Leurs parents sont morts avant la retraite : «Il avait fait construire une belle petite maison et n’a pas pu en profiter»
Il y a Ahmed, 58 ans, ouvrier multifonction mort d’un arrêt cardiaque en rentrant du chantier. Son fils raconte son père : «Il marchait de moins en moins vite, il était beaucoup moins bavard et il ne supportait plus le bruit à la maison. On pensait tous que c’était un vrai dur, et c’était le cas, mais les chantiers ont été plus forts que lui.» Le père de Laura, agent d’entretien victime d’un infarctus à 58 ans mais heureusement pris en charge à temps : «Son travail n’était pas simple mais il a arrêté avant que son corps ne suive plus.» La mère de Stéphane, caissière dans un hypermarché près de Toulon, «un salaire de merde, des chefs de merde», des douleurs au dos et des maux de tête qu’elle encaisse sans broncher avant qu’un cancer foudroyant ne l’emporte, à 59 ans. Autant de parcours de vie fauchés avant de profiter de la retraite, qui risqueraient fort d’augmenter avec un recul de l’âge de départ à 64 ans. Lire notre article.
«Je ne veux pas arriver à la retraite sur les rotules» : pour la génération 66, la route est longue
Agés de 56 ou 57 ans, la réforme les amène à rempiler un an et demi de prévu, 63 ans et demi au lieu de 62. «J’ai vraiment la sensation qu’on nous a changé les règles en cours de partie. Ça donne un gros coup au moral», confie Nathalie, qui avait déjà planifié ses grands pans de liberté. Pour Madeleine, qui devait partir à 62 ans et demi, ce sera 64 ans. Elle ressent une «profonde injustice» et partira dès que possible «même avec une décote», tant la sensation chez cette fonctionnaire d’assister à «une perte totale de sens» dans ses missions de service public. Partir plus tard, c’est aussi prendre le risque d’être «à la ramasse» face aux nouvelles façons de travailler des plus jeunes, craint Marielle. A défaut de décote, ces «malgré eux» songent aussi à la retraite progressive : Fabrice, 57 ans, se promet de «faire moins d’heures à partir de 60 ans pour préparer la transmission de l’entreprise». Lire notre article.
«C’est une histoire sans fin, il me restait sept ans et demi»
A mesure que les années passent, les seaux de ciment de Christian, entrepreneur salarié en bâtiment après avoir bossé dans la restauration, l’informateur, s’allègent. «Je me suis flingué quand j’étais jeune et que je prenais des sacs de 50 kilos comme ça sur le dos.» Il devra partir à 63 ans, sans contrepartie, avec tous ses trimestres cotisés. Le corps de son collègue Olivier, électricien de 58 ans, ne répond plus autant qu’avant. Il s’inquiète de son état physique à l’âge où il devra prendre sa retraite : «Comment je serai à ce moment-là ?» Lucas peut répondre : ce quinqua manutentionnaire est reconnu handicapé à force de soulever les carcasses du rayon boucherie. Avec la réforme, il pourra toujours partir en anticipation… mais deux en plus tard. Lire notre article.
Des profs effarés par la réforme : «Enseigner n’est pas un métier pénible mais usant»
«Micheline, 70 ans, enseignante.» Une professeure dans son fauteuil poussée par ses élèves. «Un Ehpad ? Non, un lycée !» S’il consent à dire que le métier ne peut être comparé à ceux du BTP ou du soin, le corps enseignant, mobilisé comme à son habitude dans les rues de France le 19 janvier, veut souligner l’absurdité d’une réforme qui les conduirait à faire face à une classe sans être au mieux de leurs moyens, quel que soit l’âge de l’enseignant. «Nos élèves méritent un professeur au maximum de sa forme. C’est leur seule année de CP, de CE1, ils méritent le meilleur tous les ans.» A 29 ans, Laurène pourrait devoir travailler jusqu’à 68 ans compte tenu des 43 annuités. Impossible à ses yeux : «Des classes surchargées, pas de demi-groupe, je n’arrive pas à m’y projeter. C’est un travail […] qui demande d’être dynamique pour pouvoir gérer une classe. Déjà passé 60 ans, cela me paraît compliqué, mais à presque 70 ans c’est impossible.» Lire notre reportage.
Les travailleuses de la deuxième ligne, premières victimes de la réforme des retraites
«J’adore mon métier, mais physiquement, est-ce que je pourrai tenir ? Comment je vais aider les gens ? En déambulateur moi aussi ?» Myriam, auxiliaire de vie de 51 ans, termine ses journées «fracassée» physiquement, mais aussi «moralement». Pour un smic, elle côtoie au quotidien «la maladie, la mort, le moral parfois dégradé des gens, leurs larmes». Sa consœur Angelika, 48 ans, évoque la «peur de mourir avant d’avoir profité de [sa] retraite», exerçant une profession non reconnue pour sa pénibilité. Un biais sexiste, estime celle qui s’agace que les débats autour de la pénibilité se focalisent «les gars qui respirent des produits chimiques», quand ces professions étaient mises sur un piédestal pendant la crise du Covid, au même titre que celle exercée par Sophie, caissière, qui raconte les troubles musculo-squelettiques, les horaires fractionnés et tardifs, le congé parental qui hache la carrière mais qu’elle prend parce que «[son] compagnon avait plus de revenus qu’[elle]». «Sans doute que ça va me faire perdre à la retraite, mais je préfère ne pas calculer combien pour éviter de pleurer.» Lire notre article.
Des lycéens et collégiens défilent pour ne pas «mourir au travail»
Même s’il y aura quelques années avant qu’ils ne soient concrètement concernés, les plus jeunes sont au rendez-vous de la mobilisation. «Il y a déjà eu une réforme des retraites il y a vingt ans, une autre il y a dix ans, jusqu’où va-t-on aller ?» Parmi les manifestants du 19 janvier, Louri, 17 ans, s’inquiète de la répétition des textes touchant au système par répartition. Alors il défile «en solidarité avec nos parents, nos proches, mais aussi tout le monde éducatif», comme Ambre, même âge, qui déplore que le gouvernement n’aille «pas chercher l’argent au bon endroit […] en supprimant des milliards d’euros de taxe». Lire notre reportage.