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Près d’un salarié sur quatre ne se voit pas exercer son métier jusqu’à la retraite

Dans certains métiers d’accueil du public, du soin ou de l’industrie, plus d’un salarié sur deux ne se voyait déjà pas aller jusqu’à la retraite, selon une étude réalisée par la Dares en 2019. Un ras-le-bol face au travail qui résonne avec la mobilisation actuelle contre la réforme du gouvernement.
Des salariés de la raffinerie de Port-Jérôme-sur-Seine (Seine-Maritime) ayant rejoint la manifestation contre la réforme des retraites, à Lillebonne, le 7 mars 2023. (Florence Brochoire/Libération)
publié le 9 mars 2023 à 18h00

Combien sont-ils dans les cortèges contre la réforme des retraites à dire qu’ils ne se voient pas faire leur boulot deux ans de plus ? Combien comme Stéphanie, cette infirmière de 37 ans croisée le 19 janvier à Paris, qui s’interrogeait : «Ce métier, c’est ce qu’on sait faire, on l’aime. Mais jusqu’à 64 ans ?» Avec un sens impressionnant du timing, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail, la Dares, publie ce jeudi une étude qui répond à cette question. Sa conclusion centrale tient en une phrase : «En France, en 2019, 37 % des salariés ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite.» Plus d’un sur trois juge donc son travail «insoutenable» – terme employé par la Dares – selon les données récoltées auprès de 22 093 personnes. «Globalement, toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées de manière assez similaire», note l’étude.

Reste que, comme toute moyenne, ces 37 % recouvrent de grands écarts. Dans certaines professions, la proportion de salariés qui ne pensent pas tenir dans leur travail jusqu’à la retraite ne dépasse pas les 20 % : c’est le cas pour les secrétaires (17 %) et les techniciens de l’informatique (18 %). De l’autre côté du spectre, on trouve les deux tiers des caissiers et employés de libre-service, plus de 60 % des employés des banques et des assurances et une proportion similaire des professionnels de l’action sociale et de l’orientation. Citons encore 55 % des infirmiers et sages-femmes, 54 % des employés de l’hôtellerie et de la restauration, ou la moitié des ouvriers non qualifiés de la manutention et de la mécanique.

La pénibilité, facteur aggravant

Point commun de certains de ces métiers ? Bien souvent un contact quotidien et parfois conflictuel avec du public, auquel peut s’ajouter une exposition à des risques physiques et/ou psychosociaux. Parmi les risques physiques, la Dares cite le bruit, la chaleur, l’humidité, les fumées ou les poussières, ainsi que des contraintes comme «rester longtemps debout, porter des charges lourdes, etc.». Pas anodin quand on sait que la sous-reconnaissance de la pénibilité est au cœur de la contestation du projet de réforme.

Quant aux «contraintes psychosociales», que caractérisent un travail intense, un manque d’autonomie, une insécurité socio-économique ou des conflits de valeurs, elles «entraînent de la même façon une incapacité plus fréquente des salariés à tenir dans leur travail : elle peut s’élever jusqu’à 58 % pour les salariés les plus fortement exposés à ces nuisances». Enfin, d’autres facteurs peuvent aggraver la situation, comme un état de santé dégradée ou, pour les femmes, le fait de devoir s’occuper des enfants en bas âge. Elles sont 57 % à ne pas se sentir «en capacité de tenir dans leur travail, contre 43 % des hommes dans la même situation», souligne l’étude.

Importance de l’autonomie

Sans surprise, la lutte – réelle – contre les facteurs d’insoutenabilité peut produire des effets réparateurs. Par exemple, «une diminution de l’intensité du travail conduit à une baisse de 8 points de la proportion de salariés dans une situation d’insoutenabilité à trois ans d’intervalle». Mais «c’est surtout la hausse de l’autonomie donnée aux travailleurs qui permet à une plus grande proportion de salariés de ne plus se trouver en situation d’insoutenabilité», note la Dares. De l’intérêt de laisser les salariés faire correctement leur travail ou «choisir la façon d’arriver aux objectifs». A l’inverse, la prévention seule montre vite ses limites, puisque «l’information et la documentation des risques ne suffisent pas à les supprimer et peuvent même les révéler».

Pour finir, l’étude contient un paradoxe apparent : «L’insoutenabilité du travail […] décroît fortement avec l’âge : 59 % des moins de 30 ans ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite, contre 18 % des 50 ans ou plus.» Ce qui s’explique, selon la Dares, par le fait que certains travailleurs exerçant les métiers plus pénibles «les quittent au fil du temps», tandis que «les plus âgés ou les plus affectés peuvent bénéficier d’aménagements de leur poste ou de leur temps de travail». Et que, pour eux, «l’horizon plus rapproché de la retraite offre une perspective qui peut alléger le sentiment d’insoutenabilité du travail». Mais quand l’horizon s’éloigne ?