«C’est énorme et vraiment impressionnant : je ne m’attendais pas à ce qu’on soit si nombreux… Et c’est beau !» Retraitée de la fonction publique territoriale et cégétiste, Claire trépigne de joie. Un cortège dense de plus de 5 000 personnes, selon l’estimation officielle, s’étire ce mardi soir sur presque un kilomètre le long des quais de l’Isère à Grenoble. Pancartes et manifestants marchent dans la lumière vive de centaines de flambeaux et des fumigènes écarlates pour dénoncer la réforme des retraites. Autour il fait nuit noire : les syndicalistes de la CGT Energie ont coupé l’éclairage public sur tout le trajet de la manifestation organisée par l’intersyndicale. L’effet est saisissant.
Aux côtés de Claire, sous son long flambeau de cire acheté 1,50 euro aux militants de Solidaires, Yann, lui aussi cégétiste de la fonction publique territoriale, est remonté comme un coucou : «Avec une telle mobilisation, ça annonce clairement quelque chose de très puissant pour la manif de jeudi. Ça va être massif. Macron va être obligé de lâcher ! Fini de faire le coq. Il a perdu tout sens des réalités.»
Sur le camion de la CGT Métallurgie, un syndicaliste s’enflamme au micro, suivi par la foule où toutes les générations sont mêlées : «Grenoble, Grenoble, est révolutionnaire». Ineke, enseignante revêtue d’une chasuble Unsa, temporise : «Révolutionnaire peut-être, mais pas dans le sang. En tout cas, on ne lâchera pas : on veut le retrait de la loi et un changement de gouvernement. Je crois au pouvoir de la rue.»
La manifestation quitte les quais et s’enfonce dans le centre de Grenoble, lui aussi plongé dans le noir. Un slogan monte entre les murs de la vieille ville, scandé puissamment, à plein voix, jusqu’à couvrir les sonos des camions syndicaux : «On ira jusqu’au retrait.» Sur les visages, un mélange détonnant de sourires et de détermination. Renan, 23 ans, étudiant et militant associatif environnementaliste, jubile : «Ce sont des sourires de joie militante, qui recouvrent notre colère, bien présente pourtant, et qui démontrent toute notre motivation. Ce soir, je suis heureux, épaté par cette manif brillante et super mobilisatrice ! On sera là encore demain, et jeudi, et après.»
«On sait que ça peut tourner très vite»
Près de lui, Patrick, 69 ans, éducateur spécialisé à la retraite, a lui aussi la banane : «J’ai fait 50 kilomètres pour venir ici ce soir, et je ne suis pas déçu. C’est plus fort encore que mes souvenirs du mouvement contre la loi Juppé : ce soir, j’y crois, Macron n’aura pas le choix. On attend encore le Conseil constitutionnel et le référendum d’initiative populaire. D’ici là, on va continuer à manifester.»
Emile, petites lunettes rondes et drapeau de la CGT, est doctorant et enseignant en informatique : «C’est la première fois que je vois un mouvement comme celui-ci, qui ne cesse de grandir. Et j’ai l’espoir qu’il grandisse encore. Avec ce 49.3 pitoyable, le gouvernement a montré sa faiblesse. On veut le retrait de la loi, et à moins d’être écrasés par la répression ou d’un épuisement, rien ne nous arrêtera.»
«On est très vigilants»
Le caractère joyeux, presque festif, de cette retraite aux flambeaux grenobloise est précieux et le service d’ordre de l’intersyndicale y veille, attentif et mobile : «On est très vigilants, confirme un responsable cégétiste en tête de cortège. On sait que ça peut tourner très vite, certains veulent passer à d’autres modes d’action. On les surveille pour empêcher la formation d’un black block.»
A partir de 21 h 30, la manifestation atteint la place Victor-Hugo, terminus du tracé officiel. Les flambeaux ont rendu l’âme depuis longtemps et les manifestants se dispersent, satisfaits et regonflés pour les mobilisations à venir et les assemblées générales programmées dans de nombreux secteur ce mercredi.
Si jusque-là seules les corbeilles métalliques des arrêts de tram avaient flambé, braseros inoffensifs, deux cortèges sauvages, réunissant quelques centaines de manifestants, partent déambuler dans les rues du centre ville. Cette fois, on enflamme des poubelles et fracasse quelques vitrines, au hasard des rues et des barrages policiers, esquivés dans des nuages épais de gaz lacrymogène, caillassé parfois, mais sans incident majeur. Peu après 23 heures, les derniers groupes dispersés, Grenoble retrouve son calme, pour quelques heures.