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Lutte

«On est en veillée d’armes» : les syndicats préparent le terrain contre la réforme des retraites

Affichant un front uni, les huit principales organisations du pays élaborent leur opposition au projet du gouvernement, à grand renfort de pédagogie et de caisses de grève. Ils ont annoncé, ce mardi soir, une première journée de mobilisation interprofessionnelle prévue le 19 janvier.
Contre la réforme des retraites, «la détermination est énorme», estime David Lecomte, syndiqué FO. (Stéphane Lagoutte/Myop pour Libération)
par Frantz Durupt, Damien Dole, Amandine Cailhol et Corentin Chabot
publié le 10 janvier 2023 à 18h14

«Comment faire mieux qu’en 2019 ?» Samedi, près de la Bourse du travail de Paris, une poignée de membres de l’association d’éducation populaire Réseau salariat, réunis pour parler réforme des retraites et mobilisation, regardent dans le rétro. «Sans le confinement, en 2019, ça n’aurait pas marché», affirme un syndicaliste CGT. Il y a près de quatre ans, les manifestations contre le précédent projet du gouvernement avaient fait le plein dans les rues de France, mais c’est la crise sanitaire qui l’avait enterré. «Tout se joue maintenant», poursuit le cégétiste qui mise sur la pédagogie pour mobiliser : «Ça veut dire connecter vision historique et lecture politique avec ce que les gens vivent. La réforme des retraites, ce ne sont pas que des chiffres.» Et d’ajouter : «Cette année, ça s’annonce mieux, l’intersyndicale est plus importante.»

«Stratégie de luttes»

De fait, les huit principales organisations du pays (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, FSU et Solidaires) affichent un front uni. Réunis à la Bourse du travail, un lieu neutre à forte valeur symbolique, leurs huit leaders, de Philippe Martinez (CGT) à François Hommeril (CFE-CGC) en passant par Laurent Berger – qui sera resté intraitable sur l’opposition de la CFDT à un report de l’âge légal – ont, mardi soir, à la suite des annonces d’Elisabeth Borne, une première journée de mobilisation interprofessionnelle prévue le 19 janvier. Dans un communiqué commun, les syndicats ont dénoncé une réforme qui «va frapper de plein fouet l’ensemble des travailleurs, plus particulièrement ceux qui ont commencé à travailler tôt, les plus précaires, et ceux dont la pénibilité des métiers n’est pas reconnue».

En attendant, dans les unions départementales, on prépare le terrain. «On est en veillée d’armes, souligne Serge Ragazzacci, à la tête de la CGT de l’Hérault. On a réuni nos militants pour donner les grands axes des revendications, on a envoyé des mailings, un journal papier part à l’imprimerie.» «On se prépare depuis un moment, complète Sandrine Gamblin, secrétaire générale FO dans la Manche. Les copains discutent avec les salariés. Autant avec la retraite par points, c’était flou, mais là, c’est moins compliqué pour expliquer et convaincre.» Dans l’Eure, qui compte quelques bastions industriels, les remontées sont encourageantes, assure son homologue, David Lecomte : «La détermination est énorme. Les gens ne veulent pas de cette retraite des morts, ils savent que s’ils travaillent plus longtemps, leur vie en bonne santé va se dégrader.»

En Ile-de-France, Diego Melchior, secrétaire général CFDT, note de fortes inquiétudes chez les salariés qui seront les premiers touchés par le recul de l’âge de départ, dans l’hôtellerie-restauration, le BTP, les services à la personne. Moins dans l’encadrement. Parmi les secteurs qui pourraient peser : le transport. Notamment la RATP, qui connaît déjà un mouvement social sur les salaires et dont le régime spécial est dans le viseur du gouvernement, comme celui des industries électriques et gazières (IEG). La FNME-CGT, premier syndicat dans le secteur, doit présenter mercredi sa «stratégie de luttes» aux membres de sa fédération (EDF, Enedis, GRDF…). «Aucune négociation n’est possible sur notre régime spécial, affirme Sébastien Menesplier de la branche énergie de la CGT. Et, au-delà, nous sommes de toute manière pour le retrait de la réforme dans son ensemble.» «Les salariés sont prêts à se mobiliser, assure Stéphane Chérigié, secrétaire national à la CFE-Energie. Ce sera un vrai travail de pédagogie, il va falloir déconstruire les arguments du gouvernement, mais une fois que ce sera fait, tout le monde comprendra le danger pour nous.»

«Etablir un rapport de force»

Avec un niveau de conflictualité sociale élevé au dernier semestre, notamment sur des questions salariales, et une opinion publique qui les «pousse plutôt dans le dos», les syndicalistes veulent croire à un terrain favorable. Au sommet des confédérations, on se sent prêts à inscrire le conflit dans la durée. «Nous, on a le temps», explique Catherine Perret, chargée des retraites à la CGT. «Deux mois pour construire une mobilisation et établir un rapport de force, c’est un timing sans difficulté», complète Yvan Ricordeau, son homologue CFDT. Mais les cartouches devront être utilisées intelligemment. «L’idée, c’est de gagner, pas de témoigner, rappelle Simon Duteil, porte-parole de Solidaires. Ça ne sert à rien de lancer une grève reconductible pour être épuisés au bout de quatre jours.»

Pourtant, au niveau local, certains mettent déjà en garde contre l’inefficacité des journées «saute-mouton». «Il faut poser la question de la reconductibilité de la grève, prévient David Lecomte, de FO. Une journée tous les quinze jours, c’est pas comme ça qu’on peut gagner.» Serge Ragazzacci, de la CGT de l’Hérault, se montre plus prudent : «Les syndicats ont la responsabilité de proposer des séquences pour donner de la visibilité, ensuite ce sont les salariés qui font grève.» Autre enjeu pour la CFDT : la sécurité des mobilisations. «On a un service d’ordre prêt. On veut des cortèges ouverts aux familles», pointe Diego Melchior.

Pour tenir dans la durée, dans un contexte inflationniste où, pour certains, chaque euro compte, les caisses de grève seront précieuses. La CGT de l’Hérault vient d’en ouvrir une «pour aider les syndicats qui choisissent la reconductible». Les membres de la CFDT pourront, eux, compter sur leur caisse nationale d’action syndicale pour couvrir en partie les jours de grève. Un petit pactole qui dépasse largement les 100 millions d’euros. «On n’a pas encore fait de communication à ce sujet, précise Diego Melchior. Mais on le fera.»