Facelly/Libération)
publié le 18 janvier 2024 à 17h03

Combien faudra-t-il de réformes de l’assurance chômage pour qu’Emmanuel Macron ait son compte ? On se pose sérieusement la question au lendemain de son intervention devant le forum économique mondial de Davos (Suisse), où le chef de l’Etat a promis aux «décideurs» de ce monde «un deuxième temps sur la réforme de notre marché du travail, en durcissant les règles de l’assurance chômage». Soit la répétition presque parfaite des «règles plus sévères quand des offres d’emploi sont refusées» qu’il avait évoquées la veille, mardi, lors de sa conférence de presse télévisée en prime time.

Si la question se pose, c’est parce qu’il ne passe quasiment plus une année sans que les règles de l’assurance chômage changent, en général au détriment des travailleurs. Récapitulons rapidement : en 2019, la durée de travail nécessaire pour ouvrir des droits passe de quatre à six mois. Cette mesure, qui contribuera fortement à réduire de 20 % les ouvertures de droits entre juin 2019 et juin 2022, est suspendue au plus fort de la crise sanitaire du Covid-19, mais revient en avril 2021. Puis, quelques mois plus tard, un nouveau mode de calcul de l’allocation entre en vigueur, qui réduira de 16 % l’indemnisation versée à près d’un nouvel allocataire sur deux. Enfin, en février 2023, la durée d’indemnisation est raccourcie de 25 %, au nom de la conjoncture positive (le taux de chômage apparaît alors en baisse continue et s’approche des 7 %) : elle passe de 24 à 18 mois pour la plupart des inscrits, et de 36 à 27 mois pour les «seniors» de plus de 55 ans. Le tout au nom de la marche macroniste vers le «plein-emploi»… qui pourtant semble désormais s’éloigner, puisque le chômage est reparti à la hausse sur les deux derniers trimestres.

Faut-il donc en remettre une couche ? C’est ce que suggère Emmanuel Macron, sans rien dire de ce qu’il a dans la tête. Ni s’agissant des éventuelles mesures qui seraient prises ni s’agissant de la méthode, qui n’est pourtant pas un enjeu secondaire. Car pour l’heure, les règles de l’assurance chômage sont revenues aux mains des acteurs sociaux, qui ont conclu (à l’exception de la CGT et la CFE-CGC) en novembre un accord prévoyant des ajustements – modestes – des dernières réformes, plutôt en faveur des indemnisés. Difficile pour eux de faire davantage, puisque le gouvernement leur avait imposé, dans sa lettre de cadrage, de préserver les mesures qu’il avait précédemment imposées. La convention qui en a résulté a été soumise pour agrément à Matignon, qui était encore occupé par Elisabeth Borne. Cette dernière a souhaité attendre les résultats d’une négociation interprofessionnelle sur l’emploi des seniors qui a débuté fin décembre et doit aboutir d’ici à la fin mars, au sein d’une discussion plus globale autour d’un «nouveau pacte de la vie au travail». Mais elle a aussi promis de transposer fidèlement le contenu d’un éventuel accord, dès lors qu’il n’alourdit pas la dépense publique.

La schlague de Macron et «l’écoute» d’Attal

Or, pendant qu’Emmanuel Macron promet de nouveau la schlague, son nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, fait défiler les syndicats à Matignon. Et sa ligne de conduite consiste avant tout, pour l’heure, à les écouter. L’objet de ces rencontres ? «Dire à un nouveau Premier ministre tout ce qu’on avait dit à son prédécesseur, pour qu’il sache bien que certes le Premier ministre a changé, mais que nous n’avons pas changé», résume Olivier Guivarch, secrétaire national de la CFDT. Mardi, la numéro 1 de son syndicat, Marylise Léon, a ainsi voulu pointer l’importance du «pacte de la vie au travail» évoqué plus haut, du «pouvoir d’achat» et de «l’index égalité femmes-hommes», a-t-elle expliqué à l’AFP. Reçue mercredi soir, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a déroulé pendant une heure trente la liste des sujets qui comptent pour son syndicat : augmentation du smic, échelle mobile des salaires, conditionnalité des aides publiques aux entreprises, médecins étrangers en demande de régularisation, répression syndicale, loi immigration… En face, très peu de réponses, mais un Premier ministre qui «a souhaité montrer qu’il était à l’écoute, disponible, ouvert, direct», constatait-elle à la sortie. Bref, un «contact agréable», même si elle «jugera sur pièces».

Il faudra aussi compter avec la nouvelle ministre du Travail, la conservatrice Catherine Vautrin, issue de l’UMP période Chirac-Sarkozy, qui a également hérité de la Santé et des Solidarités. L’ampleur du portefeuille laisse les syndicats dubitatifs, à l’image de Cyril Chabanier, le président de la CFTC, qui estime que «si ça reste comme ça, on pourrait se poser des questions sur l’efficacité». Pour l’heure, Catherine Vautrin, qui s’apprête à recevoir l’ensemble des organisations syndicales et patronales dans le courant de la semaine prochaine, s’est gardée de toute sortie remarquable.

«Recul des droits pour les salariés»

Dans ce contexte, les déclarations d’Emmanuel Macron posent question. Que faut-il comprendre quand, évoquant mardi soir une future loi de simplification, il assure vouloir relever «tous les seuils de déclenchement des obligations» s’imposant aux entreprises ? Et quand, à Davos, il dit vouloir «favoriser tout ce qu’on peut transférer au niveau de l’entreprise dans les négociations», suggérant d’aller plus loin dans le bouleversement de la hiérarchie des normes qui était au cœur de la loi Travail de 2016 ? A défaut de précisions, Sophie Binet «comprend [ces propos] comme un recul des droits pour les salariés».

Or, si les syndicats demandent unanimement une révision des ordonnances de 2017, qui ont réformé le dialogue social dans les entreprises, c’est parce qu’elles compliquent bien davantage la vie des représentants du personnel que celle des employeurs. Pour François Hommeril, le président de la CFE-CGC, ce devrait être un chantier prioritaire de Gabriel Attal : «Est-il décidé à reconstruire un peu de ce qu’Emmanuel Macron a détruit dans l’équilibre de la sphère sociale ?» s’interroge le syndicaliste, qui juge que «la fusion des instances est une catastrophe totale. Or ça, personne ne le conteste, mais pour Emmanuel Macron, c’est le Saint-Graal, il ne faut pas y toucher.» Sans attendre que son secrétaire général, Frédéric Souillot, ait été reçu vendredi à Matignon, la commission exécutive de FO a quant à elle «condamné» ce jeudi «les annonces faites par le président de la République», en annonçant «un grand meeting national dans les prochaines semaines». Un an exactement après le début de la crise des retraites, le fil fragile du «dialogue social» tant vanté par l’exécutif se tend de nouveau.