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Casse sociale

Redressement judiciaire de Camaïeu: «C’est peut-être la fin de la marque à la fin du mois»

En grève ce lundi, les salariés de l’enseigne de prêt-à-porter, qui avaient déjà connu un plan social il y a un peu plus de deux ans, peinent à croire en l’avenir de l’entreprise. Et n’attendent pas grand-chose d’autre qu’un chèque de licenciement.
Un piquet de grève devant le siège de Camaïeu à Roubaix, le 21 juillet dernier. (Aimée Thirion/Libération)
publié le 12 septembre 2022 à 16h38

Il y a un peu plus de deux ans, Cindy, 38 ans, était déjà présente devant les grilles du siège roubaisien de Camaïeu pour manifester sa colère face à un plan social alors inévitable pour l’enseigne. «Rebelote ! Cette fois, c’est sûr, je vais me retrouver sur le carreau», rage-t-elle, entourée d’une quarantaine de collègues de l’entrepôt logistique. Ce lundi matin, 72 magasins ont répondu à l’appel à la grève de la CGT Camaïeu partout en France. Le premier depuis le placement en redressement judiciaire, cet été, de l’entreprise. Historique pour le groupe qui compte 2 600 salariés et plus de 500 magasins, note le syndicaliste Thierry Siwik, chasuble rouge sur le dos : «La plus grosse mobilisation qu’on a eue jusqu’à présent, c’était d’avoir huit magasins en grève.»

La reprise de Camaïeu, en août 2020, par l’homme d’affaires bordelais Michel Ohayon a tourné au fiasco. Fin juillet, la société Aciam, propriétaire de la marque de prêt-à-porter féminin, qui appartient à Hermione People & Brands (HPB), une entité du groupe de l’entrepreneur girondin, s’est déclarée en cessation de paiements. Celle-ci évoquait alors «une accélération de ses difficultés». Difficultés liées, selon la direction, au coût d’une cyberattaque subie par Camaïeu (environ 40 millions d’euros) ; la baisse de fréquentation de ses magasins depuis le Covid ; et surtout son obligation à régler des dizaines de millions d’euros de loyers impayés pendant la crise sanitaire, alors que l’entreprise cherchait à faire pression sur ses bailleurs pour diminuer les loyers de la moitié de ses magasins.

De 700 à 800 emplois détruits

Incapables de faire face à ces dettes, les propriétaires de Camaïeu n’avaient pas d’autres choix que d’en appeler à la protection du tribunal de commerce. Le lundi 1er août, ce dernier plaçait l’entreprise en redressement judiciaire. L’ouverture de la procédure collective a permis de geler les dettes de Camaïeu, estimées à 250 millions d’euros par la CGT. Un sursis pour permettre au groupe HPB de présenter un plan de continuation de l’activité, avec le moins de casse sociale possible. Le tribunal statuera sur ce plan le 28 septembre.

D’ores et déjà, des plans alternatifs sont à l’étude. Le tribunal a reçu un peu moins d’une trentaine de «marques d’intérêts» pour la reprise de Camaïeu. La plupart pour des reprises partielles, avec seulement quelques magasins repris par-ci par-là. Du côté de la CGT, on estime à environ 200 sur plus de 500 le nombre de fermetures de magasins qui pourraient se produire dans le cadre du plan de continuation aujourd’hui étudié par le groupe HPB. Un désastre qui pourrait conduire à la destruction d’environ 700 à 800 emplois. Deux ans plus tôt, 500 personnes avaient déjà perdu leur travail lors du précédent plan social.

«C’est peut-être la fin de la marque à la fin du mois», soupire Louisa, 57 ans, dont 30 d’ancienneté. Mais un mince espoir de sauver l’enseigne, née en 1984, circule encore chez certains salariés. Un espoir nourri par la possibilité du dépôt d’une offre de reprise globale de la part de la branche «retail» du fonds américain Gordon Brothers dans les prochains jours. Ce dernier a adressé une lettre d’intention au tribunal de commerce, lui demandant des précisions sur la situation de l’entreprise afin d’affiner une offre plus large que celle de l’actionnaire actuel.

Beaucoup de ceux qui voulaient sauver leur boîte hier veulent désormais la fuir. «On ne croit plus en la société. On attend tous un licenciement avec de l’argent. On espère être dans les magasins qui vont être fermés», glisse Marie, vendeuse depuis six ans dans un outlet de la marque, gérant comme elle peut son inquiétude et la curiosité des clients. «Nous, à la limite, à l’entrepôt on s’en fout de faire la gueule puisqu’on ne voit pas les clients ! ironise une employée de l’entrepôt. Mais vous, vous devez garder le sourire…»